Moyen Orient : La Cour internationale de justice se penche sur l’occupation israélienne

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Des audiences historiques s’ouvrent ce lundi 19 février devant la Cour internationale de justice (CIJ). Cinquante-deux États s’apprêtent à défendre leurs positions sur 56 années d’occupation israélienne des territoires palestiniens et sur les conséquences de cette politique

C’est une nouvelle guerre de six jours, juridique cette fois, qui s’ouvre devant la Cour internationale de justice (CIJ). Ministres, diplomates et avocats de cinquante-deux pays et de trois organisations internationales, y participeront du 19 au 26 février 2024, au Palais de la paix à La Haye où siègent les quinze juges de la cour mondiale. La plus haute juridiction de l’ONU doit se pencher sur les racines du conflit israélo-palestinien.

Si cette procédure n’est pas liée à l’affaire intentée fin décembre par l’Afrique du Sud, accusant Israël de commettre un génocide contre les Palestiniens de Gaza, la guerre opposant Israël au Hamas depuis le 7 octobre s’invitera sans aucun doute dans les plaidoiries. Alors que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, veut faire de cette guerre un combat global contre le terrorisme, les audiences organisées devant la cour mondiale replaceront inévitablement cet ultime épisode dans le contexte plus large du conflit israélo-palestinien.

Israël ne plaidera pas à La Haye

Le recours à la CIJ remonte au 30 décembre 2022. Ce jour-là, l’Assemblée générale de l’ONU demande à cette Cour de fournir un conseil juridique sur la légalité ou l’illégalité de l’occupation israélienne, et sur ses conséquences. Deux questions sont alors soumises aux quinze juges, qui devront dire quelles sont « les conséquences juridiques de la violation par Israël du droit des Palestiniens à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée du territoire palestinien depuis 1967 ».

Les États volontaires ont soumis à la cour des mémoires écrits en juillet 2023, bien avant les attaques du 7 octobre perpétrées par le Hamas, et les représailles qui ont suivi. Seuls quelques États ont fourni une réplique avant le délai fixé par la cour au 25 octobre. La cour procède donc à partir de lundi au dernier tour de plaidoirie, viva vocce cette fois.

Mais Israël ne viendra pas plaider au Palais de la paix. L’État hébreu est contre cette procédure. Il affirme qu’elle vise à « diaboliser » Israël et que la résolution du conflit n’est pas l’affaire de la justice internationale. Lundi 19 février, les Palestiniens auront trois heures pour plaider leur cause. Puis jusqu’au 26 février, les volontaires, c’est-à-dire les 51 autres États et les trois organisations multilatérales – Union africaine, Ligue arabe et Organisation de la conférence islamique (OCI) – se succèderont au pupitre placé face aux juges, pour de courtes plaidoiries de 30 minutes.

Une plaidoirie par procuration

Si l’État hébreu refuse de se présenter à La Haye, plusieurs pays défendront néanmoins ses positions, dont ses alliés les plus proches, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada. Les trois alliés d’Israël assurent que les audiences pourraient nuire aux négociations sur le futur des territoires occupés. Ils demandent aux juges de ne pas répondre en détails, ni sur le statut du territoire, ni sur ces frontières. Les Palestiniens et leurs alliés, qui seront plus nombreux que la partie adverse à La Haye, leur demandent au contraire une réponse précise.

Pendant six jours, à travers les plaidoiries de l’Algérie, l’Afrique du Sud, la Jordanie, l’Irlande et d’autres, les maux découlant de l’occupation vont être véritablement auscultés : apartheid, déplacements forcés, autodétermination, ressources naturelles, statu quo sur la ville sainte, annexion de Jérusalem, impunité et bien sûr, la colonisation des territoires palestiniens. Depuis les attaques du 7 octobre, cette colonisation se poursuit à marche forcée avec l’aval et à l’incitation des ministres d’extrême droite du gouvernement Netanyahu, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich. Plusieurs projets de construction ont récemment été approuvés, notamment à Jérusalem-Est.

Dans son mémoire déposé en juillet, Paris rejette d’ailleurs toute annexion, notamment de Jérusalem, et condamne clairement la colonisation et les violations des droits de l’homme découlant de l’occupation. Ce document a été déposé en juillet 2023 et à l’époque où Catherine Colonna était ministre des Affaires étrangères. Les plaidoiries de Paris reviendront-elles sur ces positions ?

La portée du futur avis dépendra des États

Et la réponse des juges permettra-t-elle de donner du souffle aux tentatives de sortie de l’impasse dans laquelle se trouve ce conflit ? L’enjeu de ces audiences dépend aussi de la portée que voudront lui donner les États. Leur avis permettra-t-il de donner une base de règlement aux potentiels négociateurs, alors que les Occidentaux brandissent de nouveau « la solution à deux États », tandis que le Premier ministre, Benyamin Netanyahu, a récemment rejeté toute possibilité d’un État palestinien ?

Si les juges répondent pleinement aux questions posées par l’Assemblée générale de l’ONU, leur avis pèsera-t-il sur les États alliés proches ou lointains d’Israël, même s’il n’est pas obligatoire ? Deux questions collatérales, liées au conflit en cours, pourraient aussi être abordées lors des audiences : la légitime défense invoquée par Israël pour justifier son recours à la force et le statut de Gaza, sur lequel les juristes sont en désaccord. L’enclave est-elle considérée comme occupée, alors que les forces israéliennes se sont retirées du territoire en 2005, et ont organisé son blocus deux ans plus tard ?

Depuis son établissement en 1946, la Cour internationale de justice a rendu 30 avis juridiques et ses juges se sont prononcés sur l’occupation à au moins deux reprises : dans l’affaire opposant la République démocratique du Congo (RDC) à l’Ouganda, en 2005. Et lorsqu’ils ont été consultés sur la légalité du « mur » construit par Israël en 2004. Les juges avaient ordonné le démantèlement du mur jugé illégal. C’était comme un galop d’essai au grand oral qui s’ouvre lundi. Leur avis – qui n’est pas obligatoire – n’avait eu que des effets marginaux.