Chaque année, le gouvernement du Bénin met en œuvre des initiatives qui visent à promouvoir le bien-être des enfants. Cette année encore, des crédits budgétaires sont alloués pour la prise en charge nutritionnelle des enfants. Mais les crédits peinent à répondre aux besoins des bénéficiaires.
Assise sur un banc dans le hall d’un Guichet unique de protection sociale (Gups) dans le Zou, dame VT est accompagnée de sa progéniture. Cinq enfants mineurs vêtus de tenues surannées et déchirées par endroits. Leurs habits, de même que leur corps semblent avoir reçus de l’eau depuis des jours. Les yeux hagards, ils ont le regard perdu dans le vide comme leur mère dont le visage maquille toute joie de vivre. Ils sont venus dans le centre pour chercher de la pitance. Jusqu’à 14 heures, heure de leur arrivée, les enfants n’ont rien mangé. Elle, non plus.
Nourrice victime d’un viol avec traumatisme invalidant du bras gauche et abandonnée par son mari, un paysan de situation économique précaire, dame VT vit avec les enfants dans une bâtisse en terre cuite vétuste à la toiture délabrée qui accroit leur misère pendant les pluies. Quand elle ne trouve pas une opportunité de travaux champêtres, elle est obligée de mendier afin d’offrir, ne serait-ce qu’un repas, aux enfants. C’est ainsi que parfois, elle se rend dans le service social pour attendre un geste de bienfaisance.
La situation d’indigence que vit dame VT et ses enfants n’est pas un cas isolé. Dans tous les Gups parcourus, durant notre enquête journalistique, le spectacle est presque identique. Des femmes, bébés au dos ou accompagnés d’enfants pouvant marcher, battent le macadam pour aller demander assistance. Elles espèrent juste un peu de nourriture pour leurs enfants. Des fois, elles arpentent de longs kilomètres avec les enfants avant d’atteindre les services sociaux. Mais, face à l’impossibilité de répondre à leurs besoins, elles retournent sur leurs pas.
« Nous n’avons pas de ligne budgétaire pour leur offrir à manger », informe un agent social de sexe féminin qui poursuit d’une voix chargée d’émotion : « Cela était possible quelques années plus tôt grâce au Fonds mondial qui nous permettait d’offrir des kits alimentaires à un nombre important d’enfants orphelins ou indigents. » Elle ajoute : « Touchés par certains cas, nous déboursons de l’argent de nos poches pour leur donner un instant de sourire, ne serait-ce qu’un tout petit instant. »
Cependant, grâce aux subventions actuelles de l’Etat, les Gups peuvent aider des femmes indigentes, veuves ou violentées à entreprendre afin de prendre en charge leurs enfants. Ce que confirme le responsable d’un autre Gups dans le département :
« Nous offrons du secours temporaire aux femmes afin qu’elles entreprennent des activités génératrices de revenu pour leur autonomisation grâce à une dotation du budget national. » Le secours temporaire est de 60.000F CFA ou la moitié selon le cas. En dehors de cela, les Gups reçoivent une subvention de l’Unicef qui leur permet d’offrir du repas chaud à des enfants victimes de violence ou à des enfants de la rue. « Quand nous recevons des enfants en situation de vulnérabilité, nous leur offrons du repas chaud, en attendant la procédure pour leur placement dans une structure d’accueil », renseigne le chef Gups.
En effet, à l’analyse de la loi de finances gestion 2025, le gouvernement a mis à la disposition des Gups près de 513 millions de francs CFA pour l’assistance sociale aux couches vulnérables. Mais il n’existe pas dans le budget, la question spécifique de la nutrition des enfants, malgré que « le budget alloué aux secteurs sociaux soit sans cesse croissant, passant de 32,6 % en 2019 à 43,4 % en 2025 et l’augmentation du budget de la santé en rapport avec l’enfance, passé de 87 milliards à 150 milliards de francs CFA ». Ce progrès annoncé par les autorités du ministère des affaires sociales et de la microfinance le 17 juin 2025, lors de la commémoration de la Journée de l’Enfant africain, placée sous le thème « Planification et budgétisation des droits de l’enfant : progrès depuis 2010 », montre qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire en faveur des enfants.
Récurrence des enfants malnutris
Au Bénin, la prise en charge nutritionnelle des enfants vulnérables repose sur des interventions ciblées pour lutter contre la malnutrition, notamment la malnutrition aiguë sévère. « Nous référons les enfants qui soufrent de malnutrition vers les centres de santé pour leur prise en charge nutritionnelle », affirme une assistante sociale en poste à Parakou. Puis, elle nuance : « Quand il s’agit de malnutrition modérée, nous donnons des conseils de nutrition à la mère suivi de démonstrations diététiques à domicile. » Ces démonstrations diététiques consistent à apprendre aux femmes à préparer des bouillies enrichies à base de céréales, légumineuses et autres nutriments importants.
