Dans un énième revirement, le président américain Donald Trump a annoncé en début de semaine la livraison à Kiev d’un important stock de matériel militaire. À peine deux semaines plus tôt, Washington avait pourtant décrété la fin de son soutien à l’Ukraine.
Après avoir multiplié les gestes de rapprochement avec Moscou et envoyé à Kiev une succession de messages contradictoires sur le maintien de l’engagement américain à ses côtés au cours des six premiers mois de son second mandat à la Maison Blanche, Donald Trump est-il en train de reprendre le « leadership » de l’Occident face à la Russie, comme l’affirme le ministre lituanien des Affaires étrangères, Kestutis Budrys ?
Alors qu’il y a deux semaines encore, Washington disait mettre fin à ses livraisons d’obus et de missiles aériens à l’armée ukrainienne pour préserver ses propres stocks de munitions, le président américain a en tout cas annoncé, lundi 14 juillet, avoir « conclu » une « très grosse affaire » avec l’Alliance atlantique. « Des équipements militaires d’une valeur de plusieurs milliards de dollars vont être achetés aux États-Unis, aller à l’Otan, et seront rapidement distribués sur le champ de bataille », en particulier « des systèmes de missiles de défense aérienne Patriot », a-t-il dit en recevant le secrétaire général de l’organisation Mark Rutte à la Maison Blanche.
Répétant qu’il était « mécontent » de Vladimir Poutine qui continue de bombarder l’Ukraine alors que « nous pensions avoir un accord à quatre reprises environ », Donald Trump – qui ne cache plus son impatience à l’égard de la Russie – a aussi menacé de la sanctionner, elle et ses partenaires commerciaux, en leur imposant des droits de douanes « secondaires » de 100% si le Kremlin ne parvient pas à un accord de cessez-le-feu avec Kiev dans un délai de 50 jours.
« On fabrique, ils paient ! »
Pour Ulrich Bounat, analyste géopolitique, chercheur associé à l’Institut Open Diplomacy et spécialiste de l’Europe centrale et orientale, cette volte-face du président américain est le fruit d’un « contexte » mais aussi et surtout d’une « exaspération » : alors que Donald Trump « arrive à obtenir tout ce qu’il veut des Européens, ce qui nourrit son sentiment de n’obtenir que des victoires d’un côté », il ressent de la frustration à l’égard de Vladimir Poutine qu’il ne parvient pas à faire plier de l’autre.
Après avoir obtenu de ses alliés un changement majeur lors du dernier sommet de l’Otan, les 24 et 25 juin derniers à La Haye, avec la hausse de l’objectif de dépenses de défense à hauteur de 5 % du PIB à l’horizon 2035 – une requête qu’il formulait depuis longtemps –, Donald Trump s’est effectivement empressé de souligner, dans le cadre de sa « très grosse affaire » conclue avec l’Otan, que « les États-Unis, n’achèterons pas ces armes ». « On fabrique, ils paient ! », a-t-il insisté en désignant les pays européens. Un « deal » qui s’apparente « à une sorte de victoire politique » pour Washington, décryptait Camille Grand, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales et ancien secrétaire général adjoint de l’Otan pour les investissements de défense, en début de semaine sur RFI : contrairement à ce qu’il se passait sous l’administration Biden, « des armes américaines vont partir en Ukraine, mais ne seront plus, pour l’essentiel, payées par le contribuable américain », expliquait alors celui-ci, ce qui permet à Donald Trump de faire valoir à son électorat que ce nouveau soutien à Kiev ne lui coûte rien et qu’il a réussi à transférer le fardeau de l’aide aux Européens.
« Il y a certes le fait que Donald Trump refuse de donner un centime pour l’Ukraine et que toute action de son administration en direction de Kiev se fera désormais contre de l’argent, mais face à Moscou, ce début de changement de ton reflète principalement l’échec de sa stratégie depuis son retour à la Maison Blanche : celle de tendre un rameau d’olivier de plus en plus gros à la Russie pour la ramener à la table des négociations alors que cela ne fonctionne pas », tempère cependant Ulrich Bounat.
« On voit que Donald Trump prend conscience du fait que Vladimir Poutine l’a un peu baladé au cours de ces derniers mois et qu’il est dans une situation où il ne peut pas annoncer le type de victoire diplomatique qu’il affectionne », renchérit Camille Grand qui ajoute que le président américain « est sensible au fait que les médias américains commençaient à décrire sa relation avec le président russe comme étant celle dans laquelle il était celui qu’on prenait pour un idiot ». « Cela affecte sa popularité en politique intérieure : les sondages commencent à être moins bons pour lui. Donald Trump a donc besoin d’un succès en Ukraine et par conséquent d’amener Vladimir Poutine à la table des négociations, car le principal obstacle aujourd’hui dans ce dossier, c’est lui », complète de son côté Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Iris en charge des questions liées à l’industrie d’armement et de ventes d’armes.
Flatterie
Un contexte et une frustration auxquels s’ajoute un changement de stratégie de la part du président ukrainien et des dirigeants européens pour retrouver le soutien américain, affirme de son côté le Wall Street Journal. « Alexander Stubb, le président de la Finlande, a noué une amitié avec Trump lors d’un tournoi de golf en Floride […]. [Friedrich] Merz [le chancelier allemand] a rendu visite à Trump le 5 juin à la Maison Blanche et s’est ensuite entretenu avec lui presque chaque semaine […]. Quant au secrétaire général de l’Otan Mark Rutte, il lui a envoyé des SMS flatteurs », écrit le journal qui relève aussi que dans « les mois qui ont précédé [le sommet de l’Otan], les dirigeants européens ont persuadé le président ukrainien Volodymyr Zelensky de nouer un dialogue direct avec Donald Trump et d’accepter sans conditions des négociations avec Vladimir Poutine » alors que pendant ce temps-là « en coulisse, certains se sont rapprochés de tout un réseau de législateurs républicains et de hauts responsables du gouvernement américain considérés comme plus pro-Ukrainiens, notamment le secrétaire au Trésor Scott Bessent et le secrétaire d’État Marco Rubio ».
« Un certain nombre de pays [européens] ont compris qu’il faut parler souvent à Trump et en passer par une flatterie extraordinaire pour un résultat de court terme car, avec lui, c’est souvent le dernier qui parle qui a raison », reprend Ulrich Bounat. Depuis le départ d’Olaf Scholz de la chancellerie, l’Allemagne, en particulier, semble l’avoir bien compris. Alors qu’elle va assumer une grande partie du coût des nouveaux systèmes Patriot fournis à l’Ukraine, « le changement d’attitude de Berlin [depuis l’arrivée au pouvoir de Friedrich Merz], son discours beaucoup plus volontariste sur le réarmement, ses lignes différentes de celles de la France sur la question des droits de douane, ont certainement joué un rôle. Mais globalement, le problème de cette stratégie, c’est qu’elle ne garantit pas des résultats à long terme », poursuit ce dernier.
Là est effectivement toute la question : « cinquante jours, c’est long » et d’ici là, la Russie peut « espérer que Trump changera d’avis », écrit ainsi le quotidien italien Corriere della Sera quand Jean-Pierre Maulny estime lui qu’il ne s’agit pas, en définitive, d’une conversion du président américain à la cause ukrainienne. « Donald Trump continue en fait la même politique : il fait alternativement pression sur l’un ou sur l’autre des protagonistes selon la situation, car ce qu’il veut fondamentalement, c’est que cette guerre s’arrête pour faire du « business ». Or, on est à l’heure actuelle dans une situation ou la guerre ne s’arrête pas car c’est Vladimir Poutine qui la poursuit »…