La Cour condamne une lettre ouverte adressée à Yayi

Politique

La Cour constitutionnelle du Bénin vient de condamner une lettre ouverte adressée au président de la République, le Docteur Boni Yayi, par Monsieur Latifou Daboutou, largement publiée dans la presse quotidienne béninoise le 27 août 2014 et notamment dans le numéro 4419 du quotidien « Le Matinal » et dans le numéro 2203 du quotidien « La Presse du Jour ». Dans cette lettre, Latifou Daboutou invite le chef de l’Etat béninois au vu de son « bilan inégalé depuis les indépendances, à ne pas vous laisser intimider et renoncer à l’appel du peuple béninois qui souhaite vous voir terminer l’œuvre que vous avez entreprise… ». Selon la décision de la Cour M. Daboutou a violé la constitution. Lire l’intégralité de la décision.

Décision Dcc 14-199 du 20 novembre 2014

La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête du 28 août 2014 enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 1901/116/ Rec, par laquelle Monsieur Emmanuel Houénou forme un recours en inconstitutionnalité de la lettre ouverte de Monsieur Latifou Daboutou au président de la République, parue dans les organes de presse « Le Matinal» et «La Presse du Jour» du mercredi 27 août 2014 ;
Saisie d’une autre requête du 27 août 2014 enregistrée à son secrétariat le 29 août 2014 sous le numéro 1914/ 119/Rec, par laquelle Monsieur Paulin H. Ahouandogbo forme également un recours en inconstitutionnalité de la même lettre;
Vu la Constitution du 11 décembre 1990 ;
Vu la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
Vu le Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle;
Ensemble les pièces du dossier;
Ouï Monsieur Bernard D. Dègboé en son rapport;
Après en avoir délibéré,

Contenu des recours
Considérant que Monsieur Emmanuel Houénou expose: «…Je voudrais… déférer devant la haute juridiction, pour contrôle de constitutionnalité, la lettre ouverte adressée au président de la République, le Docteur Boni Yayi, par Monsieur Latifou Daboutou, largement publiée dans la presse quotidienne béninoise le 27 août 2014 et notamment dans le numéro 4419 du quotidien « Le Matinal » et dans le numéro 2203 du quotidien « La Presse du Jour ». En effet, de nombreux propos de ladite lettre semblent à l’évidence contraire à la Constitution de la République du Bénin du 11 décembre 1990. Après l’exposé du contenu de la lettre de Monsieur Latifou Daboutou…, je discuterai de l’inconstitutionnalité de ses propos … qu’il développe:

(… Exposé du contenu de la lettre de Monsieur Latifou Daboutou …

« Lettre ouverte au Docteur Boni Yayi, président de la République du Bénin, chef de l’Etat, chef du Gouvernement
Monsieur,
Moi, Latifou Daboutou (patriote, béninois convaincu, nagot comme vous, originaire de Pira, commune de Bantè), vous invite au vu de votre bilan inégalé depuis les indépendances, à ne pas vous laisser intimider et renoncer à l’appel du peuple béninois qui souhaite vous voir terminer l’œuvre que vous avez entreprise.
En effet, Monsieur le Président, sachez qu’en cas de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 et même si l’article 42 restait inchangé, le Bénin sera doté d’une nouvelle constitution par le fait même de la modification constitutionnelle. Pour cela, faites tout possible qu’on y introduise la Cour des comptes et l’imprescriptibilité des crimes économiques … etc.
Dans ces conditions, (après l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution modifiée), votre candidature à l’élection présidentielle de 2016 serait conforme à la nouvelle constitution et donc recevable.
Monsieur le Président de la République du Bénin, chef de l’Etat, chef du Gouvernement, vous pourrez donc déposer votre candidature pour l’élection présidentielle de mars 2016 et postuler en toute légitimité et légalité pour un nouveau premier mandat dans le cadre de la nouvelle constitution dont le Bénin se sera doté, car nous serons là dans le cadre d’une nouvelle république.
Je vous invite donc, respectueusement, Monsieur le Président de la République, à tout mettre en œuvre pour obtenir la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 avant la fin de votre deuxième mandat en cours, afin d’instituer une nouvelle république pouvant permettre de vous donner un nouveau mandat … » ;

Considérant qu’il poursuit: « Sur l’inconstitutionnalité des dires de Monsieur Latifou Daboutou
Les propos de Monsieur Latifou Daboutou sont non seulement contraires au préambule de la Constitution … mais également aux articles 34 et 42 de ladite Constitution.

