Le procureur de la République a annoncé que des « mesures coercitives » allaient être prises à l’encontre de Thomas Boni Yayi, après plusieurs reports de son audition par un juge d’instruction chargé d’enquêter sur les violences post-électorales. Les avocats de l’ancien président béninois dénoncent « une machination politique ».
C’est un nouvel épisode dans le bras de fer judiciaire qui se joue à Cotonou, dont les échos ont d’ores et déjà provoqué des violences meurtrières à Tchaourou et Savé, deux villes du centre du pays où des affrontements violents entre des partisans de l’ancien président béninois et les forces de l’ordre ont provoqué plusieurs victimes la semaine dernière. Au moins deux personnes sont tombées, victimes de tirs à balles réelles, dans ce fief de Boni Yayi, où une médiation est actuellement menée pour tenter d’apaiser les tensions.
« Implication personnelle » de Boni Yayi ?
Le procureur de la République Mario Metonou s’est montré particulièrement offensif à l’encontre de l’ancien président béninois, ce mardi. Il a notamment affirmé que des éléments du dossier de l’instruction actuellement en cours sur les violences post-électorales du 1er et 2 mai, montrent qu’il y a « une implication personnelle de l’ancien président de la République, M. Thomas Boni Yayi ».
Il a par ailleurs affirmé que les deux reports de l’audition de Thomas Boni Yayi dans le cadre de cette affaire ont conduit le juge du 4ème cabinet d’instruction du tribunal de première instance de Cotonou, Aubert Kodjo, à « envisager à son encontre la mise en œuvre de mesures coercitives ».
En clair, le procureur de la République affirme que le juge va délivrer un mandat d’amener visant l’ancien président béninois pour que celui-ci réponde aux questions du juge. Et le fait que le message du procureur de la République ait été relayé par les comptes officiels du gouvernement béninois sur les réseaux sociaux n’augure sans doute rien de très positif pour la médiation entreprise sous l’égide du président ivoirien. Le 12 juin dernier, Alassane Ouattara avait en effet dépêché à Cotonou Patrick Achi, secrétaire général de la présidence ivoirienne, pour tenter de sortir de la crise entre le président béninois Patrice Talon et son prédécesseur Thomas Boni Yayi.
Une « machination politique », selon les avocats
Une prise de position qui a déclenché la fureur des avocats de l’intéressé, qui ont prévu de tenir une conférence de presse, ce mardi en fin de journée à Cotonou. « La première chose qu’il convient de relever, c’est une grossière irrégularité de droit : en se faisant le porte-parole du juge d’instruction, le procureur a violé le dossier d’instruction et signifie de manière implicite qu’il y a une forme de connivence. Il y a confusion des rôles », accuse Me Renaud Agbodjo, l’un des avocats du collectif qui défend l’ancien président béninois, joint par Jeune Afrique.
Au-delà, c’est face au fond même des accusations portées par le procureur que l’avocat est le plus remonté. « Dès le 1er mai, lorsque la police a été envoyée pour bloquer la résidence de Thomas Boni Yayi, celui-ci avait été désigné comme un supposé commanditaire des violences. Cette prise de parole du procureur vient confirmer qu’il s’agit, depuis le début, d’une machination politique », a-t-il affirmé. « Thomas Boni Yayi dérange, il faut l’abattre. On ne lui pardonne pas de s’être élevé contre l’exclusion de l’opposition du scrutin des législatives », affirme l’avocat.
Cette annonce du procureur intervient après deux tentatives infructueuses du juge d’instruction d’auditionner l’ancien président béninois, les 7 et 12 juin dernier. Chaque fois, les avocats de Thomas Boni Yayi ont affirmé que leur client, souffrant, n’était pas en capacité de subir ces auditions.
Enquête sur les violences des 1er et 2 mai
Dans ce dossier, une soixantaine de personnes, arrêtées les 1er et 2 mai, ont été inculpées pour incitation ou participation à un attroupement armé. « La rigueur de la loi doit s’appliquer à tous, tout en tenant compte du statut particulier des anciens chefs d’État », a commenté auprès de Jeune Afrique Fidèle Marcos Kikan, directeur de l’antenne béninoise d’Amnesty International.
« Cependant, nous avons demandé une enquête approfondie et impartiale suite aux violences des 1er et 2 mai, et nous ne pouvons que dire notre déception de voir que l’enquête semble pour le moment ne s’orienter que sur la responsabilité des civils et des manifestants. Une enquête impartiale devrait également se pencher sur les responsabilités du côté des forces de l’ordre », insiste le directeur d’Amnesty.
Au lendemain des violences, l’ONG avait établi un rapport, affirmant notamment avoir documenté « la mort par arme à feu, d’au moins quatre personnes », évoquant notamment le cas d’« une mère de sept enfants » et d’un jeune de dix-neuf ans, tués par balles à Kandi, dans le nord du pays.
Autre inquiétude de ce défenseur des droits de l’homme : les conséquences possibles que pourraient avoir les « mesures coercitives » annoncées dans un climat politique déjà très tendu. « Cela risque de gêner la mission de pacification actuellement en cours à Tchaourou », pointe Fidèle Marcos Kikan.
Au moins deux personnes ont été tuées dans des affrontements qui ont éclaté dans cette ville du centre du Bénin et sa voisine, Savé, après l’arrestation dans la nuit du 9 au 10 juin de deux personnes suspectées d’avoir participé à des violences pré ou post-électorales. La voie reliant Cotonou à Parakou, axe essentiel pour l’économie du pays, avait été coupée, tandis que les affrontements entre forces de l’ordre et chasseurs traditionnels ont rapidement dégénéré en échanges de tirs.