Décision rendue contre la cour constitutionnelle du Bénin : La Cour de justice de l’UEMOA a manqué de sagesse intellectuelle , selon un juriste chercheur

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(« La Cour de l’UEMOA et la commission ont été piégées par les professionnels de droit », dit-t-il)

La Cour de Justice de l’UEMOA a rendu le 08 juillet dernier une décision qui condamne la Cour constitutionnelle du Bénin. Ladite décision de la Cour de l’UEMOA a réitéré l’incompatibilité entre l’avocature et la carrière d’enseignant permanent. Pour la Cour de l’UEMOA, la cour constitutionnelle du Bénin a fait une interprétation erronée du droit communautaire à propos de l’application des dispositions du règlement  N°5/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 relatives à l’exercice de la profession d’avocat. Faux, rétorque Monsieur Basile AMEWUNU, juriste chercheur en droit Médiateur. Selon lui, la Cour de l’UEMOA a été piégé à la fois par les théoriciens (Professeurs permanents) et par les praticiens ( Avocats ) mais les praticiens se sont taillés la part du lion. Quels sont les arguments développés? Entretien.

 

Pouvez-vous nous situer un peu le contexte historique dans lequel la Cour de l’UEMOA a pris sa décision du 8 juillet 2020 sachant que depuis longtemps les autorités béninoises avaient institué la compatibilité entre les deux fonctions : la profession d’avocat et la fonction d’enseignant universitaire ?

Basile AMEWUNU : Merci M. le journaliste! En tant que simple observateur, je ne peux que vous narrer une série d’évènements vraisemblables sans confirmer le contexte réel ayant conduit la Cour de l’UEMOA à sa décision parce que je n’étais ni de près ni de loin associé à l’adoption du texte communautaire querellé. Bon. Le débat de l’incompatibilité entre la profession d’avocat et la fonction d’enseignant au supérieur a effectivement une genèse. Mais une genèse beaucoup plus politique qui a pris corps au Mali puis surtout au Sénégal avant de gagner du terrain dans les autres pays dont le Bénin plus tard en 2014. A en croire les différents récits de l’époque, les cadres enseignants maliens et sénégalais ont estimé qu’ils sont lésés dans la quête de la richesse financière, sociale voire intellectuelle. Pour eux, Être Avocat, confère une richesse intellectuelle, sociale et financière distincte de celle que procure la fonction d’enseignant au supérieur. Donc le cumul de ces deux professions fait des uns les plus puissants au détriment des autres n’exerçant que le métier d’enseignant. En clair, c’était une guerre de leadership ou de notoriété professionnelle qui s’est déclenchée. Du coup, ces cadres enseignants ont poussé les autorités politiques à mettre fin au cumul des deux fonctions : la profession d’avocat et la fonction d’enseignant permanent en arguant l’incompatibilité pour éviter d’éventuels conflits d’intérêt. La révolte a ciblé également le sommet de l’Etat sénégalais parce qu’en ce moment le Président Abdoulaye WADE incarnait parfaitement le prototype d’enseignant permanent et avocat exerçant. Finalement, les autorités de ces deux pays (Mali et Sénégal) ont cédé successivement à la demande des enseignants en prenant des textes normatifs (Cf. Loi sénégalaise n° 2009-25 du 8 juillet 2009 portant modification de la loi n° 84-09 du 4 janvier 1984 complétée par la loi n° 87-30 du 28 décembre 1987 relative à l’Ordre des Avocats. En son Article 10 al. 1er dispose en ces termes : « Libérale et indépendance, la profession d’avocat est incompatible avec toutes les fonctions publiques, y compris celles d’enseignant »…) pour éviter le recrutement des avocats en tant qu’enseignant permanent à l’université. Ainsi, les enseignants-avocats  sénégalais ont été contraints d’opérer un choix : soit les avocats abandonnent leur carrière universitaire ; soit les enseignants permanents n’exercent plus leur profession d’avocat. C’est d’ailleurs, à titre illustratif la raison pour laquelle le professeur Abdoudallah CISSE avait opté pour la profession d’avocat au détriment d’une carrière universitaire. De même, le Président Abdoulaye WADE aurait pu choisir une profession entre les deux, si sa fonction présidentielle ne l’avait pas déjà éloigné de l’exercice de toute autre activité.

