L’avis motivé de la Cour suprême n’est pas requis

Opinions

Le débat actuel sur la révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 est anachronique. Ce débat soulève un certain nombre de questions très mal perçues et fait apparaître un soubassement politique au problème juridique. Je sais ce que le sujet de la révision de la Constitution a de sulfureux.

Il a déclenché en 2004 tant de polémiques et de passions, parce que les Béninois étaient dans leur immense majorité, convaincus que le vieil homme voulait gérer le Renouveau démocratique comme le régime révolutionnaire du Parti de Révolution populaire du Bénin et (Prpb) et s’éterniser au pouvoir. Mais aujourd’hui, les temps ont changé. Boni Yayi arrivé au pouvoir en 2006 par le suffrage universel a suffisamment fait connaître sa volonté de respecter notre Constitution. A la prestation de serment à Porto-Novo en Avril 2011, il a juré qu’il était en train d’entamer son deuxième et dernier mandat. Depuis lors, son langage n’a pas varié, il a saisi toutes les occasions pour dire et répéter à la face du monde qu’il quitte le pouvoir en 2016. Le débat n’est donc pas dans la volonté de Boni Yayi de s’accrocher au pouvoir après 2016.

En effet, si en 2004, la révision de la Constitution était préparée en catimini dans les bureaux du Palais de la Marina et que les dispositions à réviser étaient jalousement enfouies dans les tiroirs et pas très bien connues de la masse, cette fois-ci, il en est autrement. Les dispositions à réviser ont été élaborées par la commission technique ad’hoc de relecture de la Constitution créée par le décret N°2008-52- du 19 février 2008, modifié et complété par le décret N°2008-597 du 22 octobre 2008. Cette commission est composée de : Président : Professeur Maurice Glèlè Ahanhanzo Membres : Professeur Théodore Holo Monsieur Moïse Bossou Monsieur Albert Tingbé Azalou Monsieur Pierre Mètinhoué Madame Elisabeth Pognon Monsieur Ousmane Batoko Maître Robert DOSSOU Maître Saïdou Agbantou Maître Salifou Bassabi Monsieur Prudent Victor Topanou Après son installation, la commission a mis en place un bureau composé comme suit : Président : Professeur Maurice Glèlè Ahanhanzo Vice-président : Madame Elisabeth Pognon 1er Rapporteur : Professeur Théodore Holo 2ème Rapporteur : Monsieur Ousmane Batoko Secrétaire : Maître Safiatou Bassabi

Le Gouvernement n’a fait qu’adopter en Conseil des Ministres le texte de la commission Glèlè qu’il a transmis à l’Assemblée Nationale. Le Gouvernement n’a rien retranché, ni rien ajouté au texte élaboré par la commission ad’hoc de relecture de la Constitution. Le texte adopté en Conseil des Ministres et envoyé à l’Assemblée Nationale par décret N° 2013-205 du 6 juin 2013 ne comporte aucune modification susceptible de justifier une révision bâclée et controversée. Il est vrai, lorsque les motivations d’une entreprise ne sont pas forcément avouables ou spécialement admirables, on évite de les étaler publiquement. Dès lors, on comprend parfaitement les explications de la mystérieuse lutte contre la révision. La curiosité a conduit à prendre connaissance des arguments juridiques avancés pour justifier «la preuve que le Gouvernement a violé la Constitution, que le projet est un mort-né ». Une fois lancé dans la lecture des articles parus dans la presse béninoise le mardi 16 juillet, on éprouve de grands regrets de ne trouver aucune analyse juridique si ce n’est l’affirmation selon laquelle « l’analyse du décret N°2013-255 du 06 juin 2013 portant transmission à l’Assemblée Nationale du projet de loi portant révision de la Constitution de la République du Bénin révèle clairement que le gouvernement, avant sa session du 06 juin, n’a pas cru devoir soumettre le projet de loi à la Cour Suprême pour obtenir son avis motivé… »

