Réflexion de Jean-Roger Ahoyo:Démocrate ou Kakistocrate ?

Chronique

D’où vient ce terme « barbare » de kakistocrate ? Je me dois de commencer ma réflexion par cette explication. Le mot dérivé de deux termes grecs : Kakistos, qui est un superlatif de mauvais, donc pire, et Kratos qui signifie pouvoir. Cf. Le Monde Diplomatique N°795- Juin 2020 P.28

Le mot, même s’il n’est pas courant, apparaît dès le 17ième siècle et la Kakiscratie peut se traduire par le Gouvernement des pires. C’est l’ascension politique des citoyens les moins qualifiés et les moins scrupuleux.

J’ai lu récemment dans la presse (Cf. Evènement précis n°2277 du Vendredi 07 août 2020) que l’ancien Président Boni Yayi a entrepris de créer un nouveau parti sous la dénomination de « Les Démocrates ». C’est mon ami Eric Houndété, ancien militant Force-Clé/Union fait la Nation, qui est présenté comme le numéro un de cette nouvelle formation. Après avoir combattu YAYI durant ses deux mandats, le voici lancé dans une aventure que je me permets de qualifier de hasardeuse !

Comment Boni Yayi, que je qualifie de kakistocrate à cause de son bilan calamiteux, peut-il bâtir un parti véritablement démocratique ? Voilà le pari improbable sur lequel s’engage M. E. Houndété !

Ce n’est pas parce que le mot commence par kaki qu’il faut penser à un régime militaire, voire une dictature militaire. Chacun sait que le Président Yayi ne s’habille pas en kaki et n’est pas un militaire. Il a beau être partisan de la dictature du développement, chère à Mr Simon Narcisse Tomety(1), le régime qu’il a instauré n’a rien à voir avec une dictature militaire !

Si je qualifie le Président Yayi de kakistocrate, c’est à cause des résultats qu’il a obtenus et des pratiques qu’il a développées au cours de ses deux mandats, de 2006 à 2015. La kakistocratie comportant deux aspects (Gouvernement des moins compétents, et pouvoir des moins scrupuleux) je vais présenter brièvement un bilan de la gouvernance de Yayi en 2 volets

  1. L’incompétence au pouvoir

Un ‘’ gouvernement ventilateur’’ Je me souviens que c’est le député Timothée GBEDIGA(2) qui a fait ce constat lors de l’émission ‘’ Carte sur Table’’ de la Radio OCEAN FM, (Cf. Le Matinal n° 3121 du Lundi 15 Juin 2009), après avoir déclaré : « Je n’ai jamais vu un Gouvernement changer quatre (04) Ministres des Finances en 24H ! »

Avec Yayi, nous sommes allés d’improvisations en improvisations, dans le cadre d’une absence totale de programme, aggravée par une absence évidente de méthode.

Le résultat prévisible dans ces conditions, est l’échec cuisant auquel nous avons abouti

(1) Mr Simon-Narcisse Tomety est l’auteur de : ‘’ La Dictature de Développement : un nouveau paradigme d’économie politique à la béninoise, ou un chemin de l’égarement ?’’

(2) Certains attribuent l’image de ‘’ Gouvernement ventilateur’’ plutôt au Président Houngbédji !!! C’est à vérifier.

  1. L’absence de dialogue social

La Présidence de Yayi a été marquée par des grèves à répétition, aussi bien à l’école que dans le domaine de la santé. Tout le monde se souvient des grèves sans service minimum des personnels de la santé, qui ont transformé le Cnhu en mouroir ! Au grand scandale des populations impuissantes !!!

Le résultat de ce spectacle de désolation, c’est le recadrage du droit de grève intervenu sous la Rupture. Et, de façon inconséquente, vous verrez bientôt nos fameux ‘’ Démocrates’’ se mettre à dénoncer la suppression du droit de grève sous Talon !

  1. Absence de maîtrise de l’appareil gouvernemental.

Le Président Yayi remaniait sans arrêt son Gouvernement qui était, par ailleurs, pléthorique. Les effectifs oscillaient de 22 membres (3 gouvernements) à 30(5 gouvernements !). J’ai calculé que 24 Gouvernements ont défilé, totalisant 449 ministres. La fonction ministérielle a été banalisée dans le cadre d’une gestion désastreuse des cadres de la Nation !

