Avec leurs instruments de récup à l’origine d’un son particulier, mi-digital mi-organique, les Nana Benz du Togo donnent à la musique vaudou un visage inédit. Deux ans après sa percée sur le circuit international, le groupe défend non seulement son identité artistique, mais aussi ses convictions sociétales sur son nouvel album Sé Nam
Se produire à 21 reprises en un mois, sur des scènes chaque fois différentes, avait le goût de l’inédit en 2023 pour les NBT, diminutif des Nana Benz du Togo. « Ça nous a permis de travailler notre endurance physique autant que musicale. On avait plutôt l’habitude de faire deux concerts par mois », reconnaît Lady Apoc, l’une des trois femmes du quintet.
L’expérience a porté d’autres fruits, bienvenus au moment de donner une suite au premier album Ago aussi novateur que risqué, emballé dans l’appellation « vaudou digital ». Bien qu’il ait été enregistré en studio à Lomé, la capitale du Togo, son successeur Sé Nam est davantage « inspiré par le live », poursuit-elle, avec des rythmes « plus intenses », des instruments « plus travaillés » et l’envie de « reproduire l’intensité » de l’énergie transmise par le public.
« Il fallait proposer quelque chose d’un peu différent », complète avec pragmatisme Peter Solo, à la tête du groupe Vaudou Game et producteur de cet album ainsi que du précédent. « On a poussé la basse et surtout travaillé sur le son, pour que le mix sonne autrement », précise le musicien basé en France, théoricien de la gamme du vaudou.
Tuyaux en PVC et marmites de grand-mère
Pour partager le résultat de ses recherches musicales, il organise en 2018 un atelier sur sa terre natale avec le concours de l’Institut français. De jeunes artistes manifestent un intérêt pour sa démarche : parmi eux, Lady Apoc et les futurs membres des Nana Benz. À l’époque, elle cherche à rapprocher rock et vaudou, mais se montre peu convaincue par ce à quoi elle a abouti au cours de sa résidence artistique avec le programme Visa pour la création.
Face à ses stagiaires, Peter Solo (Vaudou Game) a déjà une idée en tête. « Pour sortir d’Afrique, il fallait quelque chose d’un peu fou, pas avec des instruments conventionnels », explique-t-il, en référence à la basse spectaculaire conçue à partir de tuyaux en PVC (et jouée avec des tongs !) ou encore la batterie intégrant les marmites d’une grand-mère.
Quand il propose à cinq d’entre eux de se réunir et de les accompagner dans leur développement, les heureux élus lui font confiance. « Le potentiel ne m’est pas apparu directement », concède Lady Apoc, qui ajoute avoir accepté timidement, dans un premier temps, habituée jusque-là à suivre une route personnelle en prenant librement toutes les décisions afférentes.
Mais l’apparition avec ses coéquipiers d’un lien qu’elle qualifie de « communautaire », lié à leur « culture de vaudouisants », a eu raison au bout de quelques mois de ses appréhensions initiales – et sur ce plan, les tournées internationales ont contribué à renforcer le collectif, modifié en outre à la marge par le remplacement d’une des chanteuses d’origine pour raison de santé.
Féminisme et défense de la nature
Si la gamme vaudou « détermine » la musique du groupe auquel appartient Lady Apoc, comme c’est aussi le cas pour Vaudou Game, l’influence de cet héritage traditionnel va plus loin. En particulier dans le thème de la nature, considérée comme « sacrée », dans un titre qui lui est nommément dédié. « Elle nous donne tout, elle nous nourrit. Donc, il faut la respecter ! », justifie la chanteuse.
Dans le répertoire de Sé Nam, qui signifie littéralement « écoute-moi » en mina, un autre combat émerge. Pour ces Nana Benz du XXIe siècle, il est inhérent à l’existence même de leur formation nommée ainsi en hommage à cette poignée de Togolaises marchandes de tissu devenues des femmes d’affaires influentes à partir des années 60.
« Chez nous, même quand elle est instruite, la femme reste à la maison parce que Monsieur lui a demandé et s’occupe des enfants alors qu’elle avait des projets de vie. Il faut que les hommes comprennent que nous ne sommes pas obligés d’exister pour eux et par eux seulement. Il faut que nous existions par nous-mêmes avant toute chose. On ne demande pas qu’on nous mette au-dessus des hommes, mais au même niveau. Qu’on nous donne la même considération », développe Lady Apoc.
Pour que le message produise ses effets, elle sait qu’il faudra le répéter. Ça tombe bien : c’est le principe de la transe, une spécialité des Nana Benz du Togo.
Nana Benz du Togo Sé Nam (Komos Records) 2025