Afrique : Quand Buhari contre-attaque et coupe Twitter au Nigéria

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Censuré pour n’avoir pas respecté les règles édictées par Twitter, le président n’a pas hésité à recourir à des mesures de représailles qui pénalisent les 40 millions d’usagers de son pays. Une attitude qui alimente les soupçons de déni de démocratie.

Dans les années 1980, apparaissait, dans les quartiers populaires d’Abidjan, une nouvelle race de jeunes : les ziguéhis. Le muscle ferme, les articulations souples, les coups de poings et de pieds faciles, ils imposaient leur volonté par un phrasé court, percutant, qui bien évidemment souffrait peu la contradiction. Quand on a les moyens de son verbe, les débats ne sont jamais longs. Abreuvés des codes westerns (le plus rapide), des films de kung-fu (le plus fort) et de la mythologie du guerrier africain (le plus brave), ils faisaient régner un semblant d’ordre qui, en général, ne servait que leur image et leurs intérêts.

Ziguéhi un jour, ziguéhi toujours

Justement, Muhammad Buhari a pris le pouvoir au Nigeria dans les années 1980, comme un ziguéhi. D’abord par un coup d’État, ensuite en imposant un arsenal de mesures d’austérité économique et sociale à faire pâlir les fonctionnaires les plus retors du FMI. Et bien évidemment, aucune de ces mesures ne pouvait être contestée, même pas au second degré avec la plume de Wole Soyinka ou avec un saxophone sibyllin comme celui de Fela Anikulapo Kuti. Les ziguéhis abidjanais criaient : « Tenter-regretter ! » Pour Buhari 1er, c’était « Tenter-emprisonner ». Justice expéditive et prison – dans le meilleur des cas – pour tous ceux qui osaient. Mais « c’est fer qui coupe fer » : le général s’est fait balayer par un autre général.

Et puis les années ont passé. La plupart des ziguéhis sont morts avant leurs 50 ans, phénomène naturel chez les pauvres en Afrique. Buhari lui, est toujours vivant et en activité après ses 75 ans, phénomène naturel chez les politiciens en Afrique. L’homme a fait comme beaucoup d’anciens putschistes : il a troqué le treillis contre le boubou pour devenir Buhari II, président « démocratiquement élu ». Déjà, son pote Obasanjo (ils ont renversé Gowon ensemble, en 1976) avait fait pareil. Notons au passage cette spécialité nigériane de recycler de l’ancien putschiste en président de démocratie. Fela qui s’élevait contre Buhari disait « demo-crazy » (Teacher Don’t Teach Me Nonsense, 1986). Car ziguéhi un jour, ziguéhi toujours.

Formules désastreuses et simplistes

Alors, il a gardé ses anciennes « vertus » : le sens de la formule facile, péremptoire, et les allergies graves à la contradiction. La première marche bien avec Twitter, outil moderne et incontournable de communication. Tout dire en 280 signes (exactement ce qu’il y a avant cette parenthèse, vous pouvez compter) est jouissif quand il faut mettre du complexe et du subtil dans des phrases simples. Ce qui fait de Twitter un instrument puissant aux mains d’artistes, de lettrés et d’hommes de culture. Mais l’oiseau bleu est aussi idéal pour le processus inverse, c’est-à-dire simplifier les choses complexes et subtiles, parfois jusqu’à les vider de tout sens. Ce qui en fait un instrument puissant aux mains des caricaturistes et des populistes de tous bords.

Ces dernières années, Trump en était l’exemple le plus abouti. Il a ventilé un nombre incalculable de formules désastreuses et simplistes. Avec la même ardeur à multiplier les tweets réducteurs patinés d’acrimonie, de menaces et de haine, on peut dire que Buhari est de la même… Trump. Conséquence pour les deux : get out ! Mais leurs chemins de désormais ex-twittos divergent à partir de la deuxième « vertu » du ziguéhi. Trump, tout aussi allergique à la contradiction, était le président d’une democracy. Buhari est le chef d’une « demo-crazy ». Là où le premier s’est contenté de bouder tout rouge dans les couloirs de la Maison-Blanche, le second a vu rouge tout court et a coupé Twitter dans un pays qui compte 40 millions d’utilisateurs. C’est le jour où Trump a dû amèrement regretté de ne pas être à la tête de ce qu’il appelait tendrement shit hole country. Je dédie cet article à la mémoire de Fela Anikulapo Kuti.

Par Gauz, écrivain ivoirien ( In J.A.)

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