… Sur la violation du préambule de la Constitution …
Affirmant son adhésion à un régime démocratique, le peuple béninois a, dès le préambule de la Constitution adoptée par référendum le 2 décembre 1990, approuvé les options fondamentales prises lors de la Conférence des forces vives de la nation du 19 au 28 février 1990.
En effet, le peuple béninois y affirme son « opposition fondamentale à tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le régionalisme, le népotisme, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel ».
De plus, il ajoute son attachement « aux principes de la démocratie » et à la création d »‘un Etat de droit et de démocratie pluraliste ».
En l’espèce, s’adressant au chef de l’Etat dans les termes suivants: « Moi, Latifou Daboutou, ( … ), vous invite au vu de votre bilan inégalé depuis les indépendances à ne pas vous laisser intimider et renoncer à l’appel du peuple béninois qui souhaite vous voir terminer l’œuvre que vous avez entreprise », Monsieur Latifou Daboutou invite Monsieur Boni Yayi à remettre en cause le principe fondamental de l’alternance démocratique gage d’un Etat de droit en l’incitant à réviser la Constitution afin de pouvoir se représenter pour un troisième mandat à l’élection présidentielle de 2016.
En conseillant ainsi à Monsieur Boni Yayi un moyen détourné de légitimer son maintien au pouvoir pour un troisième mandat, Monsieur Latifou Daboutou viole le préambule de la Constitution qui ouvrirait la voie à un régime politique fondé sur l’arbitraire, sur le pouvoir personnel et sur la confiscation du pouvoir auquel ledit préambule s’oppose.
Monsieur Latifou Daboutou tient également un discours empreint de régionalisme en affirmant son origine Nagot et sa provenance du même village que Monsieur Boni Yayi. En effet, il affirme: « (patriote, béninois convaincu, nagot comme vous, originaire de Pira, commune de Bantè) »‘. Dans ces conditions, son invitation à un nouveau mandat à Monsieur Boni Yayi appelle à un régime politique fondé sur le régionalisme violant ainsi un autre principe fondamental reconnu dans le préambule de la Constitution.
De plus, l’invitation à réviser la Constitution s’oppose à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qui a marqué à plusieurs reprises son désaccord avec toute idée de révision de la Constitution relativement au nombre de mandats pouvant être exercé par le chef de l’Etat. Tout d’abord, dans la décision Dcc 11-067 du 20 octobre 2011, la Cour constitutionnelle a dit et jugé que « l’article 6 (de la loi organique portant conditions de recours au référendum) doit être formulé comme suit: Ne peuvent faire l’objet de question à soumettre au référendum les options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990, à savoir :
– la forme républicaine et la laïcité de l’Etat;
– l’atteinte à l’intégrité du territoire national;
– le mandat présidentiel de 5 ans renouvelable une seule fois;
– la limitation d’âge de 40 ans au moins et de 70 ans au plus (…) ».
Il découle de cette décision que la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels étant une option fondamentale prise lors de la Conférence nationale de février 1990, celle-ci ne saurait faire l’objet d’aucune révision.
Par la suite, l’impossibilité de modifier le nombre de mandat autorisé au président de la République a été confirmée par la Cour constitutionnelle dans la décision Dcc 14-156 du 19 août 2014 qui déclare contraires à la Constitution les propos de Madame Fatouma Amadou Djibril tendant à l’éventualité d’un troisième mandat de Monsieur Boni Yayi. En l’occurrence, la Cour a rappelé l’exclusion « de toute révision de la Constitution, les options fondamentales de la Conférence des forces vives dont, entre autres, la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels ».
Au vu de ce qui précède, il est indéniable que les propos de Monsieur Latifou Daboutou exprimés dans sa lettre ouverte au Président Boni Yayi violent le préambule de la Constitution … » ;

