Côte d’Ivoire : Lettre ouverte à Alassane Ouattara, Président de la République

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Lettre ouverte à son Excellence Alassane Ouattara Président de la République de Côte d’Ivoire Abidjan
Par Michel BRIZOUA-BI,  Avocat.

Objet : Plaidoyer pour la Justice et l’Etat de droit

Excellence Monsieur le Président de la République,

Eu égard aux immenses espoirs placés en vous pour la résolution de la crise actuelle en Côte d’Ivoire et suite au dialogue politique que vous avez engagé depuis le 11 novembre 2020, j’ai l’honneur de m’adresser publiquement mais très respectueusement à vous, pour proposer, à titre de contribution, un remède destiné à guérir notre pays : la Justice et l’Etat de droit.

Avant de commencer mon plaidoyer, je voudrais humblement vous inviter à vous souvenir de cette phrase du Pape Jean Paul II, de sainte mémoire, qui indiquait le 8 décembre 2003 au Vatican lors de la 37ème Journée Mondiale de la Paix que «le droit est la première route à suivre pour atteindre la paix». Si, lors de vos prochaines concertations avec vos frères, en particulier, le Président Henri Konan BEDIE et le Président Laurent GBAGBO, vous empruntez cette voie, notre pays pourra assurément retrouver le chemin de la paix et de la vraie réconciliation.

Mais avant cette étape, je voudrais me permettre de rappeler à votre très haute attention des évènements qui ont eu un impact certain sur le cours de l’histoire de notre pays que nous vivons. D’abord, le 6 octobre 2000, lorsque par Arrêt N°E 001-2000, la Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême excluait treize (13) candidats à l’élection présidentielle, y compris vous, nul n’avait imaginé que le 19 septembre 2002, suite à l’échec d’une tentative de coup d’Etat, une rébellion armée allait plonger notre pays dans une crise politique jusqu’en 2010.

Ensuite, le 3 décembre 2010, par la décision N° CI-2010-EP-034 / 03-12 / CC / SG, le Conseil constitutionnel proclamait les résultats définitifs de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 en donnant comme vainqueur Monsieur Laurent GBAGBO. Les contestations de ce scrutin ont été la cause d’un conflit post-électoral faisant plus de trois mille victimes, des morts, des blessés et des exilés. C’est pourquoi, le 16 novembre 2011, lors de la rentrée solennelle de la Cour Suprême à Abidjan, le Président de la Cour Suprême d’alors déclarait en substance ceci : « …Disons-nous la vérité et reconnaissons que par la faute de certains d’entre nous, le peuple au nom de qui nous rendons la justice et qui est notre juge, n’est pas loin de nous retirer sa confiance, si ce n’est déjà fait. La Côte d’Ivoire est entrain de rebondir, mais il suffirait d’une décision de justice malheureuse, une seule, bien relayée par la presse et par internet pour briser cet élan. Malheur donc à celui par qui un tel scandale arrivera.»

Aujourd’hui encore, il est relevé malheureusement que, comme en 2010, suite à une décision du Conseil constitutionnel présidé cette fois par l’auteur de la déclaration précitée, la paix sociale est gravement troublée, l’unité nationale ébranlée et le sang d’innocents versé. Excellence Monsieur le Président de la République, la valeur des vies humaines perdues ne pourra jamais être indemnisée. En revanche, elle impose aux gouvernants et gouvernés un regard, une introspection, un questionnement sincères relativement à notre justice. Lorsque la justice ensanglante et sème les germes de la guerre dans un pays, c’est qu’elle est malade. Vous avez le pouvoir et le devoir de la guérir pour sauver ce pays de l’abîme.

La justice, pour être juste, doit être la même pour tous.

Lorsque la justice n’existe que pour une partie, elle cesse de l’être et menace la paix. Enfin, conformément à l’article 155 de la Constitution «les décisions de justice sont exécutoires. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toute autorité administrative, juridictionnelle, militaire et à toute personne physique ou morale. Les autorités publiques sont tenues de les exécuter  et de les faire exécuter». Il est donc regrettable lorsque, par exemple, l’Etat est condamné par une juridiction internationale, en occurrence la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples à laquelle il est encore membre, qu’il refuse de se soumettre au verdict des juges. L’Etat a un devoir d’exemplarité et de cohérence en la matière.

