Election présidentielle en Russie : Le seul opposant en lice dépose les signatures de soutien pour sa candidature

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Il reste 48 h en Russie pour la date limite du dépôt des signatures pour une candidature à l’élection présidentielle. À première vue s’est déroulé ce dimanche dans la capitale russe un rendez-vous politique tout ce qu’il y a de plus classique. Un attaché de presse débordé, des militants déjà revêtus des premiers sweat-shirts de campagne, des gardes du corps aux aguets et un candidat, vieux routier de la politique, très à l’aise au micro, répondant à des questions de l’assistance, majoritairement jeune et masculine, soit typiquement la tranche d’âge des mobilisés, sur des sujets variés : avortement, équilibre des pouvoirs, sous-investissement criant dans les infrastructures publiques, pollution. Cela sans éluder ce qui, il le sait, lui vaut cet engouement qui a surpris : sa condamnation sans appel, et ce depuis le début, de ce qu’il prend bien soin d’appeler « une opération spéciale », « une erreur fatale de Vladimir Poutine », a-t-il encore répété, qui a « brisé toute possibilité de lien avec les Ukrainiens pour des dizaines d’années à venir ».

Sauf que le seul fait de tenir cet exercice rhétorique en Russie aujourd’hui semble relever d’un équilibrisme prudent. L’invitation à l’événement est tombée samedi soir, l’accréditation et l’adresse ont été communiquées dans la nuit de samedi à dimanche, à quelques heures à peine du rendez-vous, enfin rien ne signalait de l’extérieur le lieu de réunion, discret, dans un bâtiment à l’intérieur d’une cour dans le centre de Moscou.

La présence, à ce stade de la compétition, de ce candidat interroge 

Un candidat incarnant l’opposition pour donner un vernis de légitimité à cette élection que chacun en Russie sait jouée d’avance, la configuration est connue. Mais cette fois-ci, avec les figures derrière les barreaux comme Alexei Navalny ou Ilya Iachine, l’immense majorité des médias indépendants installés hors du pays et classés « agents de l’étranger » ou « indésirables », la censure militaire à l’œuvre depuis le début de la guerre, la vague d’exil de Russes ordinaires, la présence à ce stade de la compétition de ce candidat interroge.

Ekaterina Duntsova, une journaliste indépendante, a ainsi été écartée au stade préliminaire par la commission électorale en décembre, au motif, classique, « d’irrégularités administratives ». Quant aux autres 11 potentiels candidats, ils font assaut de légitimisme. À la question : « êtes-vous là pour gagner ? », l’un d’eux a ainsi répondu il y a quelques jours : « bien sûr que non, est-ce que j’ai l’air d’être un idiot ? ».

Tout juste désigné candidat fin décembre par son parti, le nationaliste et fidèle du Kremlin Léonid Sloutski a lui assuré d’emblée qu’il « n’enlèverai(t) pas de voix » à Vladimir Poutine dont la victoire sera « énorme », a-t-il promis.

« Malheureusement, si je comprends bien, le président ne regarde ni YouTube ni Telegram »

Le rouleau compresseur de la répression, lui, continue son œuvre. Rien que la semaine dernière par exemple, on a appris la première condamnation d’une Russe à une amende pour avoir donné un commentaire à un média classé « indésirable. ». Boris Nadejdine, lui, a bien avoué au micro de RFI avoir eu quelques difficultés de récolte des signatures dans certaines régions comme en Tchétchénie, mais il a déjà dépassé largement la barre des 100 000 signatures nécessaires. Il peut aussi, par exemple, souligner sans presque avoir l’air d’y toucher un point sensible comme l’âge du président-candidat (71 ans) et sa déconnexion avec le pays en affirmant ce dimanche après-midi, face à une centaine de personnes enregistrant et filmant : « lorsqu’une personne est au pouvoir depuis si longtemps, le principal problème, c’est qu’elle cesse de comprendre ce qui se passe. Parce qu’elle reçoit des informations sous forme de notes de ses services. Malheureusement, si je comprends bien, le président ne regarde ni YouTube ni Telegram ».

Alibi ou non, Boris Nadejdine compose déjà avec les lignes rouges du pouvoir

Le débat sur l’intérêt de soutenir un candidat « libéral » qui serait présent avec l’assentiment plus ou moins tacite du Kremlin est récurrent à chaque présidentielle russe au sein de l’opposition. Mais cette année, nombreuses sont ces figures en exil à l’avoir déjà tranché : Mikhaïl Khodorkovski ou des proches de Navalny ont jugé qu’il fallait appeler à signer pour ce vieux routier de la politique de 60 ans. D’autres voient déjà dans ces soutiens une fragilité. Car dans la Russie d’aujourd’hui, ils sont largement suffisants pour présenter Boris Nadejdine en candidat d’un Occident honni et le mener dans une zone dangereuse pour sa sécurité et celle de ses soutiens, bien au-delà d’une campagne de dénigrement.

ielle de mi-mars. Un scrutin dont l’issue, encore plus que d’habitude, ne soulève pas vraiment de doutes. Ces derniers jours pourtant, dans un pays chaque jour plus verrouillé, un phénomène étonne : celui des files d’attente pour signer pour Boris Nadejdine. C’est le seul candidat autorisé à récolter des signatures à s’opposer ouvertement à ce que Vladimir Poutine persiste à appeler une « opération spéciale ». Cet ex-élu, passé par l’opposition libérale mais aussi des mouvements davantage dans la ligne des autorités, tenait ce dimanche 28 janvier à Moscou une conférence de presse.

Alibi ou non, Boris Nadejdine compose déjà avec les lignes rouges du pouvoir. À la question de RFI : « ferez-vous campagne dans les régions de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson [les régions sous le contrôle partiel de l’armée russe et qui ont été annexées en septembre 2022, NDLR] ? », il a ainsi répondu par la négative. Sauf que la raison avancée n’est pas qu’il conteste la légitimité d’une campagne et d’un vote sur le territoire occupé de l’Ukraine, mais parce qu’il juge que c’est impossible, « en raison des combats et de la loi martiale ».

La journaliste indépendante en exil Farida Roustamova notait, elle, le 23 janvier qu’ « Il est peu probable que les personnes qui soutiennent Boris Nadejdine se fassent des illusions à la fois sur sa personnalité et sur ses chances aux élections. Il s’agit juste d’une lutte pour avoir la possibilité de choisir un bulletin de vote “contre la guerre” […] mais il est peu probable aussi que les fonctionnaires du pouvoir s’attendaient à ce que leur opération politique ne se déroule pas comme prévu et provoque une telle réaction chez les Russes anti-guerre ».

Boris Nadejdine va déposer ses signatures le 31 janvier. La commission électorale dispose de maximum dix jours pour les valider. S’il peut concourir, il sera aussi en mesure d’avoir ses propres observateurs lors du vote.