Elections présidentielles au Bénin à l'ère de la réforme du système partisan : Suscitation de candidatures, une pratique qui heurte peut-être la conscience de certains citoyens

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Monsieur Latifou LAGNIKA, Professeur titulaire à l’Université d’Abomey-Calavi aborde  un sujet d’actualité en politique. Il s’agit de la «suscitation de candidatures à des élections présidentielles au Bénin». A travers un titre pathétique :«Une pratique qui heurte peut-être la conscience de certains citoyens dans le contexte actuel de la réforme du système partisan», Professeur  LAGNIKA nous convie à revivre les propos de Barack Obama qui en juillet 2009 déclarait dans son discours à Accra: « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ». Professeur  LAGNIKA met la phrase de l’ancien président des Etats-Unis dans le contexte du discours à l’instar de celle « de quartier latin » prêté à Mounier. Il chute enfin par une exhortation: «Les hommes forts d’aujourd’hui  aideront avec la pression citoyenne des populations à la mise en place des institutions fortes de demain». Lire l’opinion du Professeur titulaire.

Lorsqu’un ami est venu me voir pour me dire qu’on est entrain de le solliciter pour faire partie de la coordination départementale du mouvement de suscitation de la candidature d’une personnalité aux prochaines élections présidentielles, je n’ai pas pu m’empêcher de lui montrer ma surprise.  Et que vas-tu faire ? lui ai-je demandé. Je crois que je vais donner mon nom, histoire d’être là plus tôt,  avant mes proches, pour bénéficier de toutes les retombées qui ne manqueront pas. Et que vont penser les dirigeants de ton parti ou bien tu en as démissionné lui ai-je encore demandé ?

Dans un pays engagé dans le système démocratique, les principaux dirigeants notamment le Président de la République et les Députés  sont désignés par des élections conformément à la constitution propre à chaque pays avec comme acteurs déterminants, les partis politiques.

Depuis le contexte post conférence nationale de 1990, notre pays a organisé :

  • 7 élections présidentielles : 1991, 1996, 2001, 2006, 2011, 2016 et 2021 avec alternances au sommet de l’Etat ;
  • 9 élections législatives : 1991, 1995, 1999, 2003, 2007, 2011, 2015, 2019 et 2023.

Mais avant, nous avons connu sur le plan politique, des fortunes diverses, notamment de 1960 à 1990.

Ainsi, de 1960 à 1972, notre pays a vu à sa tête les personnalités ci-dessous même si certaines ne l’ont été que pour des périodes d’intérim (Gbêgnito et Lagnika, 2017).

  • Hubert Maga : 1eraoût 1960 – 27 octobre 1963 ;
  • Christophe Soglo : 27 octobre 1963 – 25 janvier 1964 ;
  • Sourou Migan Apithy : 25 janvier 1964 – 27 novembre 1965 ;
  • Justin Ahomadégbé : 27 novembre 1965 – 29 novembre 1965 ;
  • Tahirou Congacou : 29 novembre 1965 – 22 décembre 1965 ;
  • Christophe Soglo : 22 décembre 1965 – 19 décembre 1967 ;
  • Jean-Baptiste Hachémè : 19 décembre 1967 – 20 décembre 1967 ;
  • Maurice Kouandété : 20 décembre 1967 – 21 décembre 1967 ;
  • Alphonse Alley : 21 décembre 1967 – 17 juillet 1968 ;
  • Emile Derlin Zinsou : 17 juillet 1968 – 10 décembre 1969 ;
  • Maurice Kouandété : 20 décembre 1969 – 23 décembre 1969 ;
  • Paul Emile De Souza : 23 décembre 1969 – 7 mai 1970 ;
  • Hubert Maga : 7 mai 1970 – 7 mai 1972 ;
  • Justin Ahomadégbé : 7 mai 1972 – 26 octobre 1972 ;
  • Mathieu Kérékou : 26 octobre 1972 – 4 octobre 1991.

Si en 1972, c’est un coup d’Etat militaire qui institua un régime que leurs auteurs ont eux-mêmes baptisé de révolutionnaire, en 1990 ce fut par des assises originales rentrées dans l’Histoire sous le nom de Conférence nationale des forces vives de la Nation que  fut ouverte la porte d’entrée d’un certain espoir : le Renouveau démocratique.

Il faut souligner pour s’en féliciter que notre pays connaît depuis lors une stabilité politique avec le fonctionnement des Institutions prévues dans la constitution en vigueur.