Excellence Monsieur le Président de la République, j’ai revisité l’histoire de notre justice et des noms prestigieux comme Ernest BOKA, Alphonse BONI, Camille HOGUIE, Mamadou FADIKA, Bâtonnier ADAM Assi Camille, Bâtonnier Jean Konan BANNY pour ne citer que ceux-là ont servi la cause du droit et de la justice avec intégrité, indépendance, courage et compétence. Si notre pays veut tourner définitivement la page des crises électorales et des crises tout court, il doit puiser dans la richesse de son capital humain pour ne faire appel qu’aux meilleurs pour dire le droit. Dans le monde de la justice, les compétences les plus sûres dont l’intégrité est sans tâche existent et sont connues. Face aux questions les plus complexes et les plus sensibles pour l’avenir de la nation, ces femmes et ces hommes se souviendront toujours de leur serment pour servir uniquement la cause de la justice en taisant toute autre considération. Nous pouvons rappeler avec fierté que l’Afrique a fait confiance à l’un des nôtres, le juge ORE Sylvain, choisi après appel à candidatures, pour présider la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ce  en lui accordant deux mandats.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Le plaidoyer auquel je me livre serait inaudible et incomplet si je m’abstenais de donner une perspective mondiale à la perception de l’état de notre justice. Alors que le Rwanda occupe la première place en Afrique dans le classement réalisé par le «World Economic Forum» sur la justice, notre pays, lui, occupe un rang peu honorable. Il y a donc urgence à agir pour approfondir et élargir les réformes entreprises sous votre très haute impulsion au cours des neuf dernières années.

Le second aspect de mon adresse porte sur le respect de l’Etat de droit et son importance dans la construction de la démocratie.

En effet, s’il est mondialement reconnu les exceptionnelles performances économiques réalisées depuis les politiques publiques de redressement mises en œuvre depuis 2011, on constate en revanche un recul de l’Etat de droit. L’Etat de droit est une réalité vivante dans un pays lorsque la primauté est accordée au droit. Sans le respect de l’Etat de droit, la signature d’un Etat perd sa crédibilité.

Les récentes arrestations d’opposants, parfois sans égard pour leur statut de parlementaire et, les circonstances d’arrestation voire les mesures d’assignation à résidence de certains d’entre eux, sont une illustration de la nette régression observée dans ce domaine et dénoncée notamment par Amnesty International.

Les importants défis de développement économique et social qui se profilent à l’horizon, ne pourront être surmontés en dehors de l’Etat de droit qui doit être le pilier indestructible de l’action publique.

Lorsqu’il était interrogé sur l’origine de la prospérité et du leadership économique des Etats-Unis d’Amérique, Alan GREENSPAN, l’ex-Gouverneur de la Réserve Fédérale, répondait de manière constante qu’elle résidait dans l’Etat de droit instauré à partir d’un document protecteur du fait de son caractère inviolable : la Constitution. Outre l’exemple américain, Singapour, Hong Kong, la Grande Bretagne et plus près de nous en Afrique, Maurice, sont parvenus à se hisser comme des destinations attractives pour les investisseurs grâce à la confiance et aux garanties qu’offrent les lois et institutions de ces pays.

En un mot, la stabilité dont dépend l’attractivité économique de notre pays ne pourra  se consolider sans un Etat de droit, source de confiance à l’intérieur et à l’extérieur.

Abidjan, notre capitale économique, est déjà une place économique et financière de premier plan en Afrique notamment francophone. Avec la qualité de ses acteurs de la magistrature et du Barreau, Abidjan a vocation, si la volonté politique est au rendez-vous, à devenir également la place de droit tant souhaitée par les opérateurs économiques.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Le respect de l’Etat de droit et l’impartialité de la Justice sont des principes fondamentaux qui doivent demeurer sûrs, inviolables et non négociables.

La Côte d’Ivoire mérite d’avoir une justice crédible et d’être un véritable Etat de droit.

J’ai plaidé.

Je vous prie d’agréer, Excellence, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.

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A propos Michel

Kizito BRIZOUA-BI est avocat de profession, membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Côte d’Ivoire. Diplômé des facultés de droit d’Abidjan, de Toulouse et de Harvard, il est ancien Président et fondateur d’ABLFA (African Business Law Firms Association). Kizito BRIZOUA-BI siège dans les conseils d’administration en qualité d’administrateur indépendant et assure au plan sportif, les fonctions de Président de la Commission de gouvernance de la Confédération Africaine de Football (CAF). Il dirige enfin, depuis 2015 le Groupe de Travail « COTE D’IVOIRE GLOBAL » think tank chargé de réfléchir sur les politiques publiques de promotion de la Côte d’Ivoire à l’international.

 

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