Présidentielle en Côte d’Ivoire  : Quel bilan politique pour Alassane Ouattara?

Afrique

Le 25 octobre prochain, Alassane Ouattara se présente pour la quatrième fois consécutive à une élection présidentielle en Côte d’Ivoire. À son arrivée au pouvoir, en avril 2011, le chef de l’État ivoirien a hérité d’un pays ruiné et divisé, après une grave crise qui a fait près de 3 000 morts. L’enjeu était, outre la relance de l’économie, de renforcer les institutions et réconcilier les Ivoiriens.

En parallèle à la relance de l’économie, Alassane Ouattara affiche, depuis son accession à la magistrature suprême, sa volonté de renforcer l’État de droit. Plusieurs institutions ont ainsi été créées. C’est le cas du Conseil d’État, de la Cour des comptes, du Sénat, ou encore de la Haute autorité pour la bonne gouvernance. À cela s’ajoutent plusieurs juridictions, telles que l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels (Agrac), visant à instaurer un système de reddition des comptes.

« Cela montre la volonté d’améliorer la gouvernance politique », estime le juriste Geoffroy-Julien Kouao. « Avant, la criminalité à col blanc était punie, mais les avoirs leur étaient restitués à leur sortie de prison », explique Christophe Kouamé, le président de l’ONG Civis Côte d’Ivoire. « Aujourd’hui, grâce aux lois sur le blanchiment et sur la corruption, les avoirs sont récupérés par l’État », ajoute cette source. Seulement, cet expert de la gouvernance pointe un manque d’information vis-à-vis du public : « Le rapport de l’agent judiciaire de l’État sur les poursuites et sur l’argent qui a été récupéré n’est pas disponible : cela a créé une certaine opacité », conclut Christophe Kouamé.

Quant au Sénat, il suscite également des avis partagés. « Le problème de toutes ces institutions, c’est qu’elles ne jouent pas réellement le rôle de contrepoids. La société civile reste faible », constate un diplomate en poste à Abidjan. « Une institution est forte uniquement s’il y a une auto-critique au niveau de l’Assemblée nationale »poursuit cette source.

 

Une réconciliation nationale incomplète ? 

Pour panser les plaies, au lendemain de la crise post-électorale de 2010-2011, une commission Dialogue, Vérité, Réconciliation est mise sur pied. Dirigée par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, elle se traduit par une consultation de près de 60 000 Ivoiriens. Aujourd’hui, et bien que des gestes mémoriels, tels que la restitution des corps des victimes dans l’ouest, aient été posés, certaines voix de l’opposition expriment leur insatisfaction.

À l’image de l’ancienne première dame, Simone Ehivet : « Depuis 2011, le pouvoir a eu tout le temps de faire cette réconciliation et de procéder aux réparations. Mais les travaux du Premier ministre Charles Konan Banny sont restés dans les tiroirs et rien n’a été fait », affirme cette femme politique, qui bénéficie néanmoins, depuis 2018, d’une loi d’amnistie de la part du président ivoirien. « Il y a eu plusieurs dialogues politiques où on a initié un rassemblement, souligne Kobénan Kouassi Adjoumani, le porte-parole du RHDP. Mais, un pays qui s’organise ne peut pas s’éterniser dans des arrangements. La réconciliation est derrière nous, ajoute ce responsable, le président a fait des efforts pour mettre tout le monde ensemble ».  

 

Parti hégémonique

Les élections sont organisées de manière régulière. Elles témoignent d’une assise grandissante du RHDP : aux élections législatives de 2021, le parti au pouvoir rafle 168 sièges sur 255 à l’Assemblée nationale. L’opposition se contente de 87 sièges dans l’hémicycle. Aux élections locales de septembre 2023, le RHDP remporte 26 régions sur 31 et 125 communes sur 201.

