Chronique de Christhelle Houndonougbo ALIOZA : L’impact : les traces que nos mots et nos actes déposent dans la vie des autres

Chronique

Il existe, dans la trajectoire humaine, une puissance discrète mais déterminante :l’influence que nous exerçons sur la vie des autres, souvent sans le savoir, parfois sans même le vouloir. Nos actes, nos paroles, nos silences, nos colères, nos regards et même nos doutes forment un langage invisible qui façonne l’esprit de ceux qui nous entourent. Comme le rappelle Montesquieu, « il n’y a point de cruauté plus grande que celle qui s’exerce sans bruit ». C’est dans ce silence, précisément, que se cache l’impact le plus profond.

 

Chaque geste que nous posons, chaque mot que nous prononçons, chaque réaction que nous exprimons laisse une trace. Une trace émotionnelle, une trace morale, une trace mémorielle. Un enfant qui observe ses parents ne cherche pas des discours , il apprend par l’exemple. Une équipe qui observe son leader ne retient pas ses slogans , elle retient sa manière d’être. Une communauté, un foyer, un simple cercle d’amis se construisent d’abord autour des comportements, non pas des déclarations.

 

C’est dans cet esprit que prennent sens des situations quotidiennes qui semblent banales, mais qui sculptent profondément la vie d’autrui. Un père qui rentre à la maison, nerveux et colérique, et qui crie pour chaque détail, ne modifie pas seulement l’atmosphère de son foyer , il enseigne à son fils que la colère est une forme de puissance. Il transmet à sa fille que la peur peut être un mode normal de relation. Voilà comment une simple humeur devient un modèle éducatif. À l’inverse, un père qui fait l’effort de maîtriser son irritation, qui s’excuse après un excès, qui explique calmement pourquoi il est fatigué, enseigne par ce seul geste la noblesse de la responsabilité.

 

Que dire encore de ces hommes qui violentent leurs femmes sous les yeux des enfants ? Ce ne sont pas seulement des coups qu’ils infligent , ce sont des cicatrices qu’ils dessinent dans l’âme. Ils apprennent à leurs fils qu’aimer peut rimer avec dominer, et à leurs filles que supporter peut rimer avec survivre. Ils préparent non pas une génération de familles équilibrées, mais une lignée de blessures prolongées. Hannah Arendt disait que « le mal le plus profond naît souvent de la banalité ». Ces scènes banalisées dans certains foyers sont des tremblements de terre émotionnels pour l’avenir.

 

Pourtant, dans le même monde, il existe des gestes qui guérissent. Une mère qui remarque que son enfant est triste et prend le temps de s’asseoir à côté de lui pour l’écouter : elle plante une graine de confiance qui accompagnera l’enfant toute sa vie. Un grand frère qui encourage une petite sœur à ne jamais renoncer à ses rêves lui offre une colonne vertébrale intérieure. Un enseignant qui félicite un élève en difficulté pour ses efforts et non pour ses résultats lui ouvre une porte vers la persévérance. Un ami qui refuse de participer aux moqueries contre un autre ami crée un climat moral dont tout le groupe bénéficiera.

 

Mais l’impact ne se joue pas uniquement dans les foyers. Dans les milieux professionnels aussi, chaque comportement trace une ligne qui peut élever ou briser. Un manager qui humilie constamment ses équipes devant leurs collègues détruit peu à peu la confiance et installe une culture de peur. À l’inverse, un leader qui reconnaît les mérites de chacun, qui célèbre les efforts, qui recadre sans rabaisser, construit une atmosphère dans laquelle les talents se libèrent. Jim Rohn le disait si bien  « Nous devenons la moyenne des cinq personnes que nous fréquentons le plus». Un responsable toxique n’abîme pas seulement la productivité , il altère l’estime personnelle de ceux qu’il encadre. Un responsable bienveillant, au contraire, transforme des employés en acteurs de leur propre réussite.

 

Dans le monde des affaires, l’impact prend d’autres formes, plus subtiles mais redoutablement efficaces. Le partenaire qui ment sur un contrat apprend à ses associés que l’argent peut valoir plus que la loyauté. Celui qui trahit la confiance d’un ami pour un intérêt financier rapide laisse un précédent moral ,  que la trahison, parfois, peut payer. Mais l’inverse existe aussi. L’entrepreneur qui respecte sa parole même quand cela lui coûte enseigne que l’intégrité est une stratégie durable. Celui qui aide un jeune entrepreneur sans rien attendre en retour plante une graine d’éthique qui, un jour, bénéficiera à toute une génération. Et celui qui refuse de s’associer à une pratique douteuse montre que la réussite n’a de valeur que lorsqu’elle n’a pas de prix humain.

 

Il en va de même dans les relations amicales. Une amie qui parle mal d’une autre derrière son dos répand un climat d’insécurité affective où chacun se méfie. Mais celle qui protège votre nom en votre absence ne préserve pas seulement votre image ,  élève la qualité de la relation. Un homme qui encourage ses amis à prendre de bonnes décisions, à quitter des situations toxiques, à poursuivre des objectifs nobles, exerce un leadership invisible mais déterminant. À l’inverse, un ami qui expose l’autre à des vices, des dérives ou des conduites dangereuses devient un vecteur de destruction progressive. Nous impactons donc aussi par les amitiés que nous entretenons, par les valeurs que nous diffusons, par le climat moral que nous créons dans nos cercles sociaux.

 

Il existe d’autres cas, plus subtils encore. Une collègue qui félicite une jeune recrue instaure une culture où chacun peut grandir. Un voisin qui défend une femme victime de violence rappelle à tout un quartier que la dignité humaine est un principe non négociable. Un commerçant qui traite juste devient la preuve qu’on peut réussir sans tromper. Un chef religieux ou communautaire, par la manière dont il parle des autres groupes, peut installer la paix ou enflammer la haine. C’est là que réside le véritable poids de notre influence.

 

Nos silences peuvent devenir complicité, nos jugements peuvent devenir chaînes, nos doutes peuvent devenir barrières. Mais nos encouragements peuvent devenir des ailes, notre amitié une ancre, notre proximité un refuge, et notre solidarité un tremplin vers la renaissance. Nous n’avons pas toujours conscience de ce que nous transformons autour de nous. Mais les autres, eux, le sentent. Les enfants, surtout, le retiennent pour la vie.

 

Nous sommes, tous, des leaders,  non pas par le statut, mais par l’impact. Ce que nous faisons aujourd’hui entre dans l’avenir de quelqu’un. Ce que nous négligeons aujourd’hui deviendra peut-être la blessure ou la force de demain. Kierkegaard disait « La vie ne peut être comprise qu’en regardant en arrière, mais elle doit être vécue en regardant en avant ». Et c’est précisément pour cela que nous devons vivre en conscience pour ne pas regretter ce que nos comportements auront gravé.

 

En vérité, la plus grande trace que nous laissons derrière nous n’est ni matérielle ni spectaculaire. Elle est émotionnelle. Elle réside dans les cœurs que nous avons élevés ou blessés, dans les esprits que nous avons éclairés ou assombris, dans les chemins que nous avons ouverts ou fermés. Chaque être humain traverse la vie en tenant une craie invisible : il écrit sur l’âme des autres. L’essentiel est de choisir d’écrire avec douceur, avec justice, avec humanité.

 

CHA

Femme de pouvoir, Femme d’impact