Le deuil et le choc au Cameroun après l’annonce lundi 1ᵉʳ décembre de la mort en détention de l’opposant Anicet Ekane. Figure engagée de la vie politique camerounaise, anti-coloniale, nationaliste, pro-démocratie, opposant au régime Ahidjo puis au régime Biya, il s’est beaucoup impliqué pour la présidentielle d’octobre, d’abord au profit de Maurice Kamto, puis, après le rejet de la candidature de ce dernier, au profit de Issa Tchiroma Bakary, avant d’être arrêté fin octobre.
Le vendredi 24 octobre, 12 jours après l’élection présidentielle au Cameroun, les résultats officiels n’ont pas encore été annoncés, Anicet Ekane est interpellé en fin de journée à Douala, la capitale économique frondeuse, en même temps que d’autres cadres de son parti, le Manidem. À l’approche de la cérémonie de proclamation officielle du vainqueur du scrutin, le climat est tendu au Cameroun. Anicet Ekane fait partie de ceux qui ont déjà revendiqué la victoire du candidat Tchiroma Bakary.
Transféré à Yaoundé, la capitale, il est détenu au Secrétariat d’État à la Défense. Pour ses avocats, rien, pourtant, ne justifie la menace d’une inculpation de crimes insurrectionnels relevant de la compétence de la justice militaire. Un mois de détention passe, sans inculpation.
Âgé de 74 ans, Anicet Ekane souffrait de troubles respiratoires. Malgré sa prise en charge au centre médical de la gendarmerie nationale, ses avocats et sa famille ont alerté à plusieurs reprises sur la dégradation de son état de santé, insistant pour que lui soit remis son extracteur d’oxygène, resté à Douala.
Anicet Ekane n’est pas transféré à l’hôpital
Le matin du 1ᵉʳ décembre, sa famille et son avocat Me Emmanuel Simh sont appelés. Les médecins légistes ont constaté le décès d’Anicet Ekane à 7h du matin, dans sa chambre, sur son lit. Son corps a été déposé à la morgue de l’hôpital central de Yaoundé. Le Ministère de la Défense annonce une enquête. Sa mort provoque une onde de choc dans le pays. Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, secrétaire général adjoint du comité central du RDPC, le parti présidentiel, Grégoire Owona, réagit.
« J’avais connu Anicet longtemps à Douala et on entretenait des relations empreintes de respect mutuel et de beaucoup de sympathie, malgré nos divergences politiques. Je voudrais d’abord adresser mes condoléances à sa famille et regretter vraiment que cela soit arrivé. On savait tous qu’Anicet était malade, avait des pathologies. Compte tenu du fait que les autorités ont ouvert des enquêtes, je crois qu’avant de lancer l’opprobre sur qui que ce soit, il est peut-être tout simplement souhaitable qu’on attende le résultat de ces enquêtes qui, je l’espère, vont être rapides afin que la famille puisse faire le deuil en toute sérénité ».
Une mort dans des conditions inacceptables
Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme, estime inacceptable qu’Anicet Ekane soit mort ainsi en détention.
C’était au Cameroun une figure connue de la vie politique, connue pour son engagement pour le nationalisme, le multipartisme, la démocratie. À la tête du Manidem, il avait investi candidat Maurice Kamto pour la présidentielle d’octobre. Après l’invalidation de la candidature de Maurice Kamto, Anicet Ekane a soutenu celle de Issa Tchiroma Bakary, aujourd’hui en exil et qui continue de revendiquer la victoire.
À peine sa mort confirmée, Anicet Ekane a aussitôt été érigé en martyr et en héros, d’aucuns le jugeant digne de la lignée des figures historiques de l’histoire du Cameroun, au rang des illustres nationalistes Um Nyobe, Ossendé Afana ou encore Ernest Ouandié, tous morts dans les luttes pré et post-Indépendance.
La mort du président du Manidem a ainsi fait pleuvoir un flot d’hommages, rapporte notre correspondant à Yaoundé, Polycarpe Essomba. Parmi ces hommages, il y a eu celui très remarqué d’Issa Tchiroma Bakary. Depuis son exil, Issa Tchiroma Bakary a dit de son allié qu’il est « une conscience indomptable, un architecte de la transition démocratique », en référence à leur combat pendant la récente élection présidentielle qu’il revendique toujours avoir gagné. « Ton sacrifice ne sera pas vain », a- t-il conclu.
Une vie de lutte pour la démocratie
Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive de l’ONG Nouveaux Droits de l’Homme, revient sur la figure qu’était Anicet Ekane. « Anicet Ekane est un visage emblématique de longue date de la lutte pour la libération. On connaît son attachement au parti de l’Union des populations du Cameroun. C’est un visage qui a marqué les luttes des années 90. Il faut dire qu’il avait d’abord fait de la prison à l’époque. Ce sont des visages que les Camerounais ont à l’esprit, comme des visages qui ont fait de la démocratie et de la libération leur combat permanent depuis plus d’une trentaine d’années », estime-t-elle.
« Aujourd’hui encore, en 2025, il n’a brillé que par ça, par son soutien au candidat Tchiroma Bakari et par ses positions claires contre le régime en place. Ce n’est un secret pour personne que c’était un dissident. C’était un opposant politique affirmé, convaincu qu’il fallait combattre le régime en place. Donc, ceux qui croient en la démocratie au Cameroun pleurent une icône de cette lutte-là pour la démocratie au Cameroun. C’est ce qu’il représentait et c’est ce qu’il sera toujours ».
Dans la journée de lundi, on a appris l’ouverture d’une autopsie pour ce mardi 2 décembre afin de déterminer les causes exactes du décès. En début de soirée, la famille a fait savoir qu’elle s’oppose à cette autopsie. Elle émet des réserves sur l’intégrité du collège des médecins commis à cette tâche et exige que soient constitués des experts indépendants, compte tenu du caractère « suspect » du décès.