Quatre alternances ont été pacifiquement obtenues au sommet de l’Etat depuis ce temps : 1991, 1996, 2006 et 2016 avec l’élection des Présidents suivants :

  • Nicéphore Soglo : 4 avril 1991 – 4 avril 1996
  • Mathieu Kérékou : 4 avril 1996 – 6 avril 2006
  • Boni Yayi : 6 avril 2006 – 6 avril 2016
  • Patrice Talon : au pouvoir depuis le 6 avril 2016

Les prochaines élections sont prévues pour 2026. Elles sont déjà la préoccupation ouvertement  de quelques compatriotes et toutes les semaines, nous lisons et regardons à travers les médias, des activités liées à la suscitation de candidats de telle ou telle autre personnalité. Ce n’est pas nouveau mais entre temps, les règles ont  évolué me semble t-il. Est-ce déjà la fin du regroupement des  partis de blocs politiques actuels quand on connait pour qui roulent les animateurs de ces suscitations ?

J’ai vu mes compatriotes écrire et déclarer que ce qu’il nous faut, c’est des institutions fortes en citant un extrait du discours du Président Barack Obama prononcé à Accra au Ghana le samedi 11 juillet 2009. Avons-nous déjà réalisé tous les préalables pour y arriver ?

Je me propose de partager ma réflexion sur ces différentes préoccupations à travers les points suivants :

– la réforme du système partisan appliquée aux partis politiques chez nous ;

– le militantisme et la propagande de la suscitation de candidats en ce moment hors des partis politiques ;

– la compréhension que j’ai du discours d’Accra du Président Obama.

I- La réforme du système partisan appliquée aux partis politiques chez nous 

Le diagnostic fait de l’animation d’avant 2016 de la vie politique a montré des limites qu’il  était nécessaires de corriger.

C’est pourquoi le législateur béninois a compris l’enjeu et a tenté de les résoudre lorsqu’il a initié et adopté la Loi n°2018-23 du 17 septembre 2018 portant Charte des partis politiques au Bénin. Il s’agit d’un arsenal juridique à travers duquel il amorce un processus positif dans le sens de l’amélioration du système partisan au Bénin. Cette charte définit les partis politiques, les modalités de leur création, de leur organisation et de leur fonctionnement.

Ainsi, « Les partis politiques sont des groupes de citoyens, partageant des idées, des opinions et des intérêts communs et qui s’associent dans une organisation ayant pour objectif de conquérir et d’exercer le pouvoir, et de mettre en œuvre un projet politique ».

Les dernières consultations notamment les élections législatives du 8 janvier 2023 ont montré les difficultés de gouvernance au niveau de tous ces regroupements qui font craindre pour leur avenir. N’en prenons pour preuves que les nombreuses contestations issues des positionnements de candidats.

 

II-  Le militantisme et la propagande de la suscitation de candidats en ce moment hors des partis politiques

Pourquoi encourager en ce moment, à faire une propagande si ouvertement avec tant de moyens matériels pour  une élections présidentielle prévue pour dans trois ans,  en dehors des mécanismes prévus par les partis politiques dans le choix de candidats. Est-ce parce que d’autres l’ont fait avant, qu’il faille continuer alors qu’on a réfléchi et mis en place une réforme du système partisan ? Ces agissements ne peuvent-ils pas être assimilés à une stratégie de déstabilisation des partis issus des réformes d’après 2016.

Un parti politique c’est entre autres, des militants, une idéologie et des stratégies de mise ensemble. Tous souhaitent gérer une partie du pouvoir d’Etat. On peut définir le militant comme la personne qui lutte, combat et s’engage dans l’action pour défendre ses opinions, la personne qui milite au sein d’une organisation politique ou syndicale, d’un mouvement religieux. Les militants actifs sont ceux qui par leur savoir-faire, permettent aux partis d’atteindre des résultats concrets pour leur permettent d’exister. A côté, il y a les autres qui sont dans les partis pour voir leurs conditions personnelles de vie améliorées et ceci à très court terme. Certains exigent même quelque fois, la satisfaction de leurs exigences avant les élections dans lesquelles on veut les engager. Des responsables de partis politiques ont perdu certains « militants » pour n’avoir pas réussi à faire nommer ceux-ci dans l’administration publique : d’autres pour n’avoir pas honoré des ordonnances médicales ou autres libéralités.

