Me Joseph Djogbenou se prononce (opinion)

Economie & Tech

Je m’étais résolu à observer, dans le silence, les suites que l’Etat du Bénin réserverait à une décision de justice, rendue sous les auspices d’une juridiction communautaire à la fondation de laquelle il contribue inlassablement. A écouter le ministre en charge de la justice ce soir du 26 mai 2014, exposant avec arguties, la rébellion du prince à la décision de justice, je réalise que ma résolution était vaine, les inexactitudes, le kopeck et le sinistre traduisant un véritable désastre auquel nul ne saurait rester indifférent.

Je m’étais résolu à observer, dans le silence, les suites que l’Etat du Bénin réserverait à une décision de justice, rendue sous les auspices d’une juridiction communautaire à la fondation de laquelle il contribue inlassablement. A écouter le ministre en charge de la justice ce soir du 26 mai 2014, exposant avec arguties, la rébellion du prince à la décision de justice, je réalise que ma résolution était vaine, les inexactitudes, le kopeck et le sinistre traduisant un véritable désastre auquel nul ne saurait rester indifférent.

1°) Les inexactitudes. La parole ministérielle, avec l’onction présidentielle, en comporte une myriade. Mais on peut en oser une synthèse : celles qui procèdent de l’ignorance et celles qui résultent de l’incompétence.
a) Les inexactitudes procédant de l’ignorance. L’ignorance de la procédure d’arbitrage est la première salve du Gouvernement contre la sentence rendue et, par conséquent, contre la juridiction d’intégration et, par delà, tout le système OHADA. Soit la mémoire de l’administration a failli, soit celle des collaborateurs subit un exil passager. Mais la lecture de la sentence aurait pu corriger l’oubli, si elle était faite avec lucidité. On y lit, en effet, que :
i. A la suite des péripéties sur lesquelles il n’est plus opportun de s’attarder ainsi que de la demande de conciliation qu’elle a vainement formulée à l’endroit de l’Etat, Benin control SA a dû se résoudre à introduire une demande d’arbitrage. Cette demande a été introduite à la CCJA le 7 mai 2013.
ii. Le 4 juin 2013, la demande d’arbitrage est notifiée à l’Etat par la CCJA. Dès cette date, l’Etat était dans la connaissance de la procédure engagée.
iii. D’autant que dès le 17 juin 2013, l’Etat formule une première réponse procédurale en confirmant, par lettre, son identité, son adresse au titre de la procédure, ainsi que son domicile élu.
iv. Il s’engage définitivement dans cette procédure par une série de correspondances et un mémoire (c’est-a-dire une réponse en défense aux demandes de Benin control SA), tous disponibles. C’est ainsi que les 16 juillet, 16 août et 6 septembre 2013 l’Etat béninois soit confirme, soit conteste dans tous les cas soulève des moyens de procédure et de fond qui, au demeurant, sont exposés dans la sentence arbitrale. Le ministre a manqué de rappeler, à moins que Mme l’Agent judiciaire du trésor ait oublié de l’en aviser, les nombreuses relances, que le secrétariat de la CCJA a adressées à l’Etat ; le déplacement que Mme l’AJT a, elle-même, effectué à la Cour.
Les inexactitudes concernent également la date de la sentence que l’on tente de faire coïncider avec le résultat de la médiation conduite par le Président Abdou DIOUF. Il suffira juste de relever sur la sentence que celle-ci date du 13 mai 2014 alors que la déclaration de M. Boni YAYI qui date du 14 mai…
Cette ignorance prétendue de la procédure d’arbitrage mais non avérée traduit plutôt une autre, gravissime, celle du droit au moyen duquel l’on doive défendre, et l’Etat, et les citoyens. Il sera rappelé en effet par les juristes qu’il n’y a pas de procédure d’arbitrage en l’absence des parties. On dira qu’il n’y a pas de défaut en matière d’arbitrage. C’est pour cela qu’il n’y a pas de recours en opposition (le recours que la personne absente dans une procédure exerce lorsqu’elle a connaissance de la décision rendue) en matière d’arbitrage. Aucun tribunal arbitral n’examine une affaire s’il ne s’assure que toutes les parties sont dans la connaissance de cette procédure et sont mises en demeure d’exposer leurs moyens de défense.
b) L’incompétence. Au vrai, ces péripéties procédurales posent la question de la compétence et la pertinence de l’élite au pouvoir. Il souviendra à chacun que la rengaine du droit administratif qui eut pu selon certains, conduire cette affaire dans les casiers de la chambre administrative aux fins, à tout le moins, de réfrigération prolongée, fut chantée dès le départ. Un solide fondamentalisme s’était développé à cet effet, de sorte à faire de chaque béninois, outre un spécialiste de droit constitutionnel, un affidé de droit administratif. Le contrat était enseigné dans les facultés, la sentence prononcée dans les marchés. On a tenté d’éluder avec aveuglément et mépris, l’existence de la convention d’arbitrage et de ses suites nécessaires. On renie la clause d’arbitrage dans le contrat conclu avec Benin control. Mais on le conclut avec un enthousiasme complaisant, dans ceux de NOCIBE et de BOLORE. On s’est gaussé de la force du droit en exhibant le droit de la force. On se contente de juger devant les médias au lieu de plaider devant les juges. Et devant l’opinion, on se contente des suffrages de l’émotion à défaut d’obtenir, devant les juges, ceux de la raison. L’Etat n’a pas le droit de se comporter ainsi. C’est de la pure incompétence de se mal défendre et d’exposer, après, les juges à la vindicte populaire. Au Bénin, la justice n’est impartiale que lorsqu’elle prend le parti de M. YAYI.
