Rencontre Talon-Yayi : Réaction du patriarche Karim Urbain da Silva

Politique

(« On ne va pas à une réconciliation avec un chapelet de conditions irréalistes et dignes d’un casus belli » ;  « La réconciliation ne peut être le prétexte à une énième entorse à la loi. Il ne faut pas tordre le cou à la justice…la réconciliation ne peut se justifier par l’injustice, bien au contraire », dit-il)

Après la rencontre entre le chef de l’Etat, Patrice Talon et son prédécesseur Boni Yayi, les Béninois réagissent. L’une des réactions qui retient l’attention est celle du patriarche Karim Urbain da Silva que nous avons contacté. Pour rappel, au cours des échanges avec Talon, Boni Yayi a fait quelques doléances. Entre autres,  la libération des personnes détenues en prison tels que Reckya Madougou, Joël Aivo et autres. Autre demande de Boni Yayi, le retour des exilés dont Sébastien Ajavon, Komi Koutché etc.  « Moi je demande et c’est lui qui décide », a toutefois souligné l’ancien président Boni Yayi. Se prononçant au sujet du pardon et la réconciliation que prônent plusieurs Béninois, Karim Urbain da Silva déclare : « Certes il faut amener les gens à pardonner tout ce qu’ils ont subi mais cela n’absout pas les auteurs de ces actes de la sanction encourue».  Il insiste : « La réconciliation ne peut être le prétexte à une énième entorse à la loi. Il ne faut pas tordre le cou à la justice… ». Le patriarche s’est fait clair :   « la réconciliation ne peut se justifier par l’injustice, bien au contraire ». Entretien

Les 4 Vérités : Le mercredi 22 septembre, le peuple a suivi la rencontre entre l’ancien président Boni Yayi et son successeur Patrice Talon. Comment appréciez-vous cette rencontre ?

Karim Urbain da Silva : Voulez-vous que je vous dise mon réel sentiment en toute sincérité ?On doit se pardonner mais on ne peut pas oublier tout ce qui s’est passé.

Je suis pour une véritable réconciliation entre ces deux hommes, mais à voir les images retransmises par la télévision, il peut arriver que nos attentes soient déçues et en cela cette rencontre m’a laissé un arrière-goût du doute, parce qu’il y a des gestes et des propos qu’il faut savoir interpréter.

Il y a 44 ans j’étais du voyage en Israël avec le président égyptien Anouar El SADATE, dont j’étais le conseiller. Une euphorie générale et totale avait finalement cédé la place à la froide réalité d’une situation, au fil du temps. La suite on la connait…

C’est bien, c’est une bonne chose que les deux se parlent à présent mais croisons les doigts.

Certes, ce n’est pas le même contexte que le sempiternel conflit du Moyen-Orient et comparaison n’est par raison, mais il y a des stigmates qui m’ont laissé sur ma faim.

On a remarqué la joie sincère du Président Patrice TALON d’accueillir l’ex Président Boni YAYI et sa disposition à la paix est manifeste, évidente, et en tout cas obligatoire s’il entend vraiment gérer ce pays dans la concorde. Mais, il y a aussi l’attitude et les propos de l’ex-Président YAYI, lors de cette rencontre qui tenus à côté du chef de l’Etat m’ont laissé sur ma faim.

Lorsque l’on va à une réconciliation, il y a des gestes qu’il faut s’abstenir de faire sinon pourquoi y être allé ? On a vu sur les images, l’ex-Président Boni YAYI douter du siège qui lui était proposé, on l’a vu lire un texte écrit à l’avance, on l’a entendu dire qu’il avait à ce sujet consulté le Président SOGLO, on l’a entendu égrener des doléances comme s’il était le porte-parole d’un groupe de factieux qui fixe ses conditions à la paix. Tout ceci est un peu fort de café et me laisse perplexe.

Maintenant si vous me demandez ce que je ressens, je vous répondrai que tôt ou tard, cela devait arriver et qu’à tout prendre, c’est d’abord une première pierre dans le jardin de la paix, ce auquel je souscris entièrement.

