Quatre-vingts ans après les faits, Biram Senghor veut savoir où son père a été enterré. Le 1ᵉʳ décembre 1944, l’armée coloniale française ouvrait le feu sur des soldats africains démobilisés, dans le camp de transit de Thiaroye, en banlieue de Dakar. Ces anciens tirailleurs réclamaient simplement le paiement de leur solde. Parmi les victimes, M’Bap Senghor, tué ce jour-là pour avoir demandé ce qui lui revenait de droit. Huit décennies plus tard, son fils, Biram Senghor, 86 ans, ne sait toujours pas où son père a été enterré.
Ce lundi, il a déposé plainte contre X et contre l’État français devant le tribunal judiciaire de Paris, pour recel de cadavre. En juin dernier, la France a accordé à M’Bap Senghor la mention « Mort pour la France », neuf ans après son décès. En novembre, Paris a également admis la qualification de « massacre » pour décrire ce crime colonial.
Mais selon plusieurs historiens, la reconnaissance officielle reste très incomplète. Trente-cinq morts sont recensés dans les documents français, alors que certains travaux évoquent plus de 400 victimes. Le lieu d’inhumation de ces soldats, lui, fait toujours l’objet de nombreuses questions.
« Il faut qu’ils nous disent où se trouve le cadavre »
La démarche de Biram Senghor de porter plainte pour recel de cadavre est inédite. Mais l’idée est bien celle-là : obliger les autorités françaises à dire où le tirailleur sénégalais a été enterré, puisque son avocat est convaincu qu’il existe quelque part des documents pour localiser les dépouilles de ces tirailleurs. Nous estimons que les personnes qui ne donnent pas accès aux archives font obstruction. « Il faut qu’ils nous disent où se trouve le cadavre », a encore demandé Maître Dieng.
Or la loi française – l’article 434-7 du Code pénal – punit quiconque contribue à faire obstruction à la découverte d’un cadavre.
Dans un premier temps, on a commencé par dire que son père est déserteur. On admet qu’il n’est plus déserteur, mais qu’il a été tué à Thiaroye. On avait dit qu’à Thiaroye, il y avait des fosses communes et des tombes où étaient enterrés des tirailleurs. Le président Hollande en 2014 est venu dire qu’il n’y avait personne dans ces tombes-là. Donc, on ne sait pas où se trouvent les tirailleurs. Mais ces tirailleurs, il a été reconnu qu’ils ont été massacrés. Massacrés, ça veut dire usage de violence. Et la loi française punit quiconque cache le cadavre d’un individu décédé des suites d’une violence. C’est ça le recel de cadavre. Il ne s’agit pas simplement des personnes qui ont été là-bas en 1944. Le recel de cadavre, c’est cacher un cadavre ou faire obstruction à la découverte d’un cadavre et à qui on peut demander des comptes dans cette affaire. Sinon, l’ancienne puissance coloniale qui gérait ce dossier.
De son côté, l’ancien président François Hollande avait annoncé lors d’une visite fin 2014 avoir « remis une copie de l’intégralité des archives » sur Thiaroye. « La France a fait tout ce qu’elle devait faire », assurait en décembre une source gouvernementale française, d’après qui « les archives sont ouvertes ».