Cependant le discours séparatiste a résonné jusqu’à atteindre les autorités de l’UEMOA. Au départ, les séparatistes ont servi l’argument de l’harmonisation de la profession d’avocat dans l’espace UEMOA en vue de créer même une conférence des barreaux de l’UEMOA. Dans le projet de texte aux fins d’harmoniser la pratique de la profession d’avocat, ils ont certainement eu du mal à imposer la tendance séparatiste stricte relative à l’incompatibilité de la profession d’avocat avec la fonction d’enseignant ayant cours au Sénégal. Notons que la loi sénégalaise est d’une séparation stricte en ce sens qu’elle dispose que : « la profession d’avocat est incompatible avec toutes les fonctions publiques, y compris celles d’enseignant ». Ce qui ne fait pas la distinction entre la fonction d’enseignant vacataire et enseignant permanent. En un mot, l’avocat sénégalais ne pouvait même plus en qualité de vacataire exercer à l’université. La séparation stricte n’a pas pu passer à l’époque dans le texte de l’UEMOA sans doute parce que la majorité des Etats de l’union permettait légalement la compatibilité des deux fonctions. A cet instant, se rendant compte de la rigidité de l’article 10 al. 1er  du texte sénégalais, le texte de l’UEMOA a simplement adouci cette disposition en proposant une autre formule à l’article 35 dudit texte, en ces termes : « la profession d’avocat est compatible avec les fonctions d’enseignant vacataire… ». Partant de là, le texte de l’UEMOA a réglé le retour sous une autre forme des avocats sénégalais en particulier à l’université et à donner accès libre de façon générale à tous les avocats de l’union à la fonction d’enseignant vacataire, tout en créant un vide juridique pour la situation des enseignants permanents voulant exercer cumulativement la profession d’avocat. Ce faisant, chaque pays se réfère à sa législation nationale pour la situation des enseignants permanents : en continuant par autoriser ces enseignants à s’inscrire sur les tableaux des ordres des avocats. A titre illustratif, certains pays, à l’instar du Bénin, du Burkina-Faso et du Niger pour ne citer que ceux-là, ont comblé jusqu’à la fameuse décision de la cour de l’UEMOA le vide juridique laissé dans le texte communautaire par leurs législations. C’est dans cette logique que le Professeur Eric DEWEDI, vu que sa demande d’inscription au tableau de l’ordre des avocats du Bénin  a été rejetée, a donc saisi la Cour constitutionnelle pour violation du principe d’égalité, qui au passage est un principe à valeur constitutionnelle voire fondamentale. Voilà, ce que je puis vous dire concernant l’actualité de cette décision de l’UEMOA.

 

Pourrons-nous parler de conflit institutionnel entre la Cour de l’UEMOA et la Cour constitutionnelle du Bénin en l’occurrence la Cour DJOGBENOU?

A mon avis, je ne pense pas qu’il y ait un conflit, ni un malaise entre les deux institutions. Les deux institutions sont parfaitement dans leur rôle. Elles ont été saisies successivement de deux requêtes différentes. D’un côté, la Cour de DJOGBENOU a été saisie par une demande de violation du principe d’égalité; Et une telle demande entre naturellement dans sa compétence matérielle. D’un autre côté, la Cour de l’UEMOA a été saisie pour remettre à l’endroit une interprétation soit disant erronée de la Cour constitutionnelle du Bénin des dispositions du Règlement N° 5/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 relatives à l’exercice de la profession d’avocat; Et la Cour de l’UEMOA est aussi dans son rôle d’interprète des textes de l’union.

 

Mais, semble-t-il que la Cour de l’UEMOA reproche à la Cour DJOGBENOU d’avoir interprété de façon erronée les dispositions communautaires sans faire un renvoi préjudiciel.

Oui. La décision de l’UEMOA évoque une interprétation erronée de la Cour constitutionnelle du Bénin. La Cour de l’UEMOA, à travers le requérant en la personne du Président de la Commission, en est arrivée là tout simplement par déduction ou par prêt d’intention. Toutefois, à mon avis la décision DCC 19-287 du 22 août 2019 n’a jamais procédé à une quelconque interprétation mais a plutôt convoqué les dispositions communautaires pour constater le vide juridique à l’égard des enseignants permanents en faisant droit à la demande du Professeur Eric DEWEDI relative à la violation du principe d’égalité. Puisque la loi béninoise n° 65-6 du 20 avril 1965 instituant une voie dérogatoire d’accès à la profession d’avocat devrait s’appliquer en l’absence d’une régulation communautaire vis-à-vis des professeurs agrégés en tant qu’enseignant permanent. En pratique de justice communautaire, il est bien connu que seules les instances habilitées des unions ont la compétence exclusive de donner un avis consultatif sur les dispositions obscures ou imprécises de leurs propres textes communautaires par le mécanisme de renvoi préjudiciel. Or, en l’espèce, le Règlement de l’UEMOA n’avait pas du tout disposé en ce qui concerne les enseignants permanents des universités; il a disposé seulement pour le cas des enseignants vacataires : une catégorie distincte. Du moment où l’on se retrouve devant un vide juridique dans le texte communautaire, la Cour DJOGBENOU n’est plus tenue de faire un renvoi préjudiciel vers la Cour de l’UEMOA à mon sens. Par contre, la Cour constitutionnelle se doit de consulter la loi nationale n° 65-6 du 20 avril 1965 instituant une voie dérogatoire d’accès à la profession d’avocat pour combler le vide juridique communautaire parce que cette loi béninoise a disposé pour l’exercice des enseignants permanents. Et c’est ce qui fût fait par la Cour DJOGBENOU.