Considérant qu’il ajoute : « Par ailleurs, ses propos violent également les articles 34 et 42 de la Constitution …

.. . Sur la violation des articles 34 et 42 de la Constitution …

… L’article 34 de la Constitution dispose que « Tout citoyen béninois, civil ou militaire a le devoir sacré de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République » et .. .l’article 42 … : « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ».
Après avoir conseillé au président de la République de modifier la Constitution, instituant de ce fait une nouvelle république au Bénin, Monsieur Latifou Daboutou lui indique expressément: « vous pourrez donc déposer votre candidature pour l’élection présidentielle de mars 2016 et postuler en toute légitimité et légalité, pour un nouveau premier mandat dans le cadre de la nouvelle constitution dont le Bénin se sera doté ». Il continue: « Je vous invite donc, respectueusement, Monsieur le Président de la République, à tout mettre en œuvre pour obtenir la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 avant la fin de votre deuxième mandat en cours, afin d’instituer une nouvelle république pouvant permettre de vous donner un nouveau mandat ».
Si toutefois, l’article 42 de la Constitution précise qu’ « en aucun cas » il ne sera possible pour un même individu d’exercer plus de deux mandats présidentiels, Monsieur Latifou Daboutou soutient formellement que l’avènement d’une nouvelle constitution ferait entrer le Bénin dans une nouvelle république. Plus précisément encore, il soutient qu’avec l’avènement d’une nouvelle constitution, il serait possible de faire table rase du passé et de permettre à un même individu de se représenter à la fonction suprême plus de deux fois.
Pour ma part, je considère que l’utilisation du terme « en aucun cas » au deuxième alinéa de l’article 42 de la Constitution interdit formellement, et cela quelles que soient les circonstances, à un même individu de prétendre pouvoir effectuer plus de deux mandats en tant que chef de l’Etat.
En invitant le chef de l’Etat à modifier la Constitution afin de pouvoir effectuer un nouveau mandat, Monsieur Latifou Daboutou l’incite ainsi à violer l’article 42 ensemble avec le préambule de la Constitution et de ce fait viole lui-même l’article 34 de la Constitution qui impose à tout citoyen de respecter en toutes circonstances la Constitution et l’ordre constitutionnel établi.
A fortiori, la volonté de terminer « l’œuvre que vous (le Président Boni Yayi) avez entreprise » ne saurait justifier la possibilité d’un troisième mandat.
Sans vouloir dénier à Monsieur Latifou Daboutou la liberté d’opinion et d’expression dont il jouit, il résulte de la décision Dcc 13-071 du 11 juillet 2013 que celles-ci sont encadrées et que, même si « l’usage de la liberté d’expression ne saurait constituer en lui-même une violation de la loi (…) le contenu de la parole peut être de nature; à enfreindre la loi, y compris la loi constitutionnelle » » ;

Considérant qu’il affirme: « En usant ainsi de sa liberté d’expression publiant sa lettre ouverte à un large auditoire Monsieur Latifou Daboutou a enfreint l’article 34 de la Constitution du 11 décembre 1990 en ce qu’il propose des idées qui visent à contourner la lettre et l’esprit de ladite Constitution. En effet, ces propos largement diffusés dans la presse qui ont pu semer le doute dans l’esprit de chacun sont de nature à mettre en péril la cohésion nationale» ; qu’il conclut: « Au regard de tout ce qui précède, je voudrais requérir de la haute juridiction de déclarer contraires à la Constitution les propos de Monsieur Latifou Daboutou rapportés dans sa lettre ouverte au chef de l’Etat, Docteur Boni Yayi, largement publiée dans la presse quotidienne béninoise le 27 août 2014, notamment dans le numéro 4419 du quotidien « Le Matinal » et dans le numéro 2203 du quotidien « la Presse du Jour » » ;