Beaucoup de gouvernements se sont succédé au bout de quelques jours : Exemples :

– 10 jours entre le 3ième gouvernement crée par le décret n° 2006-613 du 19 Novembre 2006 et le 4ième Gouvernement créé par le décret n° 2006-622 du 22 Novembre 2006

– 5 jours entre le 8ième (décret 2008-636 du 22 octobre 2008) et le 9ième (Décret n° 2008-637 du 27 octobre 2008)

– 3 jours entre le 11ième (Décret 2009-240 du 9 juin 2009) et le 12ième (Décret 2009-260 du 12 juin 2009)

Le ridicule a été atteint quand le 10ième Gouvernement (décret 2009-239 du 09 juin 2009) a été remplacé le même jour, par le 11ième (décret 2009-240  du 9 juin 2009) pour sortir Mana Soulé Lawani et confier son intérim à Koupaki !!!

La plupart des gouvernements de Yayi ont survécu pendant 1 mois à 11 mois !

Ce remaniement perpétuel a fait défiler

– 8 Titulaires au Ministères de l’Intérieur

– 6 Titulaires aux Finances

– 6 Titulaires à l’Agriculture

– 5 Titulaires aux Affaires étrangères

– 5 Titulaires à la Santé

Cette durée limitée au poste n’a pas permis à ces Ministres de s’en sortir avec un bilan satisfaisant !

L’instabilité Gouvernementale due à l’incompétence de Yayi lui-même, a ainsi impacté négativement le rendement des ministres, même si leur compétence est avérée par ailleurs !

De son premier gouvernement (décret n° 2006-178 du 08 avril 2006) au dernier (décret n°2015-370 du 18 juin 2015), Yayi a nommé et usé près de 500 Ministres dans le cadre d’un gaspillage des ressources humaines doublé d’une banalisation de la fonction ministérielle ; dans ses Gouvernements de remerciement, il a fait défiler, à côté de personnalités de valeur, de nombreux oiseaux aux plumages variés.

  1. Une Gouvernance politique calamiteuse marquée par :
  2. a) Une violation incessante de la Constitution et des lois
  3. b) Un foulage au pied du principe de la séparation des Pouvoirs par l’embrigadement des Institutions de contre-pouvoir

– La HAAC a été instrumentalisée pour :

  • Bâillonner la presse privée par des contrats liberticides
  • Mettre au pas la presse officielle- L’Ortb était devenu la Voix de son Maître du Pouvoir en place !

– Le Président de l’Assemblée Nationale était devenu les Président ‘’ PI-Pan’’ parce que l’Assemblée s’était mise à fonctionner en duo avec l’Exécutif. Quand Yayi disait PI !, Nago répondait Pan ! Dès le départ il a réussi à Contrôler l’Assemblée en constituant une majorité parlementaire en faisant signer des procurations aux députés du G13 ! C’est Yayi qui a introduit la pratique malsaine des procurations dans notre système politique

– Même la Cour de Holo, par ses contorsions, a fini par se faire accuser par Azannaï ‘’ d’une inadmissible légèreté’’ Cf. La Presse du Jour n° 1939 du 29 juillet 2013

  1. c) Les limitations des libertés fondamentales à travers l’interdiction des marches pour Dangnivo, les tentatives pour créer des syndicats fantoches, qualifié de ‘’ patriotes’’, notamment à la Douane et dans l’Enseignement.

Cette incompétence étalée se double d’une méchanceté réelle, dénoncée par le Juriste Norbert Chogolou dans le Matinal n°5592 du 3 juin, à la page 11

Il cite parmi ses victimes ;

– Mr René Azocli du Padme, un fleuron du paysage financier (Micro finance) qu’il s’est acharné à détruire

– Andoche Amegnisse, qu’il a jeté en prison pour outrage à sa personne. Je fais partie de ceux qui aidaient Andoche en prison. Un fait du Prince !

– Lionel Agbo qui a dénoncé la corruption et qui a dû fuir en Exil après un procès abusif

– Janvier Yahouédéou, poursuivi pour offense au Chef de l’Etat après une déclaration sur Icc/Services

– Cyr Kouagou, Directeur général de la Communauté électrique du Bénin contre lequel il a instrumentalisé une enquête pour l’enlever de la Ceb ; mais il a échoué grâce à l’opposition du Pdt du Togo !

L’autre face de la kakistocratie, c’est l’absence de scrupules.

  1. Le régime des scandales.

Le Président Yayi est le plus jeune de tous les Présidents qui ont eu à diriger notre pays. Mais, paradoxalement, c’est son régime qui a été le plus dévastateur, le plus calamiteux !

