Déclaration à la veille d’un sommet de la Cedeao : Le Burkina Faso a «plus que jamais besoin de ses partenaires», déclare le chef de la junte

Afrique

Pour la première fois depuis sa prise de pouvoir lundi, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba s’est adressé aux Burkinabè jeudi soir 27 janvier à la veille d’un sommet extraordinaire de la Cédéao consacré à la situation au Burkina

L’officier putschiste qui a renversé le président Roch Kaboré a prononcé une allocution retransmise par la télévision nationale, la RTB. Le chef de la junte a exposé sa priorité : vaincre le terrorisme. Il a aussi donné des indications sur son agenda et tenu à rassurer à l’intérieur comme à l’extérieur du Burkina, à la veille d’un sommet des États ouest-africains qui pourrait déboucher sur des sanctions.

Le lieutenant-colonel Damiba l’assure : sa décision de renverser le pouvoir a été « imposé par le cours des événements ». Pour la suite, l’officier reste flou sur son calendrier, rapporte notre envoyé spécial à Ouagadougou, Pierre Pinto. Mais il donne des gages quant à la probable mise en place prochaine d’une transition.

« Je m’engage à convoquer les forces vives de la nation pour convenir d’une feuille de route qui aura pour but de projeter et réaliser le redressement voulu par tous les Burkinabè. Lorsque les conditions seront réunies selon les échéances que notre peuple aura souverainement définies, je m’engage à un retour à une vie constitutionnelle normale. »

Après une mise en garde contre les « actes de trahison contre les aspirations » du peuple, Paul-Henri Sandaogo Damiba a tenu à rassurer les partenaires du Burkina : « Le Burkina Faso a plus que jamais besoin de ses partenaires. C’est pourquoi j’appelle la communauté internationale à accompagner notre pays afin qu’il puisse sortir le plus rapidement possible de cette crise pour reprendre sa marche vers le développement. Je sais comprendre les doutes légitimes suscités par cette rupture dans la marche normale de l’État. Mais je voudrais rassurer l’ensemble des amis du Burkina Faso que le pays continuera de respecter ses engagements internationaux, notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’homme. »

Dans ce premier discours, le nouvel homme fort du pays promet que le nouveau régime prendra en compte « le cultivateur qui n’a rien récolté la saison dernière » ou « les femmes, cheffes de ménage, qui peinent à nourrir leurs enfants ».

Un sommet de la Cédéao, avant une mission sur place ?

Les chefs d’État ouest-africains se réunissent, virtuellement, en sommet extraordinaire ce vendredi 28 janvier à 10h TU pour statuer sur le Burkina Faso. Comme ils l’ont fait pour le Mali et la Guinée, ils devraient décider ce matin de suspendre le Burkina Faso de ses instances. Iront-ils plus loin ? Peut-être pas dans l’immédiat.

Mardi, l’organisation sous-régionale avait « condamné fermement » ce coup d’État, estimant que celui-ci « marquait un recul démocratique majeur » pour le pays. « Nous sommes déterminés, au niveau de la Cédéao, à faire en sorte que l’expérience de confiscation de pouvoir par une junte militaire soit un échec au Mali, mais aussi au Burkina et partout ailleurs dans notre espace pour que nous renouions avec cette volonté collective de donner la possibilité aux peuples de s’exprimer et de choisir librement leurs dirigeants », a déclaré Hassoumi Massoudou, le ministre nigérien des Affaires étrangères après une rencontre à Paris avec le chef de la diplomatie française ce jeudi 26 janvier.

En septembre dernier, après avoir rapidement suspendu la Guinée, la Cédéao avait attendu plus d’une semaine pour prendre les premières sanctions contre les militaires putschistes, à savoir le gel de leurs avoirs. Selon une source diplomatique, certains chefs d’État hésiteraient à prendre de lourdes sanctions après les réactions populaires suscitées par les mesures prises début janvier contre la junte malienne.

Comme toujours en pareil cas, ce sommet extraordinaire devrait donc surtout permettre de nommer un émissaire et d’acter l’envoi rapide sur place, peut-être dès samedi, d’une mission d’observation. Objectif : connaître les intentions des militaires putschistes. Une mission sans doute menée par Jean-Claude Kassi Brou, le président de la commission de la Cédéao, et dont pourrait faire notamment partie Shirley Ayorkor Botchway, la ministre ghanéenne des Affaires étrangères.

Le silence du voisin ivoirien

À la sortie du conseil des ministres mercredi, le porte-parole du gouvernement ivoirien n’a fait aucun commentaire ou presque au sujet de la situation au Burkina Faso, a constaté notre correspondant à Abidjan, François Hume-Ferkatadji. « C’est la Cédéao qui va donner tous les détails, je n’en ai pas », a simplement indiqué Amadou Coulibaly. Jusqu’à ce jour, les autorités ivoiriennes ont montré une forme de prudence sur le dossier burkinabè, favorisant une réflexion discrète avec les institutions régionales. « Les récentes sanctions contre le Mali se sont montrées contre-productives », contextualise le politologue Sylvain N’Guessan

Pourtant, rappelle l’analyste Arthur Banga, « Alassane Ouattara et Roch Marc Christian Kaboré entretiennent une relation personnelle assez forte ». Les deux hommes se sont d’ailleurs parlés au téléphone plusieurs fois depuis le début de la crise.

Selon Lassina Diarra, chercheur sur les questions de Sécurité-Défense au Tumbuktu Institute : « Le président Alassane Ouattara est un opposant aux coups d’État, mais le pragmatisme sécuritaire va prendre le dessus ». Car selon lui, « la page du président Kaboré est définitivement tournée ».

Depuis deux ans, le nord de la Côte d’Ivoire – particulièrement la zone frontalière avec le Burkina – est en proie à des incursions de groupes terroristes qui ont commis des attaques sur le territoire ivoirien contre des positions de l’armée. Or, le partage d’informations et de renseignements est essentiel pour la défense de la frontière commune entre les deux pays. De plus, avance Arthur Banga, « le manque d’efficacité des Burkinabè sur le plan sécuritaire agaçaient les Ivoiriens, surtout les militaires ivoiriens », qui se plaignaient de l’absence d’une structure de renseignement burkinabè performante.

Les observateurs prévoient donc une exclusion temporaire du Burkina des instances de la Cédéao, mais n’imaginent pas de sanctions lourdes à ce stade.

RFI