Dans les méandres du pouvoir Yayi

Politique

Dans une élection présidentielle, le chargé de communication d’un candidat n’est pas payé pour paraître agréable aux yeux des candidats rivaux.

Il doit être capable de se muer, au besoin en fauve rugissant, et recourir sans complexe à des méthodes de voyous. Ce n’est pas une question d’éthique et de morale. C’est une question pratique, de recherche d’efficacité et de résultats. Il n’y a pas de guerre civilisée, il n’y a pas de guerre propre.

En tout cas, après le violent coup de l’image du cadavre ensanglanté de la fillette au bord de la piscine du domicile de Adrien Houngbédji, la communication de notre principal challenger, visiblement sonnée, était devenue aphone. Cela se voyait à la disparition progressive dans les feux tricolores des photos de Yayi, dormant, bouche ouverte et pendante, au cours d’une réunion. Les timides tentatives de démentir ou de situer l’opinion sur le drame de Adjina, ne faisaient qu’en augmenter la portée.
Aujourd’hui, on parlerait de « buzz négatif ». Nous suivions donc avec rictus et amusement ces séries de compte-rendus ininterrompues que diffusait chaque soir Golfe Télévision sur l’actualité politique du candidat du PRD. Nous savions qu’à moins d’être déjà un militant acquis, aucun téléspectateur ne subirait volontiers ces longs calvaires télévisuels. La saturation est l’ennemi de l’information.
La réplique, ou disons une certaine réplique à cet uppercut ne tardera pourtant pas à arriver. Une semaine après la cérémonie de déclaration de candidature de Yayi au palais des sports du stade de l’amitié, nous nous étions retrouvés à Porto-Novo, pour une grandiose cérémonie de présentation de notre projet de société.
C’était une idée du professeur Albert Tévoédjrè, qui n’a jamais mieux mérité son surnom de « renard de Djrègbé ». La cible de cette opération dans laquelle il s’investit personnellement était, bien entendu, Adrien Houngbédji. Sa montée en puissance comme leader politique incontestable de l’Ouémé-Plateau depuis les élections législatives de 1995, consacra le déclin irrémédiable du parti NCC qui finira d’ailleurs par être arraché à son créateur, Albert Tévoédjrè.
Il en nourrira une rancœur tenace et à chaque élection présidentielle qui suivra, mettra le meilleur de son expertise au candidat le mieux placé pour empêcher l’accomplissement du rêve présidentiel de Adrien Houngbédji.
Le lieu choisi pour la présentation de notre projet de société était la grande cour du domicile privé du président Sourou Migan Apithy, en bordure de la lagune de Porto-Novo, et nous n’ignorions pas que ce choix était un pied de nez au candidat Adrien Houngbédji, dont le domicile se trouvait à deux pas.

