Parements d’Egungun en France : Les clarifications du Professeur Dodji Amouzouvi

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Une polémique liée aux images de parements d’Egungun exposés dans un musée en France fait le lit de l’actualité dans les réseaux sociaux. Le professeur Dodji Amouzouvi, directeur du Laboratoire d’analyse et de recherche Religion, espace et développement (Larred-Uac) a réagi dans un document audio et explique que ces accoutrements détenus par les Blancs ne sont que des tissus sans aucune énergie. Il rappelle que l’habit ne fait pas le moine, et que ces tissus ne deviennent déité/divinité/Vodun qu’après avoir subi des rituels. D’ailleurs, conclut-il, ils perdent leur sacralité lorsque l’environnement change. Lire l’entretien publié sur le site de Bénin Intelligent.

Professeur Dodji Amouzouvi : Je voudrais que nous soyons sûrs d’une chose : qu’on sépare les contextes, les acteurs et les mouvements. Je voudrais aussi que nous ne tombions pas dans le piège para-anthropologique des premières heures du XIXe siècle.

Je voudrais qu’on commence par nous-mêmes d’abord. Que nous ne réagissons pas avec passion, ou de façon spontanée. Nous sommes au Bénin où nous disons que Egungun est une déité. Au Bénin, combien de fois les initiés, les non-initiés avec les églises évangéliques, chrétiennes toute obédiences confondues vilipendent et désacralisent Egungun sur sa propre terre ? Que faisons-nous ? Vous pensez que les autres depuis là-bas ne suivent pas ces choses ? Lorsque le Egungun on le voit aller voler, lorsque les Egungun on les voit chargés dans les véhicules de la Police, gardés à vue, lorsqu’on les voit montés sur zemidjan avec une femme et un homme, non-initiés pour éviter que Egungun accoutrés ne fuient pas. Lorsque les Egungun se livrent à des pugilats avec des non-initiés en public. Je voudrais m’en arrêter à ces choses-là. Qu’est-ce qui reste des Egungun à partir de leur terre qui est la terre béninoise ? Qu’avons-nous fait de nos propres déités ? Quel message envoyons-nous au reste du monde ? Voilà des Egungun avec toute leur sacralité, au nom d’une religion, au nom d’un progrès nous même les ramenons à ce niveau.

« Tant que le tissu est là, cousu, il demeure accoutrement »

Voilà des tissus, moi j’appelle ça des tissus même s’ils nous renvoient à la sacralité. Pour ceux qui ne savent pas, c’est en vente libre, en confection libre. Il y a des femmes, il y a des hommes dans des familles, dans des communautés, des aires culturelles ils vont les remettre aux Bal?, aux pères de famille, aux anciens pour dire littéralement “habillez-moi tel Vodun” et ça sert à la confection. Ce n’est pas un crime ni un sacrilège. Ce n’est pas un blasphème, ce n’est pas une profanation.

Tant que le tissu est là, cousu, il demeure accoutrement. Mais il ne devient déité que lorsqu’on prononce la parole, qu’on lui communique l’énergie déifiante. Le pain sans levain reste pain sans levain tant que le prêtre ou l’officiant ne prononce les paroles qui le transforment en corps du Christ. Alors, si je vais retrouver des pains sans levain quelque part dans un calice ou dans une assiette, est-ce que je vais dire que c’est le corps du Christ qui est en train d’être profané ? Je ne le dirai jamais même si la vue du pain sans levain découpé comme l’eucharistie me renvoie à l’eucharistie. Il n’est pas l’eucharistie tant qu’il n’est pas passé par l’offertoire.

« L’habit ne fait pas le moine »

Ramenons les choses dans leur juste proportion. Il ne faut pas que les européens, là-bas dans leurs musées, leurs châteaux ne viennent nous dire que ce sont nos déités qui sont là-bas. Ce ne sont pas nos déités. Si jamais nous rentrons dans ce jeu ils vont nous le retourner pour dire : voilà ! les déités de ces gens-là ne servent à rien. Ils savent bien que ce ne sont pas nos déités. Les initiés savent que ces tissus ne sont pas déités. L’habit ne fait pas le moine. Si je vois l’habit du moine, je vais dire que c’est le moine ? Il me renvoie au moine, il m’aide à reconnaître le moine mais il n’est pas le moine. La déité Egungun dans sa manifestation spectaculaire, théâtrale n’est pas le sacré.

Si nous sommes des scientifiques, des sociologues de la religion nous devons accompagner le mouvement de manière à ce que nous gardions ce qui est le nôtre. Qu’on développe la logique, la philosophie que le tissu n’est pas le Vodún. Sinon le petit blanc qui a foutu son corps dans un tissu, après l’avoir enlevé va dire que lui-même est devenu Egungun. Il n’a qu’à venir dans mon couvent faire ça, et deux heures après au maximum on l’enterre. Parce que les accoutrements dans mon couvent sont sacrés. Ils ne sont pas désacralisés. Ils ont déjà connu tous les rituels qui leur confère la charge pour laquelle n’importe qui ne peut porter.

Donc si on a quelque chose à faire pour aider le débat, c’est de renvoyer au reste du monde que ce qu’ils ont là-bas, même si c’est des gens qui ont volé et que ça a déjà servi en public une fois, arrivé là-bas ça n’a plus la sacralité. Or la plupart des choses qui sont là-bas, cousu ou acheté, n’ont pas connu les rituels qu’il faut. Même si le rituel a été fait et que l’environnement ne s’y prête pas et que l’énergie n’a pas été maintenue, il n’est pas Vodun. Ce ne sont pas des Vodun. Si l’énergie est encore active et que ce blanco a fait ça, il faut remonter, aller chercher ce qu’il est devenu aujourd’hui sans que personne ne sache.

J’ai un ami promoteur de musée qui a emmené Kinninsi actif. Je lui ai dit de désactiver. Il n’a pas encore fait. Est-ce que vous savez qu’il a connu l’incendie chez lui ? Tout a brûlé. »

Propos transcris sur autorisation par S. B. AGBON

 

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