La question se pose : le Gouvernement devrait-il soumettre pour avis de la Cour Suprême, le projet de révision de la Constitution ? La réponse est non, juridiquement non. Et voici pourquoi La notion de projet de loi est expressément mentionnée à l’article 105 de la Constitution en ces termes « Les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres, après avis motivé de la Cour Suprême, saisie conformément à l’article 132 de la présente Constitution, et déposés sur le bureau de l’Assemblée Nationale ». L’article 154 de la Constitution consacré à la révision de la Constitution est ainsi libellé : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République après décision prise en Conseil des Ministres et aux membres de l’Assemblée Nationale. Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision doit être voté à la majorité des trois quarts des membres composant l’Assemblée Nationale ». Les défenseurs de la thèse de la saisine de la Cour Suprême estiment que la notion de projet de loi expressément mentionnée à l’article 105 de la Constitution doit être valablement entendue comme visant aussi bien les projets de loi ordinaire que de loi organique ou de loi Constitutionnelle et qu’il n’y ai aucune différence entre la loi ordinaire et la loi Constitutionnelle. Dès lors, rien ne s’oppose à ce que la loi Constitutionnelle soit soumise pour avis à la Cour suprême. Il y a là une erreur de fait et de droit.

Erreur de droit

L’article 154 de la Constitution établit une procédure spécifique pour la révision de la Constitution et n’aménage aucune référence, ni ne procède à aucun renvoi à l’article 105 ou à l’article 132. De même, on ne trouve dans l’article 105 aucun renvoi à l’article 154. Plus précisément, l’article 154 parle de projet ou proposition de révision et ne comporte aucune référence, aucune précision relative aux lois ordinaires ou aux lois organiques. Indépendamment de ce silence, de l’absence de toute référence, la doctrine unanime admet qu’en matière de révision, la Constitution procède toujours par dérogation expresse. Ainsi, dans l’ancien article 85 de la Constitution Française de 1958, il est fait expressément référence à l’article 89 instituant un mécanisme de révision particulier du titre XII relatif à la Communauté. L’article 85 déroge explicitement à la procédure de l’article 89 en ces termes dénués de toute équivoque : « Par dérogation à la procédure prévue à l’article 89, les dispositions du présent titre qui concernent le fonctionnement des institutions communes sont révisées par des lois votées dans les mêmes termes par le Parlement et le Sénat de la Communauté ». Or, s’agissant des articles 105 et 132 de la Constitution, on ne trouve rien dans ces deux dispositions qui renvoient à l’article 154 et vice versa. L’article 105 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 a établi une procédure générale valable pour les projets de loi ordinaire et projets de loi organique. Dans la théorie de l’interprétation, c’est un principe général de droit bien connu que les règles particulières l’emportent toujours sur les règles générales. ‘’lex specialis derogat legi generali’’ L’ordre juridique béninois reconnaît cette distinction dont chacune relève d’une procédure spécifique. La Constitution a organisé une procédure spéciale pour la révision de la Constitution. Les règles générales de l’article 105 ne sont pas applicables pour la révision de la Constitution. Erreur de fait Si l’article 105 fait obligation au Gouvernement de soumettre les projets de loi à la Cour Suprême, il s’agit essentiellement des lois qui relèvent des articles 98 et 99 de la Constitution. Lorsque le projet lui est soumis, l’examen de la Cour Suprême porte en premier lieu sur la validité juridique du projet de loi qui lui est soumis. Les dispositions dont la Cour Suprême doit vérifier l’observation sont naturellement les articles 98 et 99 de la Constitution. Le projet de loi qui lui est soumis pour avis relève-t-il du domaine de la loi ? Telle est la première question à laquelle la Cour Suprême doit d‘abord répondre. En parcourant la longue liste des matières énumérées à l’article 98 de la Constitution, on ne trouve nulle part, la révision de la Constitution comme faisant partie du domaine de la loi. L’avis de la Cour Suprême porte ensuite sur la forme et la rédaction du projet de loi qui lui est soumis.

La Cour Suprême ne peut pas examiner le projet de loi portant révision de la Constitution.