Ensuite, pour aller au fond, je vous dirai qu’il y a la personnalité de ces deux hommes. Le Président TALON est chevaleresque et a beaucoup de spontanéité, de pondération et de noblesse dans son attitude, et sa disposition à vouloir faire la paix avec son ainé est manifeste.

On aurait cru que c’est lui qui est allé vers l’autre alors que c’est l’inverse. Qui ne se souvient pas que dans cette même position, Boni YAYI s’était montré intraitable et menaçant le 1er août 2012 lors de l’entretien qu’il avait accordé en direct à la presse.

L’ex-Président Boni YAYI doit, en toute sincérité, s’il veut continuer à être crédible, mettre de l’eau dans son vin. On ne va pas à une réconciliation avec un chapelet de conditions irréalistes et dignes d’un casus belli. Ayant été chef d’Etat, il n’est pas sans savoir que son successeur doit gérer, la tête froide, des contradictions entre les béninois que nous sommes, étant le père de la nation.

D’autant plus qu’il s’agit de doléances de personnes qui ne représentent qu’une partie de la population d’une région du pays, laquelle ayant été manipulée par des politiciens peu scrupuleux, a posé des actes graves dont de nombreux concitoyens ont été victimes et que la volonté et l’option de la paix ne peuvent effacer d’un coup de baguette magique comme si de rien n’était, si tant est qu’il faut leur donner quelque crédibilité… Jugez-en vous-même.

Il n’est un secret pour personne que j’ai soutenu l’ex Président Boni YAYI lorsqu’il était aux affaires. Je ne suis pas de ceux-là qui se refusent de dire les choses telles qu’elles sont ou apparaissent.

Je me dois donc, si je suis du côté de la vérité, de désapprouver son comportement et ses actes et de lui dire que ce qu’il fait aujourd’hui dessert les intérêts de la nation. Il ferait mieux de se réconcilier sans condition, d’autant plus qu’il est toujours, et tout au moins moralement, tenu par une obligation de réserve.

Devrait-on lui rappeler que les services rendus à son pays et sa popularité dans le septentrion ne valent pas hypothèque sur la nation ?

Trop de personnes ont été gratuitement et injustement frappés dans leur chair par des actes inconséquents posés en violation du droit et de la paix. Doit-on laisser ces faits impunis ? Et pour gagner quoi, sinon à terme, la révolte ou la guerre civile ?

Ceux qui ont été les victimes du pire n’ont-ils pas droit à la justice ou le prétexte de l’unité nationale qui n’a pas suffi à empêcher les uns de foutre le désordre doit-il maintenant permettre de les absoudre des crimes qu’ils ont commis ?

Les autres aussi sont fils de la nation, et il n’y a pas deux catégories de citoyens. La réconciliation ne peut se justifier par l’injustice, bien au contraire.

C’est la raison pour laquelle je disais au début de cet entretien qu’on doit pardonner mais que nul n’a le droit d’oublier. Je souhaite qu’on se pardonne réellement.

Boni YAYI m’aurait, un tant soit peu, rassuré s’il avait laissé parler son cœur en improvisant un petit speech lors de cette rencontre au lieu de ce papier de revendications attentatoires à la paix qu’il était venu lire.

Ceci, implicitement, laisse entendre qu’il souffle le chaud et le froid, dans un yoyo digne de Donald TRUMP qui, après avoir commandité publiquement les actes attentatoires au Capitole, a voulu se dédouaner d’en être l’incitateur.

Quand on veut s’entendre, lorsqu’on veut la paix, on ne fait pas de cinéma. Quant au Président Patrice TALON, l’opinion nationale et internationale se rendra compte de sa volonté à faire la paix, pourvu que celui avec qui il veut le faire soit dans les mêmes dispositions, c’est-à-dire, sincère.

 

Et, peut-on croire en la sincérité de Boni YAYI ?

Au vu de tout ce que je viens de rappeler, il est permis d’en douter. Je constate aujourd’hui et à regret que sur le plan des valeurs humaines, les choses ont terriblement changé dans notre pays. Laissez-moi vous apprendre que malgré qu’ils fussent des adversaires politiques incontestables, Apithy et Ahomadégbé eurent une autre vie en dehors de la politique.

