Des robotaxis circulent sans conducteur dans plusieurs villes chinoises et américaines. Les géants de la tech investissent des milliards dans cette promesse de mobilité urbaine transformée. Mais rentabilité, sécurité et réglementation freinent encore le déploiement, notamment en Europe.
La semaine dernière, Tesla a communiqué sur la mise en circulation à Austin, au Texas, d’une dizaine de véhicules autonomes. Présentée comme une première étape du déploiement de son service de robotaxis, l’expérience était circonscrite à une zone géographique restreinte et à une poignée d’influenceurs triés sur le volet. Et si le siège conducteur était bien vide, un superviseur était présent côté passager pour vérifier que tout se passe bien. Pas tout à fait donc le Cybercab présenté il y a quelques mois, sans volant et ni pédales.
Deux jours après leur lancement, la National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA), l’agence fédérale chargée de la sécurité routière, annonçait l’ouverture d’une « enquête après des incidents potentiellement liés à des défaillances en matière de sécurité ». En cause, des incidents diffusés sur les réseaux sociaux où l’on pouvait voir des robotaxis Tesla freiner brusquement ou dépasser les limitations de vitesse.
Si la démonstration de l’entreprise d’Elon Musk s’est avérée moyennement concluante, les véhicules autonomes, surveillés par un centre à distance, commencent à être une réalité. « C’est le début », estime l’ingénieur Hervé de Tréglodé, qui a mené une mission pour France Stratégie qui a fait l’objet d’un rapport publié en juillet 2024. Beaucoup d’essais et d’expérimentations ont lieu, mais dans plusieurs villes des États-Unis, on peut déjà commander un robotaxi. Associé avec le service de transport Uber, Waymo dispose d’une flotte à Los Angeles, San Francisco, Phoenix, mais aussi Austin et depuis peu Atlanta. Aujourd’hui, l’entreprise, propriété d’Alphabet, revendique 250 000 trajets payants par semaine et 1 500 véhicules. Et indique sur son blog son déploiement futur à Miami et Washington.
La Chine et les États-Unis très en avance
En Chine, sept villes, parmi lesquelles Pékin, Shanghai, Wuhan ou encore Shenzhen, offrent d’ores et déjà des services de voitures autonomes payants et sans opérateur à bord. Et des essais ont lieu dans au moins le double. Aux manettes, des entreprises comme Pony.ia, WeRide et surtout Baidu Apollo [le Google chinois] qui a beaucoup investi à Wuhan, ville pionnière du déploiement à grande échelle des robotaxis où elle dispose d’une flotte de plus de 400 voitures, objectif 1 000 d’ici la fin 2025. Des tests ont été lancés à Dubaï, Abu Dhabi et Hong Kong.
« La Chine et les États-Unis sont très en avance dans le développement technologique et commercial des véhicules de niveau 4 d’autonomie (c’est-à-dire sans conducteur ni agent de sécurité à bord), indique Hervé de Tréglodé. Depuis une dizaine d’années, plus d’une centaine de milliards d’euros ont dû être dépensés pour le développement dans l’autonomie de conduite, principalement en Chine et aux États-Unis. Cela demande des investissements énormes : il faut beaucoup d’essais, d’ingénieurs et d’informaticiens. » Un développement qui concerne majoritairement les robotaxis, même si émergent aussi les navettes et camions autonomes ou encore les droïdes de livraison (petits robots de livraison).
La rentabilité reste un objectif difficile à atteindre. Si la chinoise Baidu Apollo espère pour la première fois parvenir à l’équilibre financier cette année, le leader du marché Waymo n’est toujours pas rentable, malgré ses réussites. À San Francisco, où son service commercial n’a été lancé qu’en 2023 et ouvert au public il y a un an, sa voiture autonome fait partie du paysage. Début 2025, elle a atteint 27% de parts de marché, d’après YipitData, dépassant Lyft, le numéro deux de la réservation de voiture avec chauffeur aux États-Unis.
« Ceux qui investissent massivement espèrent une disruption : ils misent sur le fait que le coût d’un service de transport avec un robotaxi va être cinq ou six fois inférieur à un taxi classique, et que donc beaucoup de gens vont abandonner leur voiture tellement ce sera peu cher. Ils pensent que cela va changer fondamentalement le transport. » Les coûts de production de voiture autonome baissent d’année en année. On parle désormais de 30 000 (le prix de la Cybercab de Tesla) à 35 000 euros par véhicule. L’économie substantielle concerne aussi le chauffeur, qui représente environ la moitié du coût dans un taxi. Même si les voitures autonomes auront toujours un centre de surveillance à distance, le nombre d’opérateurs par voiture est aussi amené à baisser progressivement.
Les États-Unis regardent aussi du côté de Zoox et ses véhicules à la drôle d’allure, sans volant ni pédale, qui devrait bientôt arriver sur le marché. Si elle n’a pas encore lancé de service commercial, l’ex-start-up rachetée par Amazon a annoncé le 18 juin l’ouverture en Californie de sa toute première usine intégralement dédiée à la production en série de véhicules totalement autonomes, et réalise des tests dans certains quartiers de San Francisco et à Las Vegas. Pour l’heure, la société revendique la fabrication d’un véhicule autonome par jour. Objectif à termes : plus de 10 000 taxis autonomes par an. Pour cela, l’entreprise devra faire ses preuves niveau sécurité. Début mai, 270 taxis autonomes Zoox avaient été rappelés après une collision avec un véhicule particulier.
