Ajavon: « Je m’éloigne de la gestion du pouvoir… »

Politique

A peine libéré de sa longue garde à vue, Sébastien Ajavon s’est rendu à Paris, début novembre, pour« rencontrer ses partenaires d’affaires ». Pour les rassurer ? Pas besoin, affirme l’homme d’affaires franco-béninois : « Ils savaient que c’était une manigance. » Celui que l’on surnomme au Bénin le « roi du poulet » pour avoir fait fortune dans l’importation de volaille surgelée a été accusé de trafic de drogue après la découverte, fin octobre, d’un sac de 18 kg de cocaïne dans l’un des conteneurs de la Cajaf-Comon au port de Cotonou. La justice béninoise l’a relaxé, vendredi 4 novembre, « au bénéfice du doute », « pour insuffisance de preuves » à l’issue de sept jours de garde à vue et d’un procès en comparution immédiate.
Le businessman, parmi les plus riches d’Afrique de l’Ouest selon le magazine Forbes, a aussi eu l’ambition politique de devenir président du Bénin. Arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle de mars, son ralliement au candidat Patrice Talon a pesé pour la victoire de celui-ci contre Lionel Zinsou. Dans sa suite de l’hôtel Pullman à Bercy, où il a ses habitudes, Sébastien Ajavon explique au Monde Afrique la « machination » montée contre lui.

Comment vous portez-vous après tous ces événements ?

Sébastien Ajavon Je me sens très bien et un peu soulagé. Même si les auteurs n’ont pas encore été arrêtés.

La fouille de certains de vos conteneurs a continué après votre relaxe. N’avez-vous rien à vous reprocher ?

C’est un coup qui a été monté pour ternir mon image. La drogue ne fait pas de riches au Bénin. Les Béninois n’ont même pas les moyens d’en consommer, encore moins de la cocaïne. La drogue, c’est pour les petits dealers. Moi je suis dans le secteur de l’agroalimentaire et des produits congelés. Ces deux choses ne vont pas de paire. Tous ceux qui font le vingtième du volume du groupe Cajaf-Comon sont milliardaires. Ont-ils fait eux aussi de la drogue ? Le Bénin n’est pas une plaque tournante du trafic de drogue. On ne peut pas ternir l’image de notre pays juste parce qu’on veut ternir l’image de Sébastien Ajavon qui devient gênant en politique.

Comment expliquez-vous qu’on ait retrouvé dans l’un de vos conteneurs un sac de 18 kg de cocaïne ?

Les Béninois savent que c’est une machination. Le premier responsable de l’enquête, un capitaine de gendarmerie, a bien précisé que c’est le directeur des services de renseignement qui lui a notifié qu’il y avait de la drogue dans un conteneur. Comment ont-ils su ? La société MSC chargée du transport des conteneurs nous a confirmé qu’aucun incident n’avait eu lieu durant le transport et que les scellés étaient intacts jusqu’à l’arrivée à Cotonou. Mais au port, des scellés avaient sauté. Je continue d’affirmer que c’est à Cotonou que la mascarade a été orchestrée. De plus la valeur des 18 kg de cocaïne a été amplifiée par les autorités pour me nuire : 14 millions d’euros ! Sur le marché, des experts l’estiment à 300 000 euros.

Vous avez dénoncé un complot politique. Qui voudrait vous nuire et pour quelles raisons ?

On m’avait dit qu’en politique, on pouvait faire des coups tordus, mais j’ignorais que cela pouvait aller si loin. Cela fait sept mois à peine que le nouveau chef de l’Etat a pris ses fonctions et c’est avec notre concours qu’il est arrivé aux affaires. Peut-être que je deviens trop gênant. Donc il faut m’éliminer tout de suite pour que je ne sois plus important dans l’arène politique. Au temps du président Thomas Boni Yayi, il y avait déjà des menaces. Mais ils n’ont jamais osé violer des conteneurs pour y mettre des stupéfiants.

Vous insinuez que le pouvoir est derrière tout ça ?

Je ne veux accuser personne. Mais un nom est constamment cité dans cette affaire : celui de Pamphile Zomahoun, qui se trouve être le directeur des services de renseignement au Bénin et qui dépend de quelqu’un. Je n’irai pas plus loin. C’est Pamphile Zomahoun qui avait les informations selon lesquelles il y avait de la drogue dans un conteneur. D’où a-t-il eu ces renseignements ? Tout ce que je demande, c’est que la justice fasse son travail et que les têtes tombent. Quand il y a des coups qui échouent, si on n’y est pas mêlé, on fait le ménage.

Le gouvernement a-t-il eu un silence coupable lors de votre garde à vue ?

C’est de l’hypocrisie. Le parquet est sous la tutelle du ministère de la justice et des instructions ont été données. Sinon, on ne pouvait pas me garder pendant tout ce temps. Sept jours, c’est énorme ! Sur le plan pénal, la responsabilité est personnelle mais aucune enquête préalable n’a pas été faite. Nous n’étions même pas encore entrés en possession de nos commandes. On pouvait juste me convoquer pour faire la lumière sur ce qui s’est passé. Ils ont voulu m’humilier et me créer des problèmes. Je suis très respecté dans le domaine de l’agroalimentaire à travers le monde et non dans le domaine de la drogue.

Quel est l’état de vos relations avec le président Patrice Talon ?

Nous avions de très bonnes relations. Si nous n’étions pas d’accord sur certains dossiers, je le lui disais. Parfois, il en tenait compte. C’est lui le président de la République. C’est lui qui prend les décisions en dernier ressort. Tout se passait bien.
Vous parlez au passé…
Tant qu’on n’aura pas sanctionné ceux qui ont monté cette cabale pour ternir mon image, je ne serai pas content. C’est le président de la République seul qui peut sévir.
Vous reprochez au président Talon de n’avoir pas tenu certaines de ses promesses…
Nous avons un accord formel et bien écrit qui n’a pas été respecté : nous devions obtenir le tiers des postes ministériels. Nous n’avons eu que trois petits ministères [agriculture, enseignement secondaire, économie numérique], qui sont gérés depuis la présidence. Pour moi, ce n’est pas une bonne collaboration.

Voulez-vous que ces ministres démissionnent ?

Ils ne dépendent plus vraiment de moi. C’est à eux de savoir s’ils doivent démissionner ou pas. Je ne serai ni de près ni de loin mêlé à la gestion du pouvoir de M. Talon.

Entrez-vous donc en opposition ?

Je m’éloigne de la gestion du pouvoir. Je ne sais pas s’il faut l’appeler cela de l’opposition. Je me mets à l’écart. Cela ne veut pas dire que je vais critiquer systématiquement tout ce que Patrice Talon fera. Si ce sont de bonnes choses, je le dirai, sinon, je le dénoncerai.

Est-ce que les affaires sont plus difficiles pour les hommes d’affaires sous la présidence de M. Talon ?

Au temps de Boni Yayi, nous n’entendions pas parler de drogue. Nous ne sommes pas dans un pays de Gestapo ni dans un régime de voyous. Il faudrait que Patrice Talon soigne l’image du Bénin. Les chefs d’entreprise ont peur maintenant. Ils se disent que ce qui m’est arrivé peut aussi leur arriver. On sait maintenant que les services de renseignement peuvent déposer de la drogue dans la maison des gens puis les accuser de trafic.

Envisagez-vous vous positionner pour la présidentielle en 2021 ?

2021 est encore loin. Pour l’élection de 2016, je ne m’étais décidé que six mois avant. On a encore du temps devant nous, mais je pourrai être amené à me présenter à la prochaine présidentielle.