En effet, Ahomadégbé était l’un des médecins d’Apithy qui n’a jamais douté de lui. On ne me l’a pas raconté, je l’ai personnellement vécu parce qu’il m’est arrivé quelques fois d’aller chercher le président Ahomadégbé, à la demande du Président Apithy, pour soigner ce dernier.

Cet exemple, que je donne ici, suffit, à lui seul, pour comprendre, si besoin était, qu’il faut résolument enterrer la hache de guerre, au lieu de tout ce cinéma que nous offre Boni YAYI !

D’autant plus qu’il y va de l’intérêt de tous que nous laissons travailler le Président Patrice Talon. Il faut nécessairement qu’il accomplisse totalement son œuvre. C’est indispensable et salutaire.

Ce qu’il a réussi, dans ce pays, en trois ans, son antagoniste ne l’a pas fait en 10 ans, et aucun chef d’Etat avant lui, n’a réalisé autant d’œuvres en si peu de temps.

On oublie toujours lorsqu’on fait le décompte qu’il fut malade et que pendant près d’une année on entendait des commentaires désobligeants à son endroit, critiquant qu’il n’avait qu’un catalogue de bonnes intentions et que rien ne bougeait sur le terrain.

Le résultat de trois années seulement sur cinq ans fut époustouflant. Qui a fait mieux ? Sur tous les plans, le Président Patrice TALON a changé profondément le pays, on peut ne pas l’aimer mais on ne peut ni ne doit nier l’œuvre accomplie avec panache !

 

Pour le dégel du climat politique actuel, il a été proposé le retour des exilés et la libération des prisonniers politiques. Que pensez-vous de ces propositions ?

 

Tout d’abord je ne peux croire qu’il y a des exilés politiques au Bénin. Plusieurs sont partis, sans crier gare, en filant à l’anglaise. Ils sont les seuls à en connaître les raisons. D’autres se sont exilés pour échapper à des poursuites judiciaires et, une fois l’autre rive atteinte, se sont mués en homme politiques opposants qu’on ne leur savait pas ici auparavant, etc… il n’y a pas de délit d’opinion au Bénin. Avancer de pareilles inexactitudes revient automatiquement à ternir l’image de notre pays.

D’autre part, j’ai des parents et des amis parmi ces exilés. Je ne vous apprendrai rien en vous déclarant que je suis un progressiste et un panafricaniste. J’aime beaucoup ce pays, mon pays le Bénin, au point où, en 1968, lorsque les commerçants dont j’étais le président du syndicat (SYNACID) m’ont désigné pour être leur candidat à l’élection présidentielle, je n’ai pas hésité une seconde à vouloir service.

J’avais déjà en vue, à l’époque, de mettre fin à ce désordre qui a duré tout le temps, jusqu’à ce que le Président Patrice TALON, vienne y mettre fin. Une des conséquences de la fin de ce désordre est malheureusement l’exil pour certains eu égard à la nature de leurs actes passés, au regard de la loi.

Vous pouvez aisément comprendre ainsi que je partage totalement les vues du Président de la République sur la nécessité de transformer ce pays et que pour d’autres raisons que je ne juge pas opportun de révéler ici, mon soutien à son action ne peut lui faire défaut. Combat-on celui qui construit et fait bien pour le bonheur de tous sans distinction ?

On doit mettre fin à l’injustice dans notre pays. La réconciliation ne peut être le prétexte à une énième entorse à la loi. Il ne faut pas tordre le cou à la justice. Certes, il faut amener les gens à pardonner tout ce qu’ils ont subi mais cela n’absout pas les auteurs de ces actes de la sanction encourue.

Je ne crois pas que le Président veuille suivre tous ceux là qui souhaitent tant qu’il laisse de tels actes impunis. Ceux qui parlent de passer l’éponge sur ces actes de guerre en temps de paix n’ont pas vu les blessés, moi je les ai vus. Et le président de la République ne peut les ignorer. Sinon, de quel côté de la loi serait-il ? Que gagnerait-il ? De la crédibilité ou du discrédit ?

