Guerre Israël-Hamas : «Il y a une certaine intimité entre les États-Unis et l’État hébreu»

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Depuis que le Hamas a lancé, le 7 octobre, une attaque sans précédent depuis 50 ans contre Israël, le président américain Joe Biden n’a cessé de réaffirmer son soutien « solide et inébranlable » à l’État hébreu : entretiens avec le Premier ministre israélien, déploiement de porte-avions, veto à une résolution du Conseil de sécurité… André Kaspi, auteur et spécialiste des États-Unis, revient sur les raisons de la position américaine, loin d’être nouvelle.

RFI : Le président américain a déclaré mardi 10 octobre « les liens entre Israël et les États-Unis sont profonds ». Quelles sont les origines de ces liens profonds, qui semblent motiver le soutien des États-Unis ?

André Kaspi : D’abord, il y a des liens politiques, c’est-à-dire qu’Israël est une démocratie au même titre que les États-Unis. D’autre part, il y a la perception aux États-Unis des souffrances que les juifs ont enduré pendant la Seconde Guerre mondiale et de la nécessité de ne pas laisser se reproduire ce qu’il s’est passé entre 1940 et 1944. Le président Truman a été le premier à reconnaître l’État d’Israël en 1948. Il y a une volonté des Américains de défendre l’existence d’Israël. Pour la comprendre, il ne faut pas oublier que jusqu’en 1967, le principal allié d’Israël, c’était la France. Et à partir de 1967 et de la guerre des Six Jours, la France a pris ses distances, elle a été remplacée par les États-Unis. Ça a été un tournant. Il y a maintenant entre les deux pays une certaine intimité, des liens qui sont particulièrement forts. Ça ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être en désaccord sur certains points, ça ne veut pas dire non plus que tous les dirigeants israéliens sont considérés comme des amis par les Américains. Aux États-Unis, avec la présence d’une communauté juive et de fondamentalistes chrétiens, il y a là aussi des éléments qui contribuent à unir les deux pays et à faire que les uns et les autres se sentent parties d’un même combat. Les États-Unis ont répondu présents au cours de la guerre du Kippour il y a cinquante ans, c’est encore le cas aujourd’hui. Ça ne veut pas dire que les deux pays fonctionnent dans une totale amitié et qu’il ne puisse pas y avoir des divergences. Mais les deux États sont liés l’un à l’autre et leurs populations ont des points communs qui expliquent non seulement leur rapprochement, mais aussi leur unité dans les moments les plus difficiles. Ajoutez à cela des liens proprement humains, c’est-à-dire des familles qui sont réparties ici et là, des liens économiques, des liens industriels, des liens scientifiques. Tout ça fait qu’Israël et les États-Unis sont très proches l’un de l’autre.

Quel est le poids politique de la minorité juive américaine ?

Aux États-Unis, la minorité juive est limitée à 2% de la population, c’est très peu. Et parmi ces juifs américains, bon nombre ne sont pas religieux et tous n’ont pas forcément des liens étroits avec l’État d’Israël. En revanche, il y a des minorités chrétiennes qui se sentent proches de l’État hébreu, parce qu’Israël est établi sur la Terre sainte et que par conséquent, aux yeux des membres de ces communautés religieuses, il est évident qu’Israël a une présence particulière et un rôle précis dans l’histoire du monde. Et pour ces chrétiens fondamentalistes, c’est extrêmement important de se sentir proche de l’État d’Israël. Ce qui rapproche les États-Unis de l’État d’Israël n’est pas du tout limité à l’action de la communauté juive, même si elle joue un rôle, ce lien correspond à quelque chose de plus large qui porte sur les liens religieux, politiques, économiques et culturels.

Il y a aussi l’effet du American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), un groupe de pression créé par les juifs pour défendre des valeurs juives et les relations avec les États-Unis. Au moment des débats législatifs, quand il s’agit de voter une aide financière à l’État d’Israël par exemple, l’AIPAC essaie d’agir sur la Chambre des représentants ou sur le Sénat suivant les nécessités. De plus, 80% des juifs américains votent démocrate, ça veut donc dire que sur le Parti démocrate, l’AIPAC tient une place loin d’être négligeable. Mais même quand le gouvernement est républicain, le groupe parvient malgré tout à faire pression. L’AIPAC a des moyens considérables et sait agir, mais les États-Unis n’en sont pas complètement dépendants. Ce n’est pas non plus un groupe de pression tout-puissant qui pourrait influer dans tous les événements qui concernent les relations entre les États-Unis et Israël. L’AIPAC est un élément parmi d’autres, important certes, mais ça n’est pas la seule explication des liens étroits qui existent entre les États-Unis et l’État d’Israël.

Ce jeudi 19 octobre, face au risque d’embrasement au Moyen-Orient après le bombardement d’un hôpital à Gaza, Biden a appelé Israël à ne pas faire « les mêmes erreurs » que les États-Unis. Les États-Unis pourraient-ils pousser Israël à la retenue ?

Les États-Unis sont le principal allié d’Israël, donc quand le président des États-Unis exprime une opinion, il est évident que ça ne manque pas d’avoir de l’influence. Maintenant, l’État d’Israël est un État indépendant, il a un gouvernement, des élus et une opinion publique. Les États-Unis peuvent en effet exprimer leur opinion, c’est une opinion qui compte, mais la décision n’appartient pas à Washington. La décision appartient à Israël. Toujours est-il que Washington peut agir sur Israël. Ce que craignent avant tout les États-Unis, c’est un embrasement du Moyen-Orient, c’est-à-dire une guerre qui serait déclenchée contre Israël, par l’Iran ou les soutiens de l’Iran. Ces conséquences peuvent être encore plus tragiques puisque ça voudrait dire dans ce cas-là qu’il y a une guerre générale au Moyen-Orient et dans cette guerre générale au Moyen-Orient, les États-Unis seraient forcément impliqués. Ça signifierait qu’ils ne sont pas arrivés à freiner les événements et à empêcher que la situation ne dégénère. Pour l’éviter, les États-Unis s’appuient sur des États arabes, qui ne sont pas les Iraniens, et qui peuvent assurer une certaine retenue. Encore faut-il que du côté d’Israël, il n’y ait pas d’actes qui soient des provocations envers ces États arabes. Mais il y a une telle connivence entre les deux pays que ce genre de déclaration pourrait peser sur la politique d’Israël. Les États-Unis sont un ami très proche et les avis d’un ami très proche, ça compte

RFI