Pourquoi les Africains sont devenus amoureux de leur acculturation ?

Chronique

Du point de vue de la perception c’est-à-dire de l’appréhension intellectuelle des réalités sensibles ou de la compréhension de ce qui est vrai et de ce qui ne l’est pas, il y a deux façons d’être dans le monde. D’un côté, il y a des humains qui se font leurs opinions en se départant des idées reçues, les préjugés et des mythes. S’ils en viennent à penser quelque chose, ils le font après investigation et expérimentation. Mais, de l’autre côté, il y a ceux qui pensent quelque chose parce que les autres le pensent. Entre ces deux catégories d’intellectuels, où doit-on classer les intellectuels africains de ce vingt-unième siècle ?

La raison pour laquelle l’Afrique continue de subir le néo-colonialisme et l’impérialisme en plein vingt-unième siècle a plus à avoir avec notre façon de réfléchir qu’avec la force même de ceux-là qui nous oppriment. En effet, si j’abandonne à d’autres personnes ma capacité de penser, je leur ai également abandonné ma capacité à déterminer ou à choisir le genre de vie que je veux mener car on dit qu’un homme est ce qu’il pense.

Cette vérité est autant plus évidente qu’il n’existe nulle part une vérité intrinsèque et que « l’homme est la mesure de toute chose » (Protagoras) Tout être humain est « une conscience du monde » ou « une perception du monde ». Mais cette assertion est-elle valable pour nous les Africains ?

Dans plupart des domaines de la vie collective, il est impossible à l’Afrique aujourd’hui de trouver sa propre voie parce que nos colonisateurs demeurent nos maîtres à penser. Qu’il s’agisse de notre politique sécuritaire dans la cadre de la lutte contre le terrorisme. Du choix de nos partenaires dans cette lutte.

Sur le plan de la politique monétaire, du choix de notre système de change de la future monnaie de la CEDEAO. Des choix de la politique de lutte contre la pandémie du COVID-19. Du choix des régimes matrimoniaux. Des objectifs démographiques. Et dans bien d’autres domaines, la liberté ou l’indépendance de nos pays n’est que nominale.
En réalité, l’indépendance commence dans la tête. Comment finir avec le Franc CFA ou les ingérences occidentales en Afrique quand ce sont non seulement les langues de l’Occident mais aussi sa culture qui sont véhiculées à travers l’école héritée de la colonisation, les médias traditionnels et sociaux ?

Ce sont ses langues et sa culture qui servent à forger la mentalité et la personnalité des citoyens et de l’élite.

Avant et après les indépendances, les élites africaines étaient préoccupées par le sujet de l’acculturation. Les écrivains et les intellectuels négro-africains ont voulu réfléchir sur ce qui, en dehors de la couleur de la peau, devrait distinguer le colonisé de du colon.

Sur les plans littéraire, culturel et artistique, plusieurs courants idéologiques virent le jour et ont milité pour l’émancipation des peuples noirs. Parmi ces courants idéologiques, le plus connu fut la négritude dont les plus grandes figures étaient Amadou Hampâté Bâ, Léopold Sédar Senghor, Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon, Aimé Césaire, etc… Il s’agissait pour ces intellectuels africains d’œuvrer pour l’émergence d’une conscience noire qui a contribué à accélérer le sur le plan politique les indépendances. Mais en dehors des indépendances, quel héritage reste-t-il de la négritude ? Les intellectuels africains de nos jours éprouvent de la fierté à imiter leurs ex-colons, en tout.

Aujourd’hui, en Afrique, malgré la libéralisation de l’espace audiovisuel et des médias, ce sont les groupes médiatiques étrangers qui continuent de dominer l’activité de production et de diffusion de l’information.

En Afrique anglophone, les médias les plus influents sur le continent sont CNN: 60%, BBC : 47%, Nat Geo : 41%, Al Jazeera English : 39%, Discovery: 37%, Sky News: 36%, Eurosport: 30%, Euronews: 23%, France 24: 18% et CNBC:15%, Bloomberg: 11% (Source. Thiès Info)

En absence de statistiques crédibles en Afrique francophone sur les médias les plus influents, on peut présumer que RFI et France 24 sont les deux médias en tête. À cela, s’ajoute le monopole de Canal+ qui est une entreprise française, distributeur d’abonnement aux chaînes de télévision.

Ces médias qui couvrent l’espace médiatique africain sont soit des organes de service public soit des groupes privés. Dans les deux cas, leur ligne éditoriale est déterminée par des intérêts étrangers à l’Afrique. Sur la plupart des sujets, leur position reflète celle du gouvernement de leur pays. Ils s’efforcent d’influencer non seulement l’opinion publique mais aussi les gouvernements africains sur les choix de politique publique allant du rapport que l’Afrique doit avoir avec la Russie ou la Chine jusqu’aux choix électoraux passant par les stratégies de développement socio-économique.

Sur une question par exemple du rapport de l’Afrique avec la Russie ou la Chine, un effort est fait pour nous indiquer que nous ne devons pas coopérer avec ces deux puissances. La raison pour laquelle l’Afrique n’a pas cette liberté ne s’explique jamais sur ces médias mais tout est fait pour convaincre l’auditeur que l’impérialisme russe ou chinois est plus pernicieux que celui de la France ou des États-Unis. Les êtres humains sont formatés dans leur personnalité et leur psychologie à travers l’éducation et l’information et tant que les africains et leurs gouvernants ne vont pas s’investir dans la création de médias locaux qui couvrent l’espace médiatique africain convenablement, l’Afrique continuera d’être une partie du monde qui suit les autres. « Celui qui contrôle les médias contrôle les esprits. » (Jim Morrison) et celui qui contrôle votre esprit, contrôle ce que vous êtes.

 

Alfred Cossi CHODATON (WhatsApp : 95401064), Le Libre Penseur, écrit le dimanche 19 décembre 2021, à 20 heures