Modalités de délivrance du quitus fiscal : Le juriste Franck Oké saisit la Cour

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Dans le cadre de la préparation des élections à venir en République du Bénin, les candidats à divers scrutins sont tenus de fournir un quitus fiscal délivré par la Direction Générale des Impôts (DGI), conformément aux exigences légales en matière de transparence et de conformité fiscale.

Cependant, nous avons constaté, de même que d’autres citoyens et candidats, que la délivrance de ce document, censé relever exclusivement de la situation fiscale de l’intéressé, est désormais conditionnée à la mention obligatoire du type d’élection à laquelle le demandeur souhaite participer.

Cette exigence ne repose sur aucun fondement légal ou réglementaire, et apparaît ainsi manifestement contraire au principe de légalité administrative, selon lequel l’administration ne peut agir que dans le cadre fixé par les textes. En l’espèce, ni le Code général des impôts, ni le Code électoral, ni aucun autre texte en vigueur ne prévoit une telle obligation dans le cadre de la délivrance du quitus fiscal.

En outre, cette exigence porte atteinte au principe de neutralité du service public, qui interdit à l’administration de traiter différemment les usagers en raison de leurs opinions ou engagements politiques. En subordonnant la délivrance d’un document fiscal à une information de nature politique ou électorale, l’administration introduit une condition étrangère à la finalité même de l’acte, en méconnaissance du principe de finalité des actes administratifs : un acte administratif ne saurait légalement poursuivre un but autre que celui pour lequel il a été prévu (CE, 6 février 1903, Terrier ; CE, 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs-conseils).

De surcroît, cette mesure est également contraire au principe d’égalité devant le service public, garanti par l’article 26 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990, modifiée par la loi constitutionnelle n° 2019-40 du 07 novembre 2019, et réaffirmée par une jurisprudence constante de la Cour suprême, dès lors qu’elle crée une distinction injustifiée entre les citoyens selon leur statut de candidat à une élection, et le type de scrutin concerné, sans justification objective et rationnelle en lien avec l’objet de la démarche fiscale.

En clair, il s’agit donc d’une exigence juridiquement infondée, qui méconnaît plusieurs principes fondamentaux du droit administratif, et dont le retrait ou l’abandon s’impose afin de garantir la conformité de l’action administrative aux règles de droit.

Griefs soulevés

Nous soulevons les griefs suivants, en lien avec plusieurs dispositions constitutionnelles :

1. Atteinte au principe d’égalité devant la loi et l’administration

(Articles 26 et 120 de la Constitution)
L’exigence de la mention du type d’élection établit une discrimination arbitraire entre les citoyens, en introduisant un critère non prévu par la loi fiscale.

2. Violation du principe de neutralité et d’impartialité de l’administration

L’administration fiscale, en conditionnant la délivrance du quitus à des éléments non fiscaux, outrepasse ses prérogatives et agit de manière partiale, ce qui est contraire à son rôle de service public neutre.

3. Entrave à l’exercice des droits politiques

(Article 13 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples)
La liberté de se porter candidat à une élection ne doit pas être restreinte par des obstacles administratifs abusifs. La pratique actuelle constitue une entrave à ce droit fondamental.

4. Atteinte au principe de transparence et de régularité du processus électoral

(Article 117 de la Constitution)
La Cour constitutionnelle, en tant que garante de la régularité des élections, est appelée à faire cesser toute manœuvre pouvant compromettre l’équité du processus.

5. Méconnaissance de l’article 35 de la Constitution sur les devoirs des agents publics

(Article 35 de la Constitution)
L’article 35 dispose que « les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun ».
Or, la pratique actuelle de la Direction Générale des Impôts, en introduisant une condition non prévue par les textes pour restreindre indirectement l’accès à une fonction élective, constitue un manquement manifeste à ce devoir constitutionnel. Elle traduit une instrumentalisation d’un acte fiscal à des fins inappropriées, au détriment de la loyauté administrative et du respect du bien commun.

 

Demandes à la Cour constitutionnelle

Au regard de ce qui précède, nous sollicitons respectueusement de la Haute Juridiction :

1. De constater l’inconstitutionnalité de la pratique administrative consistant à exiger la mention du type d’élection pour obtenir un quitus fiscal ;

2. D’ordonner à la Direction Générale des Impôts de se conformer strictement aux dispositions légales et constitutionnelles, en délivrant le quitus fiscal uniquement sur la base de la situation fiscale du demandeur, sans considération électorale ;

3. De garantir l’égal accès des citoyens à toutes les fonctions électives, en assurant l’impartialité de l’administration dans la délivrance des pièces exigées pour la validation des candidatures ;

4. De rappeler à toutes les institutions de la République leur obligation de respecter la Constitution, notamment en matière de neutralité administrative, d’égalité devant la loi et de probité dans l’exercice des fonctions publiques.

Fait à Porto-Novo, le mardi 16 septembre 2025

 

Franck OKE