Un tel examen sera ni plus, ni moins qu’un contrôle de Constitutionalité. Au Bénin, la Constitution est le droit fondamental et suprême de l’Etat. C’est pour cette raison que les juges, singulièrement ceux de la Cour Constitutionnelle sont chargés de lui donner vie. Telles sont les raisons pour lesquelles l’article 132 est inapplicable pour la révision de la Constitution. Non seulement du point de vue de la pratique de la Cour suprême et de la Cour Constitutionnelle, mais aussi du point de vue du droit parce qu’il est conforme à la Constitution du 11 Décembre 1990. L’Assemblée Nationale a donc été régulièrement saisie. La modernisation de nos institutions commande la marche en avant pour la révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990. Dans l’article 1er du Titre VI de la Constitution Française de 1791, on peut lire : « Une génération ne peut assujettir à ses lois, les générations futures ». Cela signifie que la Constitution la mieux élaborée ne peut échapper guère à l’usure du temps, parce que ses dispositions ne peuvent et ne doivent pas tout prévoir. Pour s’en tenir à l’essentiel, les dispositions à réviser concernent :

1- Le Pouvoir Exécutif L’article 47 nouveau prévoit que le 1er tour du scrutin de l’élection du Président de la République a lieu 90 jours avant la date d’expiration du mandat du Président en exercice. Par cette prévision, la commission entend donner plus de temps à l’organisation de la passation des pouvoirs entre les Présidents sortant et entrant. L’organisation du second tour des élections présidentielles se fera 15 jours après la proclamation des résultats du 1er tour et l’interdiction de tout désistement entre les deux tours 48 heures après la proclamation des résultats du 1er tour.

2 – L’Assemblée Nationale L’article 82 nouveau précise que le Bureau de l’Assemblée Nationale reflète la représentation équitable de la majorité et de l’opposition. L’article 84 prévoit que le Président de l’Assemblée Nationale doit rendre compte chaque année à l’Assemblée Nationale de sa gestion politique. -Pour renforcer la mission de contrôle de l’action gouvernementale, les députes annoncent deux séances au moins par mois réservées prioritairement à leurs questions et aux réponses du Gouvernement.

3- La Cour Constitutionnelle Les décisions de la Cour Constitutionnelle en matière des droits de l’homme ont la primauté sur celles des autres juridictions. Les violations des droits de l’homme constatées par la Cour Constitutionnelle ouvrent désormais droit à réparation devant le juge judiciaire ou administratif selon le cas. 4- La démocratie participative Il s’agit de donner la possibilité aux citoyens d’initier des lois et de les soumettre au vote des députés. 5- La lutte contre la corruption – La clarification du concept Immunité parlementaire de l’article 90 et les précisions à l’article 136 relatif à la Cour des comptes traduisent la volonté des membres de la Commission de renforcer la lutte contre la corruption et l’impunité.
– En ce qui concerne le Président de la République, sa poursuite devant la Haute Cour de Justice sera désormais votée à la majorité des deux tiers (2/3) des députés à l’exclusion des députés membres de la Haute Cour de Justice. Les Ministres quant à eux peuvent être poursuivis après un vote à la majorité absolue. Enfin, les crimes économiques et les crimes contre l’humanité ont été rendus imprescriptibles. La loi pénale peut être rétroactive en ce qui concerne ces infrastructures. 6- Les Nouvelles institutions – La Cour des comptes – Le Médiateur de la République – La Cena feront désormais partie des institutions de l’Etat 7- Le Renforcement des droits humains et des libertés Publiques La commission propose que les citoyens soient habilités, en vertu de l’article 3, à saisir la Cour Constitutionnelle pour contrôle de Constitutionalité des décisions de justice devenues définitives et portant atteinte aux droits humains garantis par la Constitution Enfin, l’article 5 consacre le statut de l’opposition pour une meilleure garantie des droits de la minorité politique. Tout s’éclaire maintenant d’un jour nouveau. Il faut prendre des risques et regarder loin devant soi et derrière soi. Derrière nous, la mode est d’expliquer la révision de notre Constitution par la volonté d’un homme de confisquer le pouvoir. Je ne souscris pas à cette mode des forces multiples qui veulent que notre pays végète dans l’immobilisme. Devant nous, le projet de révision de la Constitution veut moderniser les institutions de la République du Bénin et nous faire entrer dans une période radicalement neuve. L’approbation de ce projet de révision de la Constitution sera pour notre pays le fait que la nation béninoise est toujours capable de réagir de façon plus inventive en faisant d’un problème une solution.