 

Aussi, la Cour de l’UEMOA martèle-t-elle que la loi béninoise est en principe abrogé par le texte communautaire?

Euh. L’effet abrogatoire du texte de l’UEMOA concerne simplement les dispositions contraires de la loi béninoise n° 65-6 du 20 avril 1965 instituant une voie dérogatoire d’accès à la profession d’avocat. Donc la loi nationale reste toujours en vigueur en ce qui concerne ses dispositions en phase avec le Règlement de l’UEMOA. Mais à partir de la décision du 8 juillet de la Cour de l’UEMOA, les articles 5 Al. 1; 26 Al. 2 et 40 Al. 3 de la loi nationale en cause sont dorénavant abrogés conformément à l’article 92 du Règlement de l’UEMOA. Puisque les juges de l’UEMOA viennent de combler le vide juridique communautaire.

 

Enfin, dites-nous le droit communautaire n’a-t-il pas toujours vocation à primer sur le droit national?

Ecoutez. C’est aussi un autre débat controversé chez les constitutionalistes et les communautaristes. En ce sens qu’il se dégage deux conceptions de la primauté du droit communautaire sur le droit national. La première conception tend à donner une primauté absolue et détachée des normes communautaires même vis-à-vis de la constitution. Et la seconde conception considère les normes communautaires ou internationales régulièrement ratifiées comme faisant corps à la constitution; c’est là qu’intervient aussi la notion de blocs de constitutionnalité des normes ratifiées ou tirées de la jurisprudence constitutionnelle. Donc c’est à dessein que les juges de la cour de l’UEMOA rappellent avec énergie que le droit communautaire prime sur le droit national compte tenu de la controverse doctrinale. L’essentiel à retenir c’est que la constitution est la loi la plus fondamentale d’un pays. La nuance doctrinale se fait seulement par rapport à la finalité d’une analyse juridique ou juridictionnelle ponctuelle : si on veut atteindre une finalité supranationale, on dira sans état d’âme que le droit communautaire prime toujours sur le droit national; par contre si on veut viser une finalité infranationale, on peut aussi affirmer que la constitution est la seule et fondamentale loi d’un Etat. En un mot, le débat de la primauté est à relativiser.

 

Quel sera alors le sort des Enseignants-avocats concernés après la décision de la Cour de l’UEMOA?

Bon. L’impact de la décision de l’UEMOA concerne tous les huit (8) Etats membres de l’union. Permettez-moi de vous dire que le débat de l’incompatibilité est une actualité administrative connue de tous les fonctionnaires des Etats. L’incompatibilité a essentiellement pour finalité l’évitement de conflit d’intérêts. Le constat de l’incompatibilité se fait notamment par l’exercice de deux fonctions ou professions susceptibles de dégénérer en conflit d’intérêts. Je mets l’accent sur le terme ‘’exercice’’ d’une profession ou d’une fonction parce que cela est déterminant dans l’appréciation du conflit d’intérêts. Les éléments d’analyse de l’incompatibilité sont généralement « le devoir d’obéissance » et « le lien de subordination » imposé aux agents permanents de l’Etat. Ce qui fait que la mobilité des fonctionnaires de l’Etat se concrétise par deux mécanismes juridiques : soit par un acte de démission ou soit par un acte d’indisponibilité. L’acte de démission a un caractère de départ définitif tandis que l’acte d’indisponibilité est un départ temporaire. C’est d’ailleurs, l’acte d’indisponibilité qui a permis aux juges de l’UEMOA d’exercer leur profession au niveau de la Cour. Puisqu’ils sont des magistrats, fonctionnaires étatiques toujours en activité, ressortissants des Etats membres de l’UEMOA. Au terme de leurs fonctions, ils peuvent décider : de regagner naturellement leur poste dans la fonction publique ou de démissionner. Libre à eux.