Et puis, que ceux qui se sont volontairement exilés prennent exemple sur notre frère Bertin KOOVI. C’est le meilleur exemple qu’ils puissent suivre. Qui autant que lui a déblatéré sur le Président TALON ?

Bertin KOOVI a pourtant demandé à rencontrer le Président de la République, il s’est excusé, le Président l’a pardonné. Grandeur et noblesse de cet énorme président qu’est Patrice TALON, cela se passe de commentaires.

Bien entendu KOOVI a été critiqué par d’autres, mais il a fait ce qui était le mieux indiqué.

Le Président Patrice TALON est un homme de cœur et de pardon. De plus, en tant que Chef d’Etat, il a le pouvoir d’amnistier et de gracier. Et il sait ce qu’il doit faire… On ne peut donc aller le voir pour lui imposer des conditions de reddition.

Le Président Patrice TALON, contrairement à la propagande orchestrée, contre lui, depuis l’extérieur, par une certaine presse, et d’autres béninois, pour des intérêts indicibles parce que sordides, n’a jamais varié de cap.

Un ancien Président, avant lui, suivez mon regard, avait dit, pour avoir perdu les élections à Porto-Novo, que les pavés seraient posés jusqu’au bord du pont de Porto-Novo, sans entrer dans la ville. L’autre, plus tard, bien qu’ayant eu des enfants d’une native de Porto-Novo, a mis le black-out total sur la ville parce qu’elle n’avait pas voté pour lui.

L’ex Président YAYI devrait laisser l’actuel travailler en toute quiétude, au lieu de troubler son action, dans le but inavoué de la faire échouer. Il doit laisser le peuple Béninois découvrir la grandeur et la noblesse de cet homme.

Lorsque je dis grandeur et noblesse, il faut bien s’en rendre compte, parce que ce ne sont pas des qualificatifs en l’air. J’en veux pour illustration que, tout récemment, des personnalités religieuses ont violemment pris à parti le Président de la République. Il n’a point réagi.

Le Président TALON est un missionnaire, s’il devait s’attarder sur tout ce qu’on dit de désobligeant autour de lui ou à son adresse, le pays ne serait pas autant transformé qu’il l’est aujourd’hui.

Ses réalisations sont innombrables. La disponibilité et la qualité de l’électricité, la fin de la pénurie des compteurs, l’agrandissement du réseau de distribution de l’eau sur toute l’étendue du territoire, les moyens de transport et les voies d’accès, les désenclavements et désengorgements, les grandes routes, la libération de l’espace public, les cantines scolaires, l’arrêt des grèves intempestives qui a conduit à l’amélioration du rendement de la douane, et du niveau scolaire des enfants, d’où un record de réussite cette année qu’on avait pas revu depuis près de cinquante ans, la construction d’infrastructures nouvelles, de stades, hôpitaux, la réorganisation de l’administration, les infrastructures hôtelières, l’éclairage nocturne, le financement de nombreux projets à caractère social, la modernisation de l’aéroport et du port, le changement qualitatif de l’attitude des agents permanents de l’Etat qui a eu pour conséquence immédiate l’amélioration du service public, le nettoyage et la salubrité des villes, la sécurité publique puisque les braquages ont disparu, les trafics de drogue et tout genre ont été réduits considérablement, l’assainissement du milieu des affaires, qui redonne à notre pays une visibilité et une crédibilité sur la place internationale, etc…

Et OUI ! Avec Patrice TALON le Bénin a gagné une nouvelle face, une nouvelle identité, où le sérieux, le travail et l’accomplissement sont des réalités et non plus de simples mots comme il n’y a pas encore si longtemps.

Il faut que le Président Patrice TALON continue d’exécuter son programme, comme il le fait, en appliquant Rabelais qui disait « Bien faire et laisser braire » … Et ce sera tant mieux pour le Bénin !

Propos recueillis et transcrits par Fréjus MASSIHOUNTON