Considérant qu’il a joint à sa requête, des extraits des journaux « Le Matinal » et « la Presse du Jour » du 24 août 2014 où a été publiée la lettre ouverte;

Considérant que Monsieur Paulin H. Ahouandogbo de son côté articule les mêmes griefs à l’encontre de la même lettre en précisant : « …Il résulte de la substance de cette lettre que Monsieur Latifou Daboutou invite urbi et orbi l’actuel président de la République à réviser la Constitution du Bénin en vue de se maintenir au pouvoir au-delà même de la fin de son dernier mandat constitutionnel. C’est ainsi qu’au début de sa lettre ouverte à Monsieur Boni Yayi, l’auteur affirme:  » … moi, Latifou Daboutou (patriote béninois convaincu, Nagot comme vous, originaire de Pira, commune de Bantè), vous invite au vu de votre bilan inégalé depuis les indépendances, à ne pas vous laisser intimider et renoncer à l’appel du peuple béninois qui souhaite vous voir terminer l’œuvre que vous avez entreprise ».
Ce passage est la parfaite illustration d’un appel lancé par un
citoyen béninois à l’endroit de l’actuel président de la République l’invitant à se maintenir indéfiniment au pouvoir, parce qu’il a, dit-¬il, atteint un bilan inégalé depuis les indépendances, et parce que le peuple béninois le souhaite. Or, la haute juridiction a récemment décidé, dans une espèce similaire, par décision Dcc 14-156 du 19 août 2014, que les propos tenus par Madame le ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la Pêche violent la Constitution.

Aussi, Monsieur Latifou Daboutou poursuit-il son appel à l’endroit de Monsieur Boni Yayi en ces termes: « En effet, Monsieur le Président, sachez qu’en cas de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 et même si l’article 42 restait inchangé, le Bénin sera doté d’une nouvelle constitution par le fait même de la modification constitutionnelle (…). Dans ces conditions, (après l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution), votre candidature à l’élection présidentielle de 2016 serait conforme à la nouvelle constitution et donc recevable »,
Cette déclaration procède d’une interprétation à la fois tendancieuse et dangereuse de la loi fondamentale en ce sens même que son auteur, Monsieur Latifou Daboutou, veut voir l’actuel président de la République exercer un troisième mandat présidentiel; ce qui est d’ailleurs constitutionnellement impossible.
Mieux, cette affirmation est implicitement destinée à créer une confusion grave relativement à l’épineuse question du départ ou non de l’actuel président de la République au lendemain de la fin de son dernier mandat constitutionnel. Il y a donc lieu que la haute juridiction censure cette déclaration…, parce que, celle-ci étant anticonstitutionnelle, n’est pas de nature a garantir l’alternance au sommet de l’Etat.
Le caractère anticonstitutionnel des écrits de Monsieur Latifou Daboutou résulte également des affirmations suivantes contenues dans sa lettre ouverte à Monsieur Boni Yayi :  » … vous pouvez donc déposer votre candidature pour l’élection présidentielle de mars 2016 et postuler en toute légitimité et légalité, pour un nouveau premier mandat dans le cadre de la nouvelle constitution dont le Bénin sera doté, car nous serons là dans le cadre d’une nouvelle république ».
Et comme si cela ne suffisait pas, Monsieur Latifou Daboutou achève sa lettre ouverte par cette déclaration: « Je vous invite donc, respectueusement, Monsieur le Président de la République, à tout mettre en œuvre pour obtenir la révision de la Constitution Du 11 décembre 1990 avant la fin de votre deuxième mandat en cours, afin d’instituer une nouvelle république pouvant permettre de vous donner un nouveau mandat ».
A l’analyse, il ne fait l’ombre d’aucun doute que Monsieur Latifou Daboutou, par cette lettre ouverte, incite l’actuel président de la République du Bénin à violer la Constitution du Bénin; ce faisant, Monsieur Latifou Daboutou a personnellement violé ladite Constitution. D’abord, l’incitation à la violation de la Constitution trouve son fondement dans les dispositions de l’article 42 de la Constitution aux termes duquel: « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ».
Il s’infère de ces dispositions que le mandat du président de la République étant un mandat constitutionnel de cinq ans renouvelable une seule fois, aucun motif ne saurait justifier le maintien au pouvoir de celui-ci après qu’il ait épuisé ses deux mandats à la tête de l’Etat.
Dès lors, toute invitation à la violation de cette disposition constitutionnelle, par qui que ce soit et pour quelque raison que ce soit, doit s’analyser en un acte anticonstitutionnel fort répréhensible. C’est ainsi que la haute juridiction, dans une espèce similaire sus évoquée, a récemment, par la décision Dcc 14-156 du 19 août 2014, décidé que les propos tenus par Madame le ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche violent la Constitution.
Ensuite, la violation de la Constitution par Monsieur Latifou Daboutou résulte de la méconnaissance par ce dernier de la loi fondamentale à laquelle le peuple béninois a pourtant juré loyalisme, fidélité et respect, tel qu’il découle du préambule de ladite Constitution, lequel d’ailleurs fait partie du bloc de constitutionnalité.
En invitant l’actuel président de la République à réviser la Constitution du Bénin pour se présenter à l’élection présidentielle de mars 2016, Monsieur Latifou Daboutou a manqué à ses devoirs républicains de loyauté, de fidélité et de respect dus à la loi fondamentale du Bénin.
Ces affirmations de Monsieur Latifou Daboutou compromettent sérieusement les principes démocratiques fondamentaux auxquels le Bénin a chèrement souscrit à travers la Constitution … qui, en son article 34, énonce que « Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi, ainsi que les lois et règlements de la République ».
Au demeurant, s’il est vrai que la Constitution du Bénin consacre la liberté d’expression et d’opinion à chaque citoyen, il n’en demeure pas moins que l’incitation à la violation de celle-ci constitue un abus de droit pouvant être censuré par la haute juridiction» ; qu’il demande à la Cour de « … déclarer contraires à la Constitution les affirmations contenues dans la lettre ouverte à Monsieur Boni Yayi, Président de la République du Bénin, par Monsieur Latifou Daboutou … » ;

