L’exercice d’un pouvoir diversement apprécié

Politique

Les Béninois sont conscients du rôle et de l’importance de la Cour constitutionnelle dans l’arsenal institutionnel du Bénin. Juristes, fonctionnaires de l’administration, étudiants et personnalités diverses reconnaissent l’exercice effectif de cette fonction dévolue à la Cour. Mais la manière dont la Haute juridiction ‘’manœuvre’’ son pouvoir de régulation fait l’objet de points de vue variés.

Tatian Dossou semblait attendre une occasion de parler de la Cour constitutionnelle. Approché, il s’emballe aussitôt. Après avoir parcouru l’histoire politique et constitutionnelle du Bénin, il déclare : « L’exercice du pouvoir de régulation de la Cour Constitutionnelle a permis de reconnaître à des citoyens, leurs droits fondamentaux et de rappeler à des institutions, qu’elles ne sont pas dans la légalité ». Ingénieur des Télécommunications en service à l’Autorité de Régulation des Communications électroniques et de la Poste (Arcep), il se refuse de vouloir décerner une palme à la 6ème mandature de la Cour constitutionnelle, mais justifie qu’il est nécessaire de s’inscrire dans une logique de comparaison par rapport aux mandatures précédentes. Pour lui, « il faut reconnaître cet effort et surtout l’exercice d’une prérogative constitutionnelle déployée dans la mesure du possible ». Les différents avis recueillis vont dans le même sens et mettent l’accent sur le fait que les décisions de la Cour ont permis le respect des droits citoyens et la stabilisation de la démocratie béninoise. On note beaucoup d’opinions favorables à l’exercice de ce pouvoir de régulation des institutions de la République.

Toutefois, des préoccupations sont exprimées au sujet de la désignation des membres et de la non-exécution des décisions de la Cour dans l’exercice de son pouvoir de régulation des institutions.
Rencontré après une partie de sport ce samedi matin du 15 Juin 2019 au stade Général Mathieu Kérékou, Mendel Dansou trouve que « Si la Cour Constitutionnelle n’avait pas existé, il eut fallu la créer ». Plutôt technique, ce doctorant en droit privé à l’Université d’Abomey-Calavi va plus loin pour dire que « Si le rôle de régulation du fonctionnement des institutions de la République n’avait pas été confié à la Cour Constitutionnelle, la démocratie béninoise ne serait pas ce qu’elle est actuellement ». Il puise dans l’histoire politique pour montrer que toutes les mandatures de la Cour constitutionnelle ont toujours fait l’objet de polémique et de contestation de plusieurs de ces décisions en raison de son pouvoir fort qui ne tolère aucun recours pour ses décisions. Convaincu que ces contestations ne signifient pas que la Cour ne fait rien, Philémon Houndonougbo, technicien en Administration Générale et territoriale, confie que des avancées sont notées dans cette fonction de régulation dévolue à la Cour Constitutionnelle.

« Elle fait des efforts qui méritent qu’on l’encourage au lieu de la vilipender », recommande-t-il. Les différentes personnes interrogées passent en revue les décisions de l’actuelle Cour au sujet des actes et responsabilités des institutions et apprécient pêle-mêle. La loi n°2019-13 portant statut du personnel parlementaire en République du Bénin, déclarée non conforme à la constitution et la loi relative à la suppression des droits de grève à certaines catégories des travailleurs de l’administration retiennent l’attention de la majorité. Une autre décision qui retient aussi l’attention et l’avis des observateurs interrogés est celle par laquelle la Cour Constitutionnelle a rappelé à l’ordre l’Assemblée Nationale au sujet des prévisions de dépenses et recettes. Au-delà de ces points de préoccupation, certains insistent également sur ce qu’ils considèrent comme étant des limites de la Cour

Les limites de la Cour

La première pique à la Cour constitutionnelle et qui n’est pas spécifique à la 6ème législature est son incapacité à s’autosaisir, à prendre des sanctions ou à réprimer les institutions qui s’entêtent à ne pas exécuter les décisions rendues dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de régulation. « La Cour Constitutionnelle est fondée de faire des rappels à l’ordre lorsqu’elle constate qu’une institution de la République peut aller en conflit avec une autre », fait observer Yaovi Bob Liassidji, Agent à l’Université de Parakou. En s’appuyant sur la théorie du fonctionnement des institutions et de la fonction de régulation inscrite à l’article 144 de la Constitution, il insiste sur la saisine de l’institution.

