Dans un entretien, Madame Christhelle Houndonougbo Alioza, Présidente de la Dynamique CHA parle de la la Femme béninoise, 65 ans d’indépendance. A la question de savoir si la femme béninoise est-t-elle aujourd’hui valorisée, CHA répond par la négative. Elle évoque les obstacles et propose la solution. Elle se prononce sur la place des femmes dans la prise de décision, notamment en politique. Selon elle, la place actuelle des femmes dans les sphères de décision au Bénin est encore trop marginale et trop fragile. A la jeune fille béninoise, Christhelle Houndonougbo Alioza l’invite à utiliser son intelligence. « Sois prête à relever les défis avec courage, discipline et intégrité. Bats toi avec détermination et conviction mais dans la dignité et la légalité», conseille CHA. Entretien
Selon vous, est-ce qu’après 65 ans d’indépendance, on peut dire que la femme béninoise est suffisamment valorisée ?
Christhelle Houndonougbo Alioza: Oui la Femme Béninoise est valorisée.
Mais non, nous ne pouvons pas dire que la femme béninoise est suffisamment valorisée. Il serait hypocrite de s’en convaincre, même si des progrès notables ont été réalisés ces dernières années. Aujourd’hui, certaines femmes accèdent à des postes de décision, elles s’imposent dans l’éducation, la magistrature, l’administration, l’armée ou encore dans les affaires. Mais ces cas restent encore exceptionnels, et la majorité des femmes continuent d’évoluer dans un environnement marqué par la précarité, les discriminations, les stéréotypes et l’invisibilisation de leurs efforts. Tant que la reconnaissance du rôle de la femme reste symbolique ou conjoncturelle, on ne peut parler de réelle valorisation. L’indépendance politique du Bénin, sans l’indépendance sociale, économique et institutionnelle de la femme béninoise, demeure incomplète, donc un grand défi que nous devons travailler sans relâche et au quotidien à relever.
Quels sont, à votre avis, les obstacles majeurs à son épanouissement ?
Les freins à l’épanouissement de la femme béninoise sont multiples et profonds. Il y a d’abord la force des pesanteurs socioculturelles qui, dès l’enfance, assignent à la femme des rôles subalternes. À cela s’ajoutent la précarité économique, l’accès limité aux ressources (financement, terre, formation), la faible représentativité dans les instances de décision, et surtout, les violences basées sur le genre qui affectent avec gravité leur dignité, leur sécurité et leur pouvoir d’agir.
Il ne faut pas négliger non plus les obstacles psychologiques, comme l’intériorisation de l’infériorité, la peur du jugement ou le manque de confiance en soi, souvent nourris par l’environnement familial, scolaire et religieux.
Ce sont des barrières visibles et invisibles que nous devons collectivement abattre si nous voulons un Bénin d’équité.
Que faut-il améliorer pour que les femmes soient plus autonomes, notamment sur le plan économique ?
Pour que les femmes soient véritablement autonomes, il faut créer un environnement économique équitable et libérateur. Cela passe par :
– un meilleur accès aux crédits, sans conditions discriminatoires ;
– une formation continue, adaptée aux réalités du marché et centrée sur les compétences entrepreneuriales et numériques ;
– une sécurisation de l’accès au foncier et aux marchés publics ;
– des politiques fiscales et incitatives ciblées pour les femmes entrepreneures ;
– et surtout, des mesures sociales pour alléger les charges domestiques (crèches, congés maternité adaptés, services de proximité). Il ne suffit pas de distribuer seulement des microcrédits : il faut construire une économie qui intègre la femme, où elle n’est pas une assistée, mais une actrice productive et influente.
Que pensez-vous de la place des femmes dans la prise de décision, notamment en politique ?
La place actuelle des femmes dans les sphères de décision au Bénin est encore trop marginale et trop fragile. Il est vrai que la récente loi sur le quota des femmes à l’Assemblée nationale a permis d’envoyer 28 femmes au Parlement. Et nous remercions l’État à travers le président Patrice Talon et son gouvernement pour cette réforme. C’est un progrès historique, mais ce n’est qu’un premier pas. La réalité, c’est que les femmes restent encore en minorité au gouvernement, à l’assemblée nationale, dans les institutions, dans les conseils communaux, les directions générales, les organes de partis politiques, les cabinets ministériels et les hautes fonctions de l’État. Et souvent, lorsqu’elles y accèdent, elles doivent faire face au sexisme, à la défiance , à l’isolement, parfois à l’intimidation, au chantage etc.. Beaucoup d’hommes et même de femmes ne sont pas encore prêts à accepter la femmes aux responsabilités ni à la soutenir.
Il faut aller plus loin en imposant des discriminations bien pensées qui intègrent qualité, compétence et mérite dans les institutions, en formant et accompagnant les jeunes filles au leadership, en finançant les ambitions politiques des femmes et en déconstruisant les imaginaires qui lient pouvoir et masculinité.
Un pays ne peut se développer durablement en excluant la moitié de ses intelligences.
Quel message aimeriez-vous adresser à la jeune fille béninoise d’aujourd’hui que le Bénin célèbre 65 ans d’indépendance ?
Chère jeune fille béninoise, tu es la continuité et l’espérance de ce que le Bénin veut devenir. Tu n’es pas née pour plaire ou te taire. Tu n’es pas née pour subir ni pour échouer. Tu es née pour bâtir, influencer, gouverner, innover et transformer ton pays, évidemment avec les hommes et aux côtés des hommes.
Crois en ton intelligence. Crois en ta voix. Cultive ton savoir, ta dignité, ton ambition. Refuse les chaînes qu’on veut te passer au nom d’une certaine tradition, pratiques ou de la peur. Forme-toi, exprime-toi, engage-toi.
Le Bénin t’appartient autant qu’à n’importe quel garçon de ton âge. N’attends pas qu’on te donne la permission de rêver de diriger, de porter. Fais toi ta place. Sois prête à relever les défis avec courage, discipline et intégrité. Bats toi avec détermination et conviction mais dans la dignité et la légalité. Car le Bénin ne sera véritablement indépendant que lorsque chaque jeune fille béninoise pourra l’être aussi, dans sa tête, dans sa vie, et dans son destin.
Bonne fête à vous béninoises et béninois où que vous soyez.
Le Bénin reste notre fierté !