Relativement à votre question. Il faut souligner qu’en interprétant les dispositions de son Règlement, la Cour de l’UEMOA a jugé désormais incompatible la profession d’avocat avec la fonction d’enseignant permanent ou de professeur agrégé de droit. Mais, la Cour communautaire n’a pas jugé nécessaire de préciser le mécanisme juridique (Acte de démission ou Acte d’indisponibilité) par lequel il faille mettre fin à une éventuelle situation d’incompatibilité, sans doute parce que cela va certainement de soi. Les concernés opéreront un choix en leur âme et conscience.

 

Quelle est votre appréciation sur le fait que certains avocats comme le Professeur DJOGBENOU continuent de mener leurs activités académiques en dépit du texte de l’UEMOA?

Permettez-moi une fois encore de vous faire un petit développement. Pour votre compréhension, le cas des avocats nécessite à mon sens qu’on distingue clairement le statut d’avocat et l’exercice de la profession d’avocat. Si la première expression précède naturellement la seconde dans le processus d’intégration à l’ordre des avocats, l’appréciation de l’incompatibilité dépend plus de l’exercice effectif de la profession. L’infraction de l’incompatibilité ne sera matériellement constituée que par l’exercice de deux professons ou fonctions pouvant entrainer un conflit d’intérêts. Puisque l’acquisition simple du statut d’avocat sans son exercice ne peut pas créer en soi un quelconque conflit d’intérêts avec une autre profession ou fonction. Rappelons bien que le statut d’avocat peut, sous réserve des dérogations, s’acquérir après l’obtention du CAPA et la satisfaction des exigences formelles, c’est-à-dire les formalités professionnelles nécessaires (l’obtention du certificat de stage par exemple) tandis que l’exercice de plein droit n’interviendra qu’après l’ultime étape de prestation de serment et d’inscription sur le tableau de l’ordre des avocats. A titre illustratif de la nuance : les avocats d’un pays de l’UEMOA ont déjà le statut d’avocat mais pour exercer dans un autre pays de l’union doivent nécessairement remplir quelques formalités d’exercice (l’acquisition de droit de plaidoirie) auprès du barreau du pays d’accueil. C’est ainsi qu’on a également des docteurs formés en France, qui ont le statut d’avocat là-bas, mais qui une fois de retour au Bénin peuvent décider de ne pas exercer la profession d’avocat tout en optant pour la carrière d’enseignant permanent à l’université.

Pour répondre maintenant à votre question. Si j’ai bonne mémoire, le Professeur Joseph DJOGBENOU a cessé d’exercer depuis 2014 année où il est entré au Parlement en tant que député et ce pour éviter un conflit d’intérêts entre la fonction de parlementaire et sa profession d’avocat. Or, c’est bien après que ce fameux Règlement de l’UEMOA sur l’incompatibilité a été adopté, c’est-à-dire le 25 septembre 2014. Mieux, depuis ses premières fonctions de député, le Professeur DJOGBENOU n’est plus retourné au Barreau parce qu’il a continué à occuper entre temps d’autres fonctions incompatibles à sa profession d’avocat. En principe, il devrait déjà être omis jusqu’à nouvel ordre sur le tableau de l’ordre des avocats du Bénin. Du moment où il y a de facto cessation d’exercice de la profession d’avocat, on ne pourra plus parler d’incompatibilité à son encontre. Il est de bon droit que le Professeur DJOGBENOU continue sa carrière universitaire. En ce qui concerne les autres avocats qui veulent faire carrière à l’universitaire en tant que permanent, ils pourront le faire librement tout en prouvant la cessation de l’exercice de la profession d’avocat. Le recrutement à la fonction publique reste ouvert à tout citoyen comme l’avocat ayant cessé d’exercer temporairement ou définitivement sa profession libérale.

 

Ne pensez-vous pas que cette décision de l’UEMOA contribuera à vider les facultés de droit de ses professeurs qualifiés si l’on met en exergue l’aspect lucratif et libéral de la profession d’avocat?

