Comlan Hugues Sossoukpè est poursuivi pour cyberharcèlement, incitation à la haine, à la rébellion et apologie du terrorisme. Interpellé à Abidjan en Côte d’Ivoire, il a été transféré au Bénin, La légalité de son extradition, son statut de réfugié et les valeurs démocratiques du Bénin sont au cœur des débats.
L’affaire suscite de vives réactions au sein de l’opinion. Les avocats de Hugues Comlan Sossoukpè dénoncent une atteinte à ses droits et à son statut de réfugié au Togo. Maître Aboubakar Baparapé, avocat du journaliste Comlan Hugues Sossoukpè, évoque une interpellation extra-judiciaire. « Il a été interpellé à Abidjan dans son hôtel par quatre (04) personnes en civil qui se sont présentées comme étant de la Gendarmerie ivoirienne (…) et conduit directement à l’aéroport international d’Abidjan (…) L’extradition, c’est forcément un magistrat ivoirien qui va prendre cette décision… Mais, d’après ce qu’il (Comlan Hugues Sossoukpè, NDLR) a dit, ça n’a pas été le cas. Depuis son hôtel, on l’a directement amené à l’aéroport sans le présenter à un magistrat, comme il l’a réclamé, en présence de ses avocats », déplore l’avocat.
Un flou juridique qui dérange
Pour le juriste Corneille Nougbognon, cette arrestation est une violation des procédures. « On devait l’en informer d’abord. C’est comme si on l’a piégé. Ce n’est pas juste. C’est de l’arbitraire ! »
Sossoukpè bénéficie du statut de réfugié au Togo, ce qui selon son avocat, implique la protection du HCR. « Normalement, étant donné que c’est un réfugié, la Côte d’Ivoire ne pouvait, vu les risques qu’il encourt dans son propre pays, le refouler ou l’extrader dans son propre pays », affirme Me Baparapé.
« Son statut de réfugié devait le protéger, on a violé les conventions internationales. Il y a des procédures à suivre, on ne peut pas l’extrader comme ça », a confié un journaliste ayant requis l’anonymat.
Mais alors, pourquoi Sossoukpè était-il à Abidjan ? Questionne Serges Auguste Bata, opérateur économique. « Quand tu sors de ton territoire d’accueil, tu prends des risques. Et il a pris un risque ». Il regrette cependant le manque de transparence sur la procédure. « Jusqu’à preuve du contraire, personne ne nous a dit ce qui s’est réellement passé. Il faut une version officielle ».
A en croire Pierre Tchibozo, directeur de publication, cette arrestation est un recul grave de la démocratie. « C’est une violation flagrante des principes démocratiques. On met en péril les acquis qui faisaient du Bénin une référence ». Il appelle les journalistes à se mobiliser pour défendre la liberté de la presse. « Il faut une réaction collective. Ce genre d’arrestations porte atteinte à notre honorabilité ».
Pour Jean-Paul, graphiste exerçant à Abomey-Calavi, l’interpellation de Comlan Hugues Sossoukpè est « la preuve qu’on veut museler toutes les voix dissidentes dans le pays. « Tant que l’on ne chante leur gloire et leurs louanges, c’est la prison. Çà, ce n’est pas le Bénin que nous avons connu jusque-là », déplore-t-il.
Se référant au dossier de l’activiste connu sous le pseudonyme de ‘’Frère Hounvi’’, il apprend que les gens ont fait pire que ça sans être inquiétés. Ces arrestations d’après lui, sont « la preuve palpable » que la liberté d’expression, l’un des acquis de la démocratie au Bénin, n’existe plus. Exhortant à la libération de l’activiste, il a dénoncé la « pratique récurrente » qui consiste à interpeller de force, des citoyens vivant à l’étranger.
Patriotisme et responsabilité
Mais pour d’autres, comme Serges Auguste Bata, la liberté ne doit pas servir de prétexte à l’irresponsabilité. Il critique sévèrement les propos du journaliste sur le terrorisme. « Le Bénin dépasse tout le monde, peu importe qu’on soit pour ou contre TALON, peu importe qu’on soit pour ou contre YAYI. Ce qu’il a écrit sur le terrorisme, ça m’a fait mal. Les nôtres ne peuvent pas être en train de mourir sur un front à cause du terrorisme et quelqu’un, va, se dire journaliste béninois, et soutenir ça. Moi, j’étais déjà indigné en son temps quand j’ai lu, je ne vais pas appeler ça un article, les élucubrations (excusez-moi le terme) de Comlan Hugues Sossoukpè. (…) Le journaliste doit dissocier les faits des commentaires. Relater les faits n’est pas répréhensible mais le commentaire peut vous être opposé dans un tribunal », a-t-il nuancé. Selon lui, la justice doit être ferme. « Il faut que les autorités soient sévères. On ne peut pas soutenir le terrorisme et se cacher derrière la liberté d’expression. »
« On ne peut pas tout dire sur internet, il faut des limites. S’il incite à la haine ou fait l’apologie du terrorisme, la justice doit faire son travail. On ne peut tolérer tous les discours sous prétexte de liberté d’expression », a indiqué l’entrepreneur Ludovic G.
« Je pense qu’un journaliste ne devrait pas être emprisonné pour ses opinions. Ce n’est pas un crime d’écrire des articles critiques, c’est la base de la démocratie. Tout est dans le rendu de l’article. Est ce que le journaliste a fait convenablement son métier sans enfreindre la loi ? Toute la réponse se situe à ce niveau », Josias Folly, étudiant en 2e année de droit.
« Comlan Hugues Sossoukpè fait des publications qui inquiètent. Nul ne sait d’où il tire ses sources. Si c’est vrai ce qu’il dit, c’est le moment d’apporter la preuve de ses allégations ; et que le Droit soit dit », a soutenu Stéphane, un électricien.
« J’espère que la justice fera bien son travail. On doit éviter les tensions dans le pays », confie Lyse Dégbé, fiscaliste.
Rodolphe, jeune ouvrier sur un chantier, exhorte à moins d’acharnement contre les voix dissidentes dans le pays. « Si sa culpabilité est établie, qu’il soit puni ; mais si ce n’est pas le cas, qu’il soit relâché ».
Paul Hounkpehossi cite la loi portant statut des réfugiés au Togo :
Art 27: Tout réfugié ou demandeur d’asile établi au Togo doit s’abstenir à attaquer son Etat ou un quelconque Etat par toutes activités qui soient de nature à faire naître une tension entre ce pays et son pays d’asile, in Loi Numéro 2016-21 du 24 août portant statut de réfugié au TOGO.
Des conducteurs de Bénin Taxi, très méfiants sur les sujets politiques dans le pays, disent ne pas connaître l’activiste. Mais son interpellation pour eux, suscitent des interrogations. Le Bénin étant un pays de Droit, ils suggèrent que le Droit soit dit.
(Avec 24haubenin)