Mais l’incompétence ne conduira pas seulement à la menace de retrait de l’Etat d’une organisation interétatique telle que l’OHADA, elle risque de conduire les gouvernants à exercer la violence, à soulever les peuples contre eux-mêmes et contre ceux qui font à nouveau l’objet de fatwa. C’est l’incompétence qui affaiblit l’esprit. Le garde des sceaux, en dépit de toute sa bonne volonté et de ses qualités intrinsèques en matière d’administration des hôpitaux ne paraît pas à sa place au Gouvernement. A continuer de mal garder les sceaux, le risque est bien élevé de se faire garder par des sots.
2°) Le kopeck. « L’Etat ne paiera aucun Kopeck ». Cette affirmation suggère, sans aucune nuance, que l’Etat est condamné à payer 129 000 000 000 à Benin Control SA. Mais la décision ne devrait pas conduire à cette hypothèse si la responsabilité et la lucidité avaient regagné la gouvernance. En effet, le tribunal ordonne, en principal, à l’Etat de poursuivre l’exécution du contrat. Il lui a prescrit un délai à cette fin : 60 jours. C’est à défaut de s’exécuter dans ce délai que le tribunal prononce une condamnation de substitution qui est le reflet, non seulement de la perte éprouvée, mais encore du gain manqué. Bien sûr, l’Etat pourrait n’avoir à payer aucun franc à qui que ce soit. Mais à condition de respecter sa parole, sa signature et les décisions de justice.
Il faut que chacun agisse afin que celles et ceux qui représentent l’Etat recouvrent la raison. Le Bénin n’est plus isolé. Et Bénin Control est une constellation d’intérêts dont les visages les plus évidents ont nom « banques », « assurances », « sous-traitants », « sécurité sociale », « trésor public »… Chaque chercheur d’information pourrait, à tout le moins se renseigner auprès des juridictions béninoises sur les nombreuses actions en justice à l’encontre de Bénin Control SA, introduites par les sous-traitants dont certains offrent déjà leurs services pour exécuter le programme de certification des valeurs. Il faut interroger les sociétés Bureau Veritas, Béton armé ; les salariés de Bénin control sur une éventuelle et « patriotique » renonciation, pour les uns à leurs marchés en sous-traitance, pour les autres à leur emploi et, au pire, à leurs droits sociaux.
Le temps n’est pas aux lamentations, aux dénégations, aux dénigrements ni aux suppliques à l’égard d’un individu. Il est à l’appréhension objective et au traitement rigoureux de cette affaire. On doit savoir que tout ce qui est lié au port, à l’aéroport, au coton, lie les banques primaires dans lesquelles beaucoup de citoyens ont leurs comptes, c’est-à-dire leur fortune et qui sont appelées à financer les projets individuels et collectifs. Admettre que l’Etat, au moyen de la force, s’abstienne d’honorer ses engagements, d’assumer sa responsabilité, c’est conduire ces banques à consumer une part importante de leurs capitaux. Celles et ceux qui en sont proche renseigneront les journalistes sur la pression de la commission bancaire (encore une émanation d’une institution communautaire) qui les conduit déjà à réduire la distribution du crédit et, ainsi, à ralentir les efforts en vue du développement économique. C’est une solution suicidaire pour l’économie d’espérer que l’Etat n’assume pas sa responsabilité. Le problème n’est pas la résistance à l’exécution d’une décision. Le véritable problème, la plus grande crainte, est le coût d’une exécution tardive d’une décision de justice. Il faut que le gouvernement évite d’ajouter, à l’incompétence dans la conduite de cette affaire, l’incompétence dans sa conclusion.
Que le Gouvernement reprenne l’exécution du contrat de PVI comme le prescrit la sentence et il n’y aura pas un kopeck à payer !
3°) Le sinistre. Certains ne se sont guère mépris. L’impression d’apaisement de cette semaine est bien le calme qui annonce une autre tempête. Le président est redevenu général et le discours martial. Un ministre est reçu en audience avec un cabinet de guerre, et la télévision montre qu’à leur suite, les généraux en cénacle furent également reçus. Ce ministre expose, dans la foulée, un plan de guerre contre l’économie et l’emploi. C’est que la paix se repose encore, hélas. On devra attendre. Mais un ministre n’a pas vocation à annoncer un sinistre. Il a, avec son chef, à incarner l’Etat, avec sagesse et raison. Mais il semble bien que sous nos cieux, certains sont, à l’instar des logiciels, bien programmés. Il n’y a donc pas eu de surprises. Sauf que sur la Table ronde de Paris, il faudra mettre quelques comprimés d’aspirine à la disposition des investisseurs convoqués : Le Bénin n’exécute pas les décisions de justice et, si bon lui semble, se retire des organisations d’intégration. Il est souverain, avec son droit et sa chambre administrative!

JFD