Niger : «Le président Bazoum n’a pas eu le soutien de son propre camp», affirme Moussa Tchangari

Afrique

Au Niger, il y a quatre mois, le général Abdourahamane Tiani et les militaires se sont installés au pouvoir, renversant le président Mohamed Bazoum. Le 23 novembre, le chef de la junte a effectué sa première sortie à l’étranger, se rendant successivement à Bamako où il a rencontré le colonel Assimi Goïta et à Ouagadougou où il s’est entretenu avec le capitaine Ibrahim Traoré. Ces trois pays ont mis sur pied il y a deux mois l’Alliance des États du Sahel, qu’ils souhaitent désormais rendre opérationnelle. Quatre mois après le coup d’État, où en est le Niger qui vit toujours sous sanctions de la Cédéao ? Comment analyser aujourd’hui le coup d’État du 26 juillet dernier ? Qu’est-ce qui a provoqué la chute du président Bazoum ? Pour tenter de comprendre, RFI reçoit Moussa Tchangari, Secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens, un mouvement de la société civile nigérienne.

RFI : Moussa Tchangari, quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation au Niger depuis quatre mois ?

Moussa Tchangari : Depuis les événements du 26 juillet, on peut dire que la situation est plutôt difficile dans le pays. Sur le plan social, économique, on peut dire qu’elle se dégrade, surtout sous l’effet des sanctions de la Cédéao et aussi des sanctions prises par d’autres organismes qui ont coupé leurs appuis, etc., au pays. Ça se ressent sérieusement dans le quotidien des Nigériens, donc la situation est difficile de ce point de vue, mais également sur le plan sécuritaire, la situation semble devenue encore plus compliquée qu’elle ne l’était avant les événements.

Dans un texte que vous avez récemment publié, vous tentez d’analyser la prise de pouvoir par les militaires. D’abord, vous estimez que c’est le principe même de la démocratie qui est mis en cause par une partie de la population ?

Absolument. Vous savez, beaucoup de gens sont déçus par notre processus de démocratisation qui, effectivement, n’a pas permis de faire de très grandes avancées, notamment sur le plan social, même sur le plan économique à certains égards, parce que des millions de gens sont parfois confrontés à des difficultés, même pour manger. Des secteurs sociaux, tels que l’éducation, la santé, etc., n’ont pas connu vraiment d’avancées significatives durant toutes ces années-là de la démocratisation. Et donc, beaucoup de gens jugeant le bilan des années de démocratisation plutôt mitigé, voire décevant, sur le plan social, pensent que c’est peut-être le moment de sortir de cela et d’entrer dans l’ère des régimes militaires, des régimes autoritaires.

Sur le plan politique, vous estimez que le président Bazoum a tenté d’améliorer la gouvernance du pays et de privilégier le dialogue avec les acteurs politiques et sociaux, mais il s’est heurté, dites-vous, à de nombreuses résistances, à commencer par celles de son propre camp…

Absolument. Tout le monde reconnait qu’il a essayé, quand même, de décrisper un peu le climat politique et social dans le pays. Il l’a fait de bonne foi, il l’a fait de façon assez volontariste. Mais il n’avait pas, naturellement, le soutien de son propre camp. Et du reste, c’est quand même son propre camp qui a orchestré le coup d’État qui l’a renversé, donc c’est la preuve que cette politique de décrispation n’était pas perçue comme nécessaire, comme la politique qu’il fallait mener par une partie de son propre camp.

Quand vous parlez de son propre camp, vous pensez forcément à Mahamadou Issoufou avec qui vous êtes assez sévère dans ce texte…

Oui, de notoriété publique, je pense que tout le monde a compris maintenant qu’il est certainement très lié à ce coup d’État-là – s’il n’en est pas l’instigateur. C’est ce que beaucoup de gens pensent. La position qu’il a adoptée, et qu’il continue d’adopter, montre quelque part qu’il est très lié à cela. C’est un secret de polichinelle son implication dans ce qui est en train de se passer.

La junte militaire ne s’est pas clairement démarquée de Mahamadou Issoufou, est-ce que ce positionnement ne risque pas de la fragiliser à terme ?

C’est évident que beaucoup de gens qui soutiennent la junte, c’est dans l’espoir de voir que le système incarné par Issoufou ne va pas perdurer. Mais bon, on voit bien que la junte n’a pas l’air de prendre ses distances véritablement par rapport à lui et donc ça va probablement lui coûter cher, parce que beaucoup de gens ne peuvent pas continuer à soutenir la junte s’ils sentent qu’elle a partie liée avec l’ancien président.

Les Nigériens attendent beaucoup de la mise en exploitation de leurs ressources pétrolières. De ce point de vue, quel est le défi des nouvelles autorités, selon vous ?

Ce n’est pas seulement des nouvelles autorités, c’est le défi de tout le pays. En fait, tout le monde espère que ces ressources seront exploitées de façon à améliorer la vie de tout le monde. On sait que ces revenus-là suscitent aussi des convoitises et selon certaines informations, c’est aussi la gestion future de ces revenus qui a été un élément de friction, semble-t-il, entre le président Bazoum et son prédécesseur, qui avait d’ailleurs placé son fils pour gérer ce secteur-là. Donc, le défi serait de tout faire pour que ces ressources-là profitent davantage aux populations qu’à une certaine élite.