En effet nous avons assisté, pendant 10 ans, à un spectacle honteux de scandales. Au point que le n° 636 de La Lettre du Continent, du 12 juillet 2012 a pu écrire : «  Bénin : Boni Yayi, roi des  éléphants blancs ! ». Quels sont ces éléphants blancs ? Citons les plus importants :

  1. a) Le Icc/Services. Une gigantesque escroquerie qui a ponctionné plus de 160 milliards de l’épargne nationale, ruinant ainsi de nombreux citoyens dont beaucoup de gagne-petit. Un véritable drame national. Non seulement le Gouvernement a été incapable de prévenir ce forfait malgré les outils dont il disposait, mais aussi et surtout, il a étalé au grand jour son inefficacité à récupérer la somme en cause. Le Dr Boni Yayi s’est contenté, lors de la cérémonie de son investiture pour les échéances électorales de Mars 2011, de promesses de remboursement s’il est réélu ! Mais c’est après avoir décidé, par pure méchanceté, de faire de son Ministre de l’Intérieur, Armand Zinzindohoué (pourtant très zélé), un bouc émissaire envoyé devant la Haute Cour de Justice.
  2. b) Les villas de la Cen-Sad. Quatorze villas pour un coût de 70 milliards ! Une entreprise gigantesque de surfacturations et d’exonérations fiscales ciblées, profitables à ses proches ! Le cynisme faisant partie de son mode de fonctionnement, il a tenté de se décharger sur son Ministre des Finances de l’époque, Mana Soulé Lawani. Comme pour Armand Zinzindohoué, il l’a fait traduire devant la Haute Cour de Justice. Malheureusement pour lui, le Ministre Lawani a réagi promptement en publiant un mémorandum mettant à nu les grosses ficelles de ce dossier désastreux !
  3. c) Le scandale des machines agricoles. Il s’agit de l’acquisition de 50 tracteurs dans le cadre du Programme de promotion et de mécanisation agricole (Ppma). Un modèle d’improvisation qui nous a coûté 18 milliards ! La plupart de ces engins sont devenus aujourd’hui des épaves, rouillant dans nos campagnes.
  4. d) La Centrale Electrique Maria Gléta I. D’une puissance prévue de 80W, la Société californienne Cia devait installer ses turbines en 18 mois pour 40 milliards. Ces turbines n’ont jamais été livrées ; d’où un échec qui nous a couté 20 milliards. A sa place, la Centrale Maria Gleta II a été réalisée sous la Rupture, qui nous assure, avec des sources complémentaires, une autonomie énergetique à hauteur de 60% ! Maria-Gleta III est en cours de lancement pour nous donner une autonomie énergétique totale, avec la possibilité d’exporter du courant !
  5. e) Le siège du Parlement à Porto-Novo, qui se dresse à l’entrée de la ville comme le symbole de la Corruption. Il nous a couté 14 milliards ! Le régime de la Rupture a dû abandonner ce chantier et lancera prochainement la construction de notre parlement à Ouando
  6. f) L’avion présidentiel dont l’achat nous a coûté au moins quatre milliards et dont le dossier n’a pu être étouffé, malgré des tentatives dans ce sens !
  7. g) L’achat d’intrants agricoles pour 40 milliards, dans le cadre de la Campagne cotonnière 2014-2015. Cf Nouvelle Tribune n° 2787 du Jeudi 5 Mai 2014p 12. Au total, ce sont 90 milliards qui ont été investis dans le coton sans réussir à arrêter son effondrement. Partie de 427.709 tonne en 2005 la production, s’est effondrée à 158.847 tonnes en 2010 pour se retrouver autour 140.000tonne en 2015 !
  8. h) L’affaire des 14 milliards de la Sobemap, pour l’acquisition d’engins et de matériels de manutention Cf. La Presse du Jour n° 2137 du mardi 20 mai 2014 p. 11 et n) 21 77 du Jeudi 17 juillet 2014 p.19
  9. i) L’affaire du décaissement frauduleux de 2 milliards à la Sbee quand Mr Barthélémy Kassa était Ministre de tutelle
  10. j) Enfin, et toujours avec le Ministre Kassa, le scandale PPEAII qui nous a couté 6 à 8 milliards !

Le régime du Président Yayi a débuté dans la corruption avec l’affaire Cen-Sad en 2007/2008, pour finir dans la corruption par le scandale Ppeaii en 2015. Pendant 10 ans, nous avons assistés, impuissants et la rage au cœur, à une valse scandaleuse de milliards ! Le Président Bruno Amoussou a eu raison de dire qu’avec Yayi nous avons changé d’échelle : Avant les voleurs opéraient avec des cuillères à café ; désormais, ce sont des louches qu’ils manipulent avec dextérité !!!