Pour y parvenir, Alassane Ouattara multiplie les alliances afin d’élargir les bases de son parti dans plusieurs régions du pays. « Il est capable d’accorder son pardon à des personnalités qui se sont vivement opposées à lui », reconnait un proche collaborateur. En témoigne, par exemple, le ralliement de l’Union démocratique pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), d’Albert Toikeusse Mabri, en septembre 2022. Ancien ministre des Affaires étrangères, il avait un temps tourné le dos au RHDP, ralliant la cause du Conseil national de transition, porté par une opposition hostile à une candidature pour un troisième mandat d’Alassane Ouattara en octobre 2020.

Son retour au parti présidentiel permet notamment d’obtenir le soutien d’électeurs dans l’ouest du pays. Aujourd’hui, le RHDP part en campagne avec une certaine assurance selon ses membres : « Partout, c’est l’effervescence, assure Kobénan Kouassi Adjoumani, le porte-parole du RHDP. Nous avons un bilan à défendre, nous mobilisons tout le monde pour gagner avec un plébiscite national », affirme le directeur national de campagne adjoint chargé du district du Zanzan.

 

Méfiance politique

Mais la question du manque de confiance de la classe politique dans le système électoral est chronique. À chaque scrutin, l’opposition remet en question la neutralité de la Commission électorale indépendante (CEI) et les conditions des élections. « Le découpage administratif est fait pour que toutes les sensibilités ne soient pas représentées à l’Assemblée nationale », peste le président du Front populaire ivoirien, Pascal Affi N’Guessan. Pour l’ancien Premier ministre, « Tous les problèmes qui bloquent la normalisation électorale n’ont pas été réglés. Il y a une volonté d’instaurer un autoritarisme politique sans tenir compte de la volonté du peuple », ajoute cet opposant, dont la candidature a été rejetée par le Conseil constitutionnel, le 8 septembre dernier.

Dans cette logique, plusieurs partis d’opposition réclament un nouveau dialogue politique. Cette étape est close avec la cinquième phase du dialogue en mars 2022, rétorque l’ancien Premier ministre, Patrick Achi : « Un accord a été signé par toutes les parties en présence, pour admettre que les questions en suspens ont été vidées. Et que, s’il devait y avoir d’autres points ici et là, le pays étant revenu au calme et les institutions fonctionnant normalement, ces petits sujets pourraient être traités par les institutions », affirme ce responsable*.  

« Ce n’est pas un manque de confiance, mais plutôt de la mauvaise foi », constate de son côté, Kobénan Kouassi Adjoumani, le porte-parole du RHDP. « Le processus n’a pas changé : la CEI a organisé des élections locales auxquelles tous les partis ont participé, d’où vient-il donc aujourd’hui, ce manque de confiance ? », s’interroge ce responsable du RHDP. « L’opposition a tort : on ne peut pas une année se plaindre et ensuite aller aux élections législatives », abonde une autre personnalité politique.

« Sur le plan démocratique, il n’y a pas d’État de droit », estime un cadre du parti de Laurent Gbagbo, dont le dossier a également été rejeté par le Conseil constitutionnel pour ce scrutin. « L’opposition est empêchée de s’exprimer, poursuit cette source. Aujourd’hui, il y a des prisonniers politiques, le gouvernement se cache derrière des institutions judiciaires pour museler son opposition. La justice est instrumentalisée », déplore la même source.

Au parti au pouvoir, on rejette d’un revers de la main ces accusations. Le principe de séparation des pouvoirs est respecté, souligne Amadou Coulibaly, le ministre porte-parole du gouvernement. Interpellés sur les récentes interpellations de cadres de l’opposition, ce responsable rappelle qu’il s’agit avant tout « de justiciables face à la justice, et non de politiques ». « Ce n’est pas parce que vous êtes opposant que vous avez le droit d’enfreindre la loi », indique Amadou Coulibaly.

« Il y a lieu de sortir de la méfiance politique », constate le politologue Ousmane Zina. « Il y a eu beaucoup de crise de confiance : faut-il s’attendre à la fin d’une génération politique en 2030 ? », s’interroge-t-il.