Les 133 cardinaux électeurs présents à Rome vont donc s’enfermer ce mercredi 7 mai dans l’après-midi dans la chapelle Sixtine pour désigner le successeur du pape François. Dix-sept d’entre eux représentent des diocèses africains, dont Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger. Juste avant de pénétrer dans la résidence Sainte-Marthe où il résidera avec ses pairs pendant le conclave, il s’est confié à l’un de nos envoyés spéciaux.
RFI : Jean-Paul Vesco, vous êtes archevêque d’Alger, cardinal depuis quelques mois. Comment est-ce que vous vous sentez à l’approche de votre premier conclave ?
Jean-Paul Vesco : Je me sens très serein, je ne sais pas pourquoi. D’une certaine manière, il y a des étapes à franchir. La première, c’est effectivement le jour où on est nommé cardinal. Ça, c’est une espèce de choc énorme, sidérant. Le deuxième, on est créé, ça devient réel parce que pendant un certain temps, entre l’annonce et la création, il s’est passé pour moi deux mois. Après, il y a l’annonce de la mort du pape et l’arrivée à Rome. Et là, on découvre un peu les congrégations, on ne sait pas ce que c’est, on a entendu que du temps du cardinal Bergoglio, il s’était distingué par sa parole dans la congrégation. Donc, on se dit qu’il se passe des choses, et effectivement, il se passe des choses ! Et puis, il y a cette peur d’entrer en conclave, de se dire tout le poids de ce rite. Et en fait, je suis extrêmement serein. L’étape pour laquelle je ne suis pas encore prêt, c’est le moment où on va voir élu l’un d’entre nous : on est tous des hommes et tout d’un coup, il y en a un qui va apparaître en blanc et cet homme ne s’appartiendra plus. Sa vie va complètement changer. Le Seigneur a choisi un homme pour son Église. Ça, c’est vertigineux.
Le temps du dialogue est terminé. Est-ce que, quand on se prépare à rentrer dans le conclave, on rentre avec des certitudes sur ce qu’on attend du prochain pape ?
Pendant le temps du dialogue, il n’y a jamais eu de nom donné, ça, c’est très important. Mais on donne des profils de personnes, des qualités, on donne des rêves d’Église. Et puis tout d’un coup, de temps en temps, une personne porte une parole et l’incarne. Donc c’est arrivé quelquefois, des bonnes surprises et tout d’un coup, on est rattrapé, on est touché et on se dit que cette parole est forte. J’aurais du mal à voter pour un cardinal dont je n’ai pas senti à un moment l’adéquation entre la personne et sa parole et qu’il incarne une parole ; c’est notre voix. J’ai un critère – je vous le confie – je l’imagine à une veillée des JMJ et je me dis : « dans cette situation, comment est-ce qu’il serait cet homme-là qui est en train de parler ? »
Là, il y a un moment de dialogue, d’effervescence. On était avec vous dans la rue, on a vu énormément de personnes qui vous parlaient. Et d’un coup, aujourd’hui à 16h30, vous allez passer dans un moment de recueillement, un moment de prière, un moment de vote. Comment est-ce qu’on se prépare à ce moment où on va être complètement coupé du monde ?
J’ai déjà porté mes bagages, ils sont déjà là-bas, ils sont passés au scanner pour s’assurer qu’il n’y avait aucun appareil électronique dedans. On n’aura pas de téléphone, il y aura même un service pour nous réveiller si on a besoin de réveil. Ce sont des choses toutes bêtes, mais on n’y pense plus. C’est un moment que j’attends. On va porter son bulletin de vote, tout ça est fait pour donner quand même un poids, un espace pour la prière, pour être face à soi-même. Ce n’est peut-être pas forcément toujours très facile, mais c’est bon parce que ça date du XIIIe siècle et ce système qui paraît complètement d’un autre temps n’a jamais été aussi utile qu’aujourd’hui, où il y a tous les réseaux sociaux, où on est connecté de partout. Et donc tout d’un coup, être mis à l’écart, c’est extraordinaire.
Est-ce que dans ces congrégations générales, vous avez vu ressortir un des grands héritages de François, à savoir l’Église périphérique, cette volonté d’aller porter la parole ailleurs, dans de nouveaux endroits ?
Cette volonté, elle est vraiment là dans la composition, dans la sociologie du collège lui-même. Sur 130, on est de 70 pays. Sont surreprésentés les églises et les pays de grande minorité. Ça, déjà, ça se sent. Il y a quand même une ouverture à l’universalité qui est énorme, puis qui va devoir continuer.
Vous avez un parcours un petit peu particulier. Vous êtes né français, vous avez été naturalisé algérien. Comment est-ce que vous voyez le fait que le continent africain dans son ensemble est particulièrement dynamique ? On a une présence de 17 cardinaux qui viennent du continent. Quel regard est-ce que vous portez sur le dynamisme du christianisme sur le continent africain ?
Je pense qu’aujourd’hui, l’Afrique est encore largement sous-représentée dans le collège cardinalice, c’est évident. C’est-à-dire que le prochain pape devra rééquilibrer encore en faveur de l’Asie et de l’Afrique. En fait, aujourd’hui, il y a véritablement un poumon spirituel en Afrique qui est impressionnant. Dans notre église d’Algérie, aujourd’hui, la nationalité la plus représentée parmi les prêtres, religieux et religieuses de mon diocèse, ce sont des Burkinabè. Donc, par exemple, j’ai organisé un voyage, un pèlerinage au Burkina Faso pour que justement les membres de notre église regardent vers le sud, regardent vers ces églises, et c’est impressionnant de voir la moindre petite messe du matin, ce sont des centaines et des centaines de personnes qui sont là à cinq heures du matin. C’est profondément touchant. Le fait est qu’aujourd’hui, sociologiquement, l’Église catholique est beaucoup plus africaine et asiatique qu’occidentale. Je ne sais pas si ce sera cette fois-ci le temps d’un d’un pape africain ou asiatique, mais je l’espère.