Car selon lui, c’est une faiblesse que les membres de la Cour ne puissent pas s’autosaisir. « Il revient, précise-t-il, aux protagonistes d’un conflit potentiel de saisir la Cour pour prévenir le danger ». Pour étayer sa position, il se réfère à la crise préélectorale de mars à avril derniers au cours de laquelle des citoyens attendaient de la Cour Constitutionnelle ou exigeaient d’elle de donner son avis au sujet des diverses interprétations faites de l’article 242 du code électoral. En réaction, la Cour présidée par le Professeur Joseph Djogbénou a fait savoir qu’il revient aux acteurs politiques ou autres citoyens de saisir l’institution pour qu’elle rende une décision ou donne l’interprétation qu’il faut faire de cette disposition de la loi. Yaovi Bob Liassidji appelle les citoyens à prendre conscience de cela en prenant eux-mêmes l’initiative de la saisine de la Cour sans laquelle elle ne peut rendre une décision sur une question ou un problème querellé. « Au lieu de prêter des intentions aux membres de la Cour, c’est toujours mieux d’engager la procédure de saisine et c’est à travers la décision rendue qu’on peut apprécier ou juger l’institution à sa juste valeur », indique-t-il.

Ce jugement de valeur que dénonce Yaovi Bob Liassidji a aussi trait à la désignation des membres de la Cour. Objet de polémique et de critique depuis de nombreuses années, elle refait surface. Bienvenu Agbassagan, doctorant en droit à la Faculté de droit et de science politique de l’Université d’Abomey-Calavi, présente le tableau : « On dit de ses membres qu’ils n’ont pas une légitimité démocratique parce qu’ils ne sont pas élus. Dans le même temps, ses décisions, dans sa mission de régulation, ne sont pas toujours exécutées et sont même contestées par ceux qui n’y trouvent pas leurs profits tel que le pouvoir exécutif et à sa suite le pouvoir législatif ». A ce sujet, Philémon Houndonougbo constate que « la Cour Constitutionnelle, dans sa fonction de régulation des autres institutions, se trouve parfois incapable d’agir de façon objective pour contrer certaines décisions liberticides prises non seulement par le pouvoir exécutif mais aussi par le pouvoir législatif. ». Il interprète cela comme un abus de la politique politicienne qui conduit les membres de la Cour à faire la volonté des institutions qu’ils sont sensés réguler. « La conséquence est que la fonction de régulation est en train de perdre sa valeur parce que les hommes deviennent plus forts que les institutions », regrette-t-il en estimant qu’il faille que les membres de la Cour Constitutionnelle soient élus et non désignés pour l’efficacité et l’indépendance de la Cour. Mendel Dansou ne partage pas cet avis. Pour lui, aucune décision de la Cour ne peut faire l’objet d’une unanimité. « Les décisions de la Cour ne peuvent pas plaire à tout le monde, mais elles s’imposent à tout le monde », tranche-t-il pour justifier le caractère démocratique qui encadre cette institution et qu’elle protège depuis 1990 jusqu’à présent. Si la Cour n’avait pas ce pouvoir et l’exécute, chacun, selon Mendel DANSOU, serait livré à faire ce qu’il a envie de faire.

Cette argumentation ne convainc pas les tenants d’une Cour élue. Pour ceux-ci, une Cour Constitutionnelle dont les membres sont élus peut combler les attentes d’un peuple à travers ses décisions impartiales et démocratiques. « C’est possible », accepte-t-il en relevant cependant que « Ce n’est pas la panacée » dans la mesure où, bien qu’étant élus, les membres d’une Cour peuvent aussi délibérément choisir de prendre parti pour leurs intérêts. C’est donc une illusion que de croire que c’est forcément le mode électif qui peut garantir l’efficacité, la transparence et la bonne performance d’une Cour qui fera des miracles. Le plus important, c’est l’expérience, la compétence que doivent avoir les membres de la Cour, désignés ou élus et leur capacité à exercer en toute responsabilité, leur mission dans l’intérêt supérieur de la nation.