La définition d’une idéologie claire compatible avec les attentes de notre société, l’instabilité décisionnelle qui se traduit par la transhumance politique de certains leaders, la crise de confiance au sein des partis politiques, la gestion dite solitaire contestée par les militants à la base, le manque de militantisme avec des exigences personnelles de militants, la propension des militants à la recherche du gain facile sont autant d’éléments que nous avons pensé voir la réforme du système partisan corriger.

Et que fait-on des militants de partis politiques qui sont parmi les initiateurs des activités de suscitations sans même chercher à supputer sur l’origine du financement.

Et si leurs candidats n’étaient pas au finish ceux des partis politiques. Ou bien si dans l’autre hypothèse malgré les partis politiques, leur candidat devient Président de la République ? On va recommencer à lui chercher une majorité de députés à l’Assemblée nationale : comme d’habitude.

Il est temps que nous puissions dire certaines choses pour enfin amorcer le développement de ce pays. La politique oui mais le développement encore plus mais l’autre avait dit que « l’émotion est nègre ».

Que va-t-il se passer à partir de maintenant ? Nous sommes à environ trois ans des élections. On met le pays en campagne électorale si précocement. Qu’est-ce qui urge ? Quand est-ce qu’il faut parler de militants forts et aussi d’institutions fortes ?

 

III- La compréhension que j’ai du discours d’Accra du Président Obama

Le 13 juillet 2009, le quotidien français Le Monde publie un article extrait du discours du président Barack Obama prononcé à Accra le 11 juillet 2009  avec comme titre : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ». Mettons cette phrase dans le contexte du discours à l’instard de celle « de quartier latin » prêté à Mounier.

En réalité le Président Barack Obama compare « la lutte politique du moment de la génération de son père (un Kényan) à son parcours à lui-même ».

Nous devons déclare-t-il  « partir du principe qu’il revient aux Africains de décider de l’avenir de l’Afrique. Je dis cela en étant pleinement conscient du passé tragique qui hante parfois cette partie du monde.  

Dans de nombreux pays, l’espoir de la génération de mon père a cédé la place au cynisme, voire au désespoir. Certes, il est facile de pointer du doigt et de rejeter la responsabilité de ces problèmes sur d’autres. Il est vrai qu’une carte coloniale qui n’avait guère de sens a contribué à susciter des conflits, et l’Occident a souvent traité avec l’Afrique avec condescendance, à la quête de ressources plutôt qu’en partenaire.

Comme je l’ai dit au Caire, chaque nation façonne la démocratie à sa manière, conformément à ses traditions. Dans toute l’Afrique, nous avons vu de multiples exemples de gens qui prennent leur destinée en main et qui opèrent des changements à partir de la base.

Alors ne vous y trompez pas : L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions. L’Amérique ne cherchera pas à imposer un système quelconque de gouvernement à aucune autre nation. La vérité essentielle de la démocratie est que chaque nation détermine elle-même son destin. Avec une meilleure gouvernance, je ne doute pas que l’Afrique tiendra sa promesse de créer une plus vaste base pour la prospérité » (ASPJ Afrique &Francophonie, 2009, 7-9).

Alors question, les institutions fortes viendront d’où ? Dans son pays, il a fallu l’existence d’hommes forts et de circonstances favorables pour leur laisser une démocratie dans son état actuel. Et comme l’a dit le Président Patrice Talon devant les entrepreneurs de France le 30 août 2022 :

« Nous avons besoin de faire les efforts que vos parents, vos ancêtres ont fait, il y a quelques décennies, quelques siècles. La France a été construite par les efforts soutenus de vos ancêtres, ce qui fait qu’aujourd’hui, vous avez quelque chose à partager et qui fait que vous avez besoin d’un système plus équilibré pour avoir un partage équilibré des choses. Mais dans nos pays on n’a encore rien fait du tout ! C’est maintenant que les africains ont besoin de construire leurs pays pour les générations à venir. Ce qui permettra aux autres de demain d’être plus exigeants parce que les efforts ont été faits maintenant. Il faut le temps des efforts ».

Les hommes forts d’aujourd’hui  aideront avec la pression citoyenne des populations à la mise en place des institutions fortes de demain.

Cotonou, le 18 Juillet 2023

 

Latifou LAGNIKA, Professeur titulaire,

Université d’Abomey-Calavi,

Faculté des Sciences et techniques

(téléphone  97604889)