Votre question est pertinente. A mon humble avis, la Cour de l’UEMOA, devrait se poser la question de savoir pourquoi les consultants recrutés pour la rédaction du Règlement mis en cause, avaient laissé un texte inachevé au point que c’est aujourd’hui seulement que les juges de l’union se prononcent sur le sens dudit texte. Ce débat d’incompatibilité au supérieur, qui avait débuté au Mali et au Sénégal entre deux professionnels de droit : les théoriciens et les praticiens sous forme de revendication égoïste, a fini par s’imposer à tout un espace communautaire. Hélas! La Cour et les institutions de l’UEMOA ont fini par céder au piège tendu par la guéguerre entre ces professionnels de droit. Les universités publiques doivent se préparer à un changement radical dans leurs effectifs d’enseignants agrégés voire titulaires si ces derniers décident de démissionner. Le changement au niveau des facultés de droit pourra nécessiter également la modification des conditions de recrutement au supérieur. Surtout le diplôme de doctorat pour accéder à la carrière d’enseignant permanent, pourra être ramené à un niveau DEA ou Master 2 comme c’est le cas actuellement au Sénégal ou au Mali. Ceci, parce que les facultés de droit de ces pays ont plus un déficit d’effectif des docteurs et professeurs agrégés/titulaires pouvant encadrer l’effectif pléthorique des jeunes étudiants. Toutefois, on ne doit pas être alarmiste sans faire l’expérience du nouveau régime de la séparation. Certains diront que c’est une aubaine pour s’insérer dans le corps professoral et d’autres penseront qu’ils ont été écartés par simple égoïsme.

 

Pourquoi dites-vous finalement que l’UEMOA a été piégé par le désamour entre les théoriciens et les praticiens de droit si de la nature des choses, l’UEMOA veut simplement encadrer une profession?

Bon. C’est mon opinion personnelle. C’est un piège intellectuellement orchestré. Il suffit de vous poser la question : Pourquoi l’UEMOA, institution à vocation purement d’intégration économique à l’origine, décide du coup de règlementer une profession libérale judiciaire? On va certainement me brandir l’argument de l’harmonisation. Est-ce que prioritairement le traité de l’UEMOA recommande la réglementation de cette profession libérale qu’est le métier d’avocat? Si cela ne cache pas des intérêts malins. Pendant que nous y sommes, l’UEMOA n’a qu’à continuer avec les autres professions libérales de l’espace (l’ordre des pharmaciens, des géomètres-architectes-urbanistes, la chambre des notaires, etc.). Il peut y avoir bien entendu des unions libres entre ces professions libérales mais les intégrer directement dans le corpus normatif d’une institution faitière de l’économie comme c’est le cas; franchement c’est problématique. La course effrénée de la communautarisation des droits positifs constitue aussi un péril pour la sécurité juridique et judiciaire des Etats. Oui. On ne fera jamais de « l’omette communautaire sans casser nos souverainetés ».  Mais tout est question de dosage. De pratique normative ou législative, on légifère pour régler prioritairement un problème récurrent. Mais comme l’UEMOA traite des questions économiques, elle s’est permis le luxe de réguler un vieux souci de répartition de la richesse économique entre deux métiers professionnels jadis considérés comme tous libéraux. Puisque les enseignants au supérieur, tout comme les avocats, jouissaient d’une indépendance dans l’exercice de leur fonction. Ma foi, la Cour de l’UEMOA a été victime de sa propre aventure normative. En autorisant par ailleurs les avocats à exercer en tant que vacataires la fonction d’enseignant à [l’université publique], tout porte à croire que les enseignants vacataires ne sont pas tenus du devoir d’obéissance ou ne sont pas dans un lien de subordination avec leur employeur que constitue l’Etat. Or, tel n’est forcément le cas. La question de subordination et d’obéissance reste entière pour les enseignants vacataires que pour les enseignants permanents. Au finish, on se demande qu’est-ce que l’UEMOA est partie chercher dans les universités en passant par les barreaux. Vraiment, je me le demande! Les Etats membres de l’UEMOA vont subir pendant longtemps les conséquences d’une telle aventure inédite de cette institution. Imaginons un instant que les autres institutions régionales comme la CEDEAO ou l’OHADA décident à leur tour d’harmoniser la profession d’avocat parce que ces institutions disposent également des instances juridictionnelles autonomes. Ce serait carrément du désordre normatif. C’est en cela, je trouve que la Cour de l’UEMOA et la commission ont été piégées par les professionnels de droit. Et les praticiens se sont taillés la part du lion à l’arrivée. Pour moi. L’UEMOA aurait dû opter au pire des cas pour la séparation stricte, quitte à ce que les avocats-praticiens aillent de temps à autre animer des séminaires ou conférences à l’université et non dispenser forcément des enseignements au sens traditionnel du terme pour le bénéfice du partage de l’expérience professionnelle. De cette façon, le véritable conflit entre ces deux acteurs sera définitivement résolu. Sinon la guerre de notoriété ou de leadership continue.

 

Merci d’avoir honoré à notre sollicitation pour donner votre avis sur la décision relative à l’incompatibilité de la profession d’avocat avec la fonction d’enseignant universitaire!

C’est moi

 

Réalisation : A.C.C.

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