Mais en réalité, pour clôturer le bilan de Yayi, il faut ajouter 3 scandales :

– Le scandale de sa rémunération. Le Président Yayi n’a jamais voulu communiquer sur les indemnités qu’il percevait. Mais le Matinal du 11-03-2014 a publié un tableau comparatif des salaires des Chefs d’Etat Africains qui a révélé qu’il s’attribuait 17.056.000F Cfa par mois !!! Très loin devant :

– Allasane Ouattara = 4.788.800F Cfa (Cote d’Ivoire)

– Ibrahim Boubacar Keita= 3.499.750F Cfa (Mali)

– Ellen JohsonSirleaf=       3.588.330F Cfa (Liberia)

– Denis Sassou-N’Guesso = 5.000.032F Cfa (Congo)

– Jacob zuma = 12.955.840F Cfa (Afrique du Sud)

– Uhuru Kenyatta = 6.964.096F Cfa (Kénya)

– HifikepunyePohamba = 6.046.352 (Namibie)

Il écrasait ses voisins :

– Du Burkina Faso où Blaise Compaoré se contentait de 1.669.500 F Cfa !

– Du Nigeria ou Goodluck Jonathan n’avait que 852.800FCfa !

Sur cette liste, les Présidents de l’Ethiopie et de la Tunisie apparaissent comme des miséreux, avec, respectivement, 161.376F Cfa et 787.200F Cfa !

Ce salaire faramineux, prélevé (pour ne pas dire volé) sur les maigres ressources de notre pays, équivalait à 546 fois le Smig de l’époque. Il traduit chez lui une absence totale de scrupule qui est une caractéristique fondamentale du kakistocrate !

C’est cette même absence de scrupules qui explique qu’il gaspillait les ressources de l’Etat en faisant de l’hélicoptère son moyen habituel de déplacement : chaque sortie de cet appareil coutait des millions de F Cfa en frais de payement du pilote et d’achat du carburant.

– A ce scandale, il faut ajouter deux autres liés au régionalisme structurel du personnage :

  • Le scandale des concours frauduleux dans lequel la Ministre Mémonna Kora Zakileadi s’est tristement illustrée ! Ces concours étaient systématiquement organisés au profit des ressortissants des régions allant des Collines aux Départements du Nord.
  • Et puis, scandale des scandales, son interview du 1er Août 2012 contenant ses agressions verbales et brutales contre l’Unité Nationale :

«  Je leur opposerai les miens du Bénin profond et ils vont s’affronter. »

« Je peux leur faire mal à ces petits-là qui m’insultent tous les matins »

C’est à propos de ces déclarations que la Cour Constitutionnelle de Holo s’est discréditée en affirmant, dans l’article 1er de sa décision DCC 13-071 du 11 juillet 2013 :

« Le Président de la République a méconnu l’article 36 de la Constitution »

C’était la 1ère fois qu’un Président en exercice tenait des propos ouvertement tribalistes ! On peut affirmer, sans être accusé d’exagération, que ce scandale a plus choqué les Béninois que tous les autres ! En effet  malheureusement, nous sommes déjà habitués aux tripatouillages de l’argent public que sont les autres scandales ! Mais la remise en cause brutale de l’Unité Nationale, c’était la toute première fois !!!

Peut-on décemment, après un bilan aussi accablant, avoir le culot de prétendre parrainer un parti se réclamant de la démocratie ?

C’est pourtant ce que l’ancien Président Boni Yayi essaye de nous faire avaler, lui qui, au cours de son règne a :

– Introduit la pratique malsaine des procurations pour acheter les députés.

– Initié les contrats liberticides pour bâillonner la presse privée.

– Monopolisé, à son service, les médias de services public.

– Embrigadé les Institutions de contre-pouvoir, violant ainsi la séparation des pouvoirs qui caractérise les régimes démocratiques.

– Interdit les marches de protestation ( Cf assassinat de Dangnivo)

– Tenté de liquider les syndicats des travailleurs en créant des ‘’ syndicats patriotes’’ c’est-dire- fantôches !

Oser cela, c’est nous insulter, nous prendre pour des amnésiques ! J’espère que ceux qui le suivent dans cette aventure, qui est une imposture, se ressaisiront à temps, pour, reconnaitre qu’un kakistocrate ne peut pas se muer en démocrate !

C’est, du moins, ce que je souhaite de tout mon cœur.

Et comme nous sommes encore en Janvier, je profite de cette occasion pour souhaiter à chacun et à tous mes vœux de Bonne et Heureuse Année 2021 ! Que notre pays continue à aller de l’avant, à progresser, sous le leadership éclairé du Président Talon !

Cotonou, le 25 janvier 2021

Jean Roger Ahoyo

Laisser un commentaire