Michel Adjaka parle des forces et faiblesses de l’immunité parlementaire

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L’immunité parlementaire est un bouclier peu protecteur. Il ne met pas totalement le député à l’abri de toute poursuite. Le magistrat Michel Adjaka en parle. Lisez plutôt.

IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE, FORCES ET FAIBLESSES

L’article 90 de la constitution du 11 décembre 1990 dispose que «Les membres de l’Assemblée nationale jouissent de l’immunité parlementaire. En conséquence, aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit.
Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.
La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée nationale le requiert par un vote à la majorité des deux tiers.»
L’article 90 de la constitution recèle quatre (04) hypothèses.

1ere Hypothèse : L’intouchabilité fonctionnelle
«Les membres de l’Assemblée nationale jouissent de l’immunité parlementaire. En conséquence, aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.» Il ressort de cet alinéa qu’à l’hémicycle la parole est libre et protégée. Le député y est irresponsable. Il ne peut s’exposer à de poursuites pénales ou disciplinaires, pas plus qu’il ne peut être détenu, ni jugé du fait des propos ou discours qu’il a tenus dans l’hémicycle. Cette irresponsabilité présente un caractère «absolu». Elle ne peut être suspendue; et renvoie à la notion d’excuse légale absolutoire qui supprime l’élément légal de l’infraction. Elle a un caractère «perpétuel» dans la mesure où, cessant à l’issue du mandat, elle continue néanmoins de s’appliquer pour les opinions été émises dans l’exercice de celui-ci. L’intouchabilité parlementaire a un caractère «d’ordre public»; consécutivement, un député ne peut y renoncer et les actes accomplis à son détriment sont nuls de plein droit.
En clair, la liberté d’expression du député est donc très grande dans le cadre de ses fonctions bien que cette dernière notion soit d’interprétation restrictive: cela concerne ses interventions et votes en séance publique, en réunion de commission, en réunion de groupe, les propositions de loi et les amendements, les questions parlementaires, ainsi que les missions parlementaires extérieures et les rapports qu’il rédige pour le compte de sa chambre parlementaire.

L’irresponsabilité parlementaire ne couvre pas les propos tenus par le député en dehors de ses fonctions, y compris dans l’enceinte parlementaire s’il s’agit de propos ou d’actes privés, et à l’extérieur, par exemple au cours de réunions publiques ou d’un entretien avec un journaliste. Ne sont pas couverts également les propos et opinions tenus par le parlementaire à l’occasion de l’exercice d’autres fonctions, y compris électives, même lorsqu’ils sont une simple répétition de ceux précédemment exprimés au Parlement et/ou que référence est faite à ses fonctions parlementaires.
En revanche, le caractère personnel de l’immunité, ne fait pas obstacle à ce qu’elle s’applique aux non parlementaires associés aux travaux couverts par l’irresponsabilité, comme un témoin entendu par une commission d’enquête parlementaire. C’est le caractère fonctionnel de l’irresponsabilité, qui s’étend également à la publication des débats parlementaires dans la presse qui dès lors qu’elle est faite «de bonne foi» échappe à toute action.

2ème Hypothèse : l’immunité de poursuite ou de détention par temps de session
«Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit.» Il s’agit en réalité de l’inviolabilité parlementaire. Cette inviolabilité ne confère pas un privilège personnel qui mettrait le parlementaire au-dessus du droit commun. Elle ne supprime donc pas le caractère illicite de tout acte commis par le parlementaire en dehors de ses fonctions et ne lui permet pas d’échapper à ses conséquences judiciaires. L’arrestation et les poursuites sont seulement éventuellement différées afin d’éviter que le parlementaire ne soit abusivement empêché d’exercer ses fonctions.
L’inviolabilité parlementaire n’empêche pas que le parquet puisse engager des poursuites contre un parlementaire. Mieux, le juge peut le convoquer et l’entendre dans le cadre d’une instruction comme témoin ou même l’inculper. Si le parlementaire ne s’y oppose pas, une procédure peut ainsi théoriquement aller jusqu’à son terme sans entrave, y compris, jusqu’à une condamnation éventuelle. Sinon, sauf flagrant délit, le juge doit obtenir préalablement l’autorisation de l’Assemblée nationale pour toutes mesures coercitives pendant la durée de l’instruction.

3ème Hypothèse: l’immunité de détention hors session
«Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale, sauf les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive.»
Hors session, tout député peut être poursuivi sans autorisation. Seulement, il ne peut être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale; ce qui est une nuance avec la deuxième hypothèse où l’autorisation est accordée par l’Assemblée Nationale et non par le Bureau.

François MITTERAND fut le premier à perdre son immunité sous la Ve République en 1959.

La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée nationale le requiert par un vote à la majorité des deux tiers.
4ème Hypothèse : la suspension des mesures judiciaires
«La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée nationale le requiert par un vote à la majorité des deux tiers.»
La poursuite ou la détention peut être suspendue par un vote émis à la majorité des 2/3. A cet effet, l’Assemblée doit être saisie par une résolution de suspension rédigée par le parlementaire en difficulté ou ses collègues. La demande est affectée à une commission pour avis. L’Assemblée vote sur le rapport de la commission après un débat public restreint et, le cas échéant, elle tient des séances supplémentaires pour ce faire. Au total, l’immunité parlementaire est un bouclier peu protecteur. Il ne met pas totalement le député à l’abri de toute poursuite.