Dans un centre de santé de la ville, une dame sert entre les bras un enfant d’environ douze mois. Il a l’air fatigué, presqu’endormi les yeux ouverts, silencieux et dépéri. Il vient d’être ausculté par le médecin chef qui déclare : « Cet enfant souffre de la malnutrition sévère. » Le médecin chef explique que les centres de santé ont le devoir de prendre en charge gratuitement les enfants âgés de 06 mois à 05 ans qui souffrent de la malnutrition jusqu’à leur rétablissement total. « Nous référons les enfants de moins de six mois vers les hôpitaux », renchérit-il. Il ajoute également que, périodiquement, ils organisent des campagnes de dépistage des enfants malnutris couplés souvent avec la vaccination, grâce à des partenaires comme Enabel, Unicef et Oms. Des relais communautaires descendent dans les communautés pour vérifier l’état de santé et nutritionnel des enfants. « Une fois un cas dépisté, apprend le médecin, les relais signalent cela à leur point focal qui se déplace avec des équipements de dépistage pour la confirmation. » Une fois le cas confirmé, la prise en charge gratuite est aussitôt déclenchée jusqu’à la guérison de l’enfant. A ce niveau également, un suivi à domicile est fait. Une éducation nutritionnelle est donnée aux parents comme cela se fait par les assistants sociaux. En plus, le centre de santé offre à l’enfant malnutri, de la supplémentation en micronutriments, de la vitamine A, etc.
Suivant les normes de l’Oms et de l’Unicef, « la malnutrition chronique au Bénin est considérée très élevée faisant d’elle un sérieux problème de santé publique et de développement ». Un constat que vient corroborer la Direction de la santé, de la mère et de l’enfant, en appuyant que « le pourcentage des ménages ayant une consommation alimentaire pauvre/limite est significativement plus élevé dans les zones rurales (30%) que dans les zones urbaines (15%) ».
Selon le communiqué du Conseil des ministres du 24 janvier 2024, « la malnutrition, en plus d’être la cause sous-jacente de plus de 45% des décès d’enfants de moins de 5 ans est, dans sa forme chronique, un obstacle au développement et à la valorisation des ressources humaines ». Ainsi, poursuit le communiqué du Conseil, grâce aux interventions de l’Etat, la prévalence de la malnutrition aiguë au Bénin s’est améliorée pour s’établir, suivant la dernière Enquête démographique et de santé (Eds) à 5% en 2018, tandis que celle de la malnutrition chronique, suivant la même trajectoire positive, est descendue à 32,2% en 2018. Ceci, grâce à divers instruments parmi lesquels l’élaboration d’une Politique du secteur de la santé pour la nutrition (Pssn) pour la période (2016-2025), en lien avec l’Examen stratégique national Faim zéro au Bénin à l’horizon 2030.
Ecoliers nourris à 25F CFA
« Aujourd’hui, nous sommes à un taux de couverture de 80% des écoles dans tout le pays avec 28 milliards de francs CFA. » Cette déclaration est du Directeur général du Budget, Rodrigue Chaou, intervenant à propos du niveau que le Bénin a atteint en matière de cantine scolaire pour l’année académique 2024 – 2025. Au total, 1.374.955 écoliers ont bénéficié de repas chaud entre midi et quinze dans les écoles primaires publiques au Bénin durant toute cette année scolaire. Selon le Directeur général du Budget national, le gouvernement a pour ambition de couvrir « 100 % des écoles publiques de notre pays où le budget des cantines scolaires va tutoyer les 35 milliards. »
Du coup, chaque matin, il est procédé, dans les écoles bénéficiaires, à la collecte de 25F CFA auprès de chaque enfant désireux de prendre le repas de midi à la cantine. Le maître-cantine, un des instituteurs de l’école, calcule ensuite la quantité de vivre à sortir pour la préparation du repas sur la base du nombre d’enfants inscrits.
« Certains enfants, bien qu’étant dans le besoin de prendre le repas de midi à l’école, ne trouvent pas les 25F CFA à donner », déplore le maître-cantine d’un groupe scolaire dans la commune de Djidja. Or c’est avec ces 25F que les condiments pour préparer le repas sont achetés. Pire, il est exigé que le nombre de plats réalisés corresponde exactement au nombre d’enfants ayant souscrit. Alors, « je me vois obliger de payer, confie-t-il, pour quelques uns afin qu’ils puissent également manger comme leurs camarades parce que leurs parents ne trouvent pas tous les jours la modique somme à leur donner. »
Chaque école primaire publique, pour sa cantine, reçoit une dotation de vivres deux à trois fois au cours de l’année scolaire. Des organisations paysannes et autres structures sont sélectionnées à cet effet. Tout est réglementé, ordonné et suivi à la lettre. « Moi, il m’est déjà arrivé de refuser du haricot que la structure auprès de laquelle nous avons l’obligation d’acheter nous avait livré », témoigne une institutrice réquisitionnée maîtresse-cantine dans son école à Covè. Elle ne pouvait pas prendre les vivres parce que cela pourrissait déjà. Surtout, le haricot est très vite attaqué par des charançons et n’est plus agréable pour la consommation.
En vérité, les vivres généralement livrés aux écoles sont le pois jaune, diverses autres variétés de haricot, du maïs, du riz… des céréales qui se gâtent assez vite surtout quand elles sont mal conservées ou exposées aux intempéries. Or, la question de la santé des enfants est primordiale dans cette affaire. Même si procurer du repas aux enfants, permet de leur donner du sourire à midi contre la modique somme de 25F CFA, pour un plat généralement de 150 grammes, il faut tenir compte de la qualité des vivres.
Ainsi, l’action de l’Etat doit s’intensifier pour combler rapidement les écarts parce qu’à travers le pays circulent encore à jeun beaucoup d’enfants. Ils viennent de familles qui végètent dans l’indigence absolue. Car, la loi 2015-08 du 08 décembre 2015 portant code de l’enfant en République du Bénin stipule que l’Etat et ses démembrements prennent toutes les mesures appropriées pour « assister les parents ou toutes autres personnes responsables de l’enfant pour les aider à s’acquitter de leurs devoirs vis-à-vis de l’enfant ».
Fortuné SOSSA ( Collaboration particulière)