La cérémonie qui rassembla grand monde, battait son plein depuis bientôt une heure. Dans un grand numéro de sophisme dont il avait le secret et la réputation, le professeur Albert Tévoédjrè délivra un discours au bout duquel il déclara triomphalement : « Porto-Novo est une ville ouverte ».
Nous n’avions pas besoin de dessin pour comprendre cette allusion acide. Un tonnerre d’applaudissements salua ce discours dans lequel je crus pourtant percevoir quelques phrases qui sonnaient déjà comme une mise en garde ferme au futur président de la République, Yayi Boni.
Je ne sais si j’étais le seul à entendre ces extraits où le tribun de Djrègbé mettait en garde son poulain contre « toute tentative de se prendre pour un démiurge ayant solution à tout, un omniscient étant l’égal de Dieu ». Mais je sentais que Albert Tévoédjrè, qui n’usurpait pas de son surnom de « renard », avait le nez fin et le flair exercé.
Puis vint le clou de la manifestation. Et quand je dis clou de la manifestation, n’allez surtout pas penser à cette longue, très longue présentation que fit le candidat ce jour, de son projet de société qui, en général, n’intéressait pas grand monde.
Eh oui, croyez-le ou pas, le clou de la manifestation, c’était la prestation du jeune artiste Gaspard Théodore Gougounon alias GG Lapino. Les populations à la base ne perçoivent en effet nos périodes électorales que comme de providentiels moments de récréation. Et tant mieux, tant ce n’est pas des moments d’affrontements sanglants.
GG Lapino était, depuis sa fracassante révélation au palais des sports, la mascotte de notre campagne dans toute la zone urbaine du Bénin méridional. Son hymne à l’élection de Yayi Boni était présent partout, fredonné par tous, de sept à soixante-dix-sept ans. C’était comme une vague de poussière inarrêtable qui s’infiltrait partout, s’engouffrant dans les moindres fissures, les moindres interstices, les moindres failles.
Dans la précipitation, nous avions inondé l’espace de ce CD hâtivement dupliqué au Nigeria. Cet hymne fédérateur, ensorcellant, changea radicalement notre perception du rôle des artistes dans une campagne électorale, même si je demeure persuadé que ces coups de génie ne peuvent pas être prévisibles.
Le jeune artiste monta sur scène avec deux danseurs du même acabit que lui. L’ambiance, faite d’ennui, céda aussitôt place à une euphorie contagieuse, une transcendance qui unifie une foule autour d’un air , d’un refrain, parfois de ce rien du tout qui vous cimente dans un élan irrésistible. « Yayi Boni mi na zé », et tout le monde était debout, tenu par ce jeune homme qui, quelques jours plus tôt, aurait juste été pris comme un paria par beaucoup, mais qui était désormais la voix de l’espérance, l’énergie débridée qui conduisait ce flot de militants sur les sentiers de la victoire.
Soudain, quelqu’un que je ne connaissais pas vint me faire signe en me tapautant doucement dans le dos. « Il y a une situation au portail, on a besoin de vous », me dit-il. Je crus un moment à une manœuvre de mes confrères journalistes dont certains, m’ayant approché déjà à l’entame de la cérémonie avec le titre pompeux de « journalistes de Porto-Novo », surveillaient mes moindres mouvements depuis que je leur avais servi cette phrase pleine de saveur et de promesse : « on se voit à la fin ».

Mais quand je me rendis dehors, je vis un petit attroupement. Une fourgonnette de police était stationnée là, le moteur en marche. Une jeune dame très énergique, encadrée par deux agents de police, vociférait au milieu du petit attroupement devant le portail, en pointant la scène où se produisait notre icône GG Lapino. « C’est lui, c’est bien lui, c’est lui qui m’a braquée, je le reconnais », répétait- elle sans cesse. Je m’approchai d’un des agents qui me signifia qu’ils étaient là pour procéder à l’arrestation de l’artiste sur plainte de cette victime. Quelle histoire ! Non, mais… quelle histoire !
Je retournai aussitôt dans l’enceinte de la maison où j’alertai aussitôt le docteur Jean-Alexandre Hountondji. Bientôt, des pourparlers de diversion s’installèrent au portail. Nous essayions de gagner le maximum de temps, afin de laisser l’artiste finir sa prestation. Nous comprenions d’où venait le coup. Quand on en donne, il fallait être en effet prêt à en recevoir.
Houngbédji, pensions-nous, veut enfin nous retourner la monnaie de notre pièce. Les nombreuses incohérences dans le discours de la plaignante se révélaient au fil de la discussion. Nous reussîmes finalement à obtenir de la police, qu’elle laissât une convocation pour GG Lapino, avec la promesse qu’il y répondrait aussitôt à la fin de la manifestation. Le coup, ce jour-là, avait foiré, et nous retournâmes à Cotonou avec notre artiste.

Au siège de campagne de Bar Tito, une rumeur se faisait persistante depuis ce matin. Yayi aurait enfin tranché par rapport à sa direction de campagne. Cette attente, qui devenait longue et insupportable, allait enfin prendre fin.
Il ne s’agissait ni de Lambert Kotty, ni de Ahamed Akobi, encore moins de Jean Alexandre Hountondji, les trois noms qui circulaient. Comme dans un tour de magie, Yayi sortit un pigeon inconnu, et donc inattendu, de son mouchoir blanc. Il a nom Vicencia Boco. Yayi aurait flashé sur elle à la visite médicale…