« Depuis six mois, grâce aux coopérations avec les étrangers, l’écosystème européen commence à bouger »
En Europe en revanche, prendre un robotaxi n’est pas encore une réalité. « [Le continent] est très en retard sur le plan technologique, confirme Hervé de Tréglondé. Il faut beaucoup d’argent et c’est plus difficile de trouver des fonds de capital-risque ici. D’autant qu’il n’y a pas des entreprises technologiques très riches, comme les GAFAM. Et puis, l’Europe est moins enthousiaste pour tout ce qui touche à la technologie que la Chine ou les États-Unis. » Les réglementations sont aussi plus sévères et les politiques actuelles réticentes à favoriser la voiture individuelle.
L’Union européenne a donc plutôt misé sur des projets de transports collectifs autonomes. C’est le cas de la France, comme en témoigne la feuille de route nationale de 2024, avec des projets pilotes souvent en lien avec les collectivités locales : navettes (EasyMile, Navya, Milla), bus ou services de mobilité partagée.
Il n’empêche, les robotaxis arrivent aussi en Europe. Les constructeurs chinois et européens lorgnent le Vieux Continent et le développement devrait surtout passer par des partenariats. « Depuis six mois, grâce aux coopérations avec les étrangers, l’écosystème européen commence à bouger », commente le spécialiste. Ainsi, Uber prévoit de proposer des taxis autonomes sur sa plateforme en Europe dès début 2026, sans que l’on sache quels pays seront concernés. L’entreprise américaine a annoncé un partenariat avec l’entreprise basée à Pékin Momenta, qui développe une technologie de conduite autonome. Un superviseur de sécurité sera toujours présent dans la voiture.
Quelques jours après cette annonce, le Wall Street Journal révélait que Baidu envisageait de tester ses robotaxis en Suisse. Et ce n’est pas le seul projet : le chinois Pony.ai collabore avec Uber et a obtenu l’autorisation pour des essais au Luxembourg. En France, Renault s’est associé à WeRide pour un projet de navettes automatisées, expérimenté à la gare de Valence (Drôme) pour desservir le parc d’activités. De quoi faire décoller le secteur, estime Hervé de Tréglondé.
Côté production européenne, l’Allemagne est l’un des pays européens les plus avancés en matière d’autonomie de niveau 4, avec des tests de robotaxis menés à Munich par Volkswagen, via sa filiale MOIA, qui a lancé l’ID. Buzz AD en partenariat avec Mobileye.
Et une petite entreprise croate, Rimac, connue pour ses supercars électriques, a annoncé il y a un an un service de taxis autonomes 100% européen baptisé Verne, avec des accords signés avec plusieurs villes européennes. Si la construction d’une usine de production à grande échelle est en cours en périphérie de Zagreb, comme indiqué dans un communiqué du 11 février 2025, le projet n’en est encore qu’au stade de prototypes et les experts restent sceptiques.
L’enjeu de la sécurité
La sécurité est un enjeu de développement. « Il est très important que les voitures autonomes soient très sûres parce que les gens sont beaucoup plus exigeants à l’égard d’un robotaxi que d’une voiture normale, explique Hervé de Tréglodé. On le voit, dès qu’il y a un incident à San Francisco, cela fait tout de suite les gros titres. » Selon une enquête de l’American Automobile Association en 2025, 61% des Américains disaient avoir peur de monter dans un véhicule autonome. Pourtant, dans les faits, les accidents restent rares. Peu d’études existent, mais Waymo a publié un récent rapport selon lequel leurs voitures permettent une réduction de 92% des accidents impliquant des piétons et de 96% des collisions causant des blessures aux intersections.
L’expert, qui a pu faire plusieurs trajets à bord de voitures autonomes en Chine, est confiant sur la question de l’acceptabilité : « Je n’ai jamais eu peur et quand on voit des vidéos de gens qui se filment dans des robotaxis, jamais ils n’ont peur. De fait, les exploitants de robotaxis offrent des voitures très confortables, la conduite est rassurante, le freinage très doux. » Lors de débats publics à San Francisco, le robotaxi était en tout cas plébiscité par les femmes qui se réjouissaient de pouvoir se déplacer la nuit, sans chauffeur humain, mais aussi par les personnes handicapées, pour leur moindre coût.
Alors peut-on imaginer voir un jour se développer des voitures sans conducteurs pour les particuliers ? Pour Hervé de Tréglondé, « ce n’est pas pour demain ». Même si la firme d’Elon Musk a déjà imaginé un modèle où les propriétaires de Tesla autonomes pourront gagner de l’argent en mettant leur voiture à disposition d’une flotte de robotaxi quand ils ne s’en servent pas. Un mélange, dit-elle, entre Uber et Airbnb.