Sommet des Brics : «Il faut regarder l’Inde comme la puissance montante»

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À Johannesburg, l’un des enjeux du 15e sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), c’est la possible expansion du bloc, qui veut étendre son influence dans le monde. Plusieurs pays africains ont déjà candidaté pour rejoindre les Brics, c’est le cas de l’Égypte et de l’Algérie. L’Afrique du Sud est membre depuis 2010. Quels sont les enjeux d’une éventuelle adhésion pour ces pays ? Qu’est-ce que les Brics attendent de ces nouveaux partenariats ? Entretien avec Carlos Lopes, professeur émérite à la Nelson Mandela School of Public Governance, ancien secrétaire général adjoint des Nations unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique de 2012 à 2016.

RFI : La question de l’élargissement des Brics est centrale lors de cette réunion de Johannesburg. Pour les pays candidats, y a t-il des attentes spécifiques vis-à-vis de Pékin en termes de financements ou d’ouverture de marchés ?

Carlos Lopes : Il est clair que pour l’ensemble des Brics, la Chine est le pays le plus important. Mais la Chine est en train de traverser une grande crise du point de vue de son modèle économique qui n’est plus centré sur les exportations mais sur la consommation des ménages. Or, il y a beaucoup de difficultés parce que l’épargne nationale est affectée par la crise démographique, et pendant le Covid, il y a eu une décroissance qui a exposé les faiblesses d’un certain nombre d’acteurs économiques. La Chine n’est plus ce qu’elle était et son désir de pouvoir vraiment occuper l’espace d’un point de vue économique est beaucoup plus précautionneux qu’avant. Les Africains ont détecté ces changements et cela les préoccupe, car les conditions des prêts qu’ils obtenaient auprès de la Chine avec beaucoup de facilité vont changer dans l’avenir.

Est-ce que les attentes des pays africains candidats au Brics sont différentes vis-à-vis de l’Inde par exemple, ou encore de la Russie ?

La Russie n’a pas vraiment les moyens de sa politique et elle fait beaucoup de déclarations, mais elle, elle est restreinte par des difficultés encore plus considérables que celles de la Chine. En revanche, le pays qui est en ascension du point de vue de son modèle industriel et qui est vraiment très intéressé notamment par l’expansion en Afrique, c’est l’Inde qui représente déjà une partie importante des échanges avec le continent africain. Donc, je pense qu’il faut regarder l’Inde comme la puissance montante. Et le Brésil, bien sûr, sous Lula, va vouloir rattraper un peu son retard, mais son retard est considérable. Pendant presque quinze ans, il n’y a pas eu vraiment d’évolution dans les relations entre le Brésil et l’Afrique. Au contraire même, il y a eu beaucoup de désinvestissements. Et puis, il y a bien sûr le pays hôte : l’Afrique du Sud qui veut servir en quelque sorte d’intermédiaire entre ces quatre géants et l’Afrique.

Quelle est selon vous la principale motivation de ces pays africains qui veulent intégrer le groupe des Brics ?

Il y a un contexte géopolitique qui est très marqué par la polarisation et les pays africains en général veulent se démarquer de ce qui a été, dans le passé, l’expérience d’une guerre froide entre les différentes parties du monde, car ils en ont beaucoup souffert. Il y a aussi la question des différents agissements des pays influents, y compris dans le Sud, qui sont vraiment de nature à créer des problèmes internes ou régionaux en Afrique. Les pays africains ont donc le désir de montrer une certaine indépendance et c’est ce qui les motive pour faire partie des Brics comme ils font partie d’un certain nombre d’institutions et de configurations internationales qui sont plutôt pro-occidentales. Donc c’est plutôt un désir de démarcation et d’indépendance pour ces pays africains.

Et du côté des Brics ?

Tout le monde se rend compte que dans la transition énergétique en particulier, l’Afrique va jouer un rôle très important, non seulement parce que le continent abrite des minerais stratégiques, mais aussi parce que sa croissance démographique le dote d’une population très jeune. Et nous savons qu’il y a une corrélation directe entre créativité et jeunesse. Ce n’est pas un hasard si, par exemple, le pays qui avait l’un des palmarès les plus importants en termes d’enregistrement de propriété intellectuelle est en train de perdre cette course aux brevets, je parle là du Japon qui a un problème de vieillissement. Donc nous savons que l’âge pénalise énormément la créativité et donc tout le monde se tourne vers l’Afrique pour ces raisons d’avenir, y compris les Brics. Il y a aussi un grand intérêt pour l’Afrique pour des raisons géopolitiques. Les Brics veulent créer une coopération beaucoup plus intense avec le continent, puisque l’on est dans une ère où tout le monde a besoin d’augmenter sa sphère d’influence et l’Afrique est vue comme un terrain facile d’appropriation, même si cela peut être parfois condamnable.

Les Brics souhaitent-ils toujours devenir un contrepoids face à l’hégémonie de l’Occident ?

Oui, mais je ne pense pas que les pays africains soient intéressés par cela. Ils ne veulent pas se situer dans un alignement avec quiconque, y compris les Brics. Et je pense que cet aspect peut créer des tensions internes au sein des Brics dans les discussions sur l’élargissement. Car les pays originaux des Brics n’ont pas exactement la même politique extérieure, ils ont même parfois des tensions entre eux, comme c’est le cas pour la Chine et de l’Inde.

On parle aussi beaucoup de la dédollarisation de l’économie, et de l’hégémonie du billet vert qui est remis en cause par les Brics, est-ce envisageable dans le contexte actuel ?

C’est une bonne intention pour la stabilité de l’économie mondiale. On a vu que les différents programmes de relance faits par des pays qui ont des monnaies fortes et qui ont des niveaux de transactions beaucoup plus importants que la taille de leur économie, leur facilite la vie, mais cela complique celle des autres, parce que l’épargne a tendance vraiment à se réfugier dans des lieux sûrs quand il y a des crises. Donc pour la macro-économie mondiale, ce n’est pas une mauvaise chose de dédollariser au maximum les transactions de toutes sortes. Mais cela dit, les Brics font beaucoup de déclarations dans ce sens, et agissent très peu. Les Africains sont, je pense, plus avancés que les Brics parce que l’Afreximbank a mis en place un système de paiement panafricain qui permet de payer avec des monnaies locales pour augmenter la zone de libre échange africaine et c’est un projet qui est beaucoup plus étoffé, beaucoup plus sophistiqué que celui dont parlent les Brics.

Cette dédollarisation pourrait-elle aussi permettre de s’affranchir de certaines sanctions internationales comme celles imposées à la Russie après l’invasion de l’Ukraine ?

Tout à fait. Il y a cette préoccupation. La régulation internationale est très biaisée et permet à ceux qui possèdent des monnaies fortes ou bien possèdent un certain nombre d’instruments dans la gouvernance économique mondiale d’imposer leurs règles. C’est une espèce de bataille des juridictions, et les pays africains sont vulnérables. Il y a sept pays africains sous sanctions en ce moment, donc cette préoccupation existe et ce qui se passe en Russie sert un peu comme un exemple de ce que peut provoquer le système financier actuel, et c’est l’une des raisons pour laquelle certains pays africains veulent acquérir plus d’indépendance avec les Brics.