Considérant qu’il a également joint à sa requête l’extrait du quotidien « Le Matinal » du 27 août 2014 où a été publiée la lettre incriminée ;

Analyse des Recours
Considérant que les deux requêtes portent sur le même objet et tendent aux mêmes fins ; qu’il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision;
Considérant qu’aux termes des dispositions des articles 23, 34 et 42 de la Constitution: « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression, dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements » ;
« Tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République »; Il Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.
En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la liberté d’opinion dont jouit chaque citoyen ne saurait constituer une porte ouverte à des propos ou à des écrits de nature à inciter à enfreindre les dispositions constitutionnelles que les citoyens ont le devoir sacré de respecter en toutes circonstances;
Considérant par ailleurs que le titre XI de la Constitution organise et encadre la révision de la Constitution du 11 décembre 1990; qu’une jurisprudence constante de la Cour précise les limites et modalités de cette révision, qu’elle soit opérée par voie parlementaire ou par référendum; que la révision opérée dans les formes prescrites, à l’exception des clauses expressément exclues de toute révision et qualifiées ». de- clauses intangibles, garantit la stabilité de la Constitution en l’adaptant aux nouvelles aspirations légitimes du peuple souverain; que la révision de la Constitution résultant de la mise en œuvre du pouvoir constituant dérivé ne peut détruire l’ordre constitutionnel existant et lui substituer un nouvel ordre constitutionnel; qu’elle n’a donc pas vocation à créer une nouvelle république comme le prétend Monsieur Latifou Daboutou; que l’avènement d’une nouvelle république ne peut procéder que du pouvoir constituant originaire distinct du pouvoir constituant dérivé prévu et organisé directement par la Constitution elle-même; que, dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger qu’en invitant par une lettre ouverte largement diffusée le président de la République, au terme de son deuxième et dernier mandat, à réviser la Constitution pour prétendre à un nouveau mandat, Monsieur Latifou Daboutou a violé la Constitution ;