Corée du Sud : De l’usine à la présidence, l’ascension de Lee Jae-myung

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Avec 51,7% des voix, Lee Jae-myung, le candidat du Parti démocrate, a remporté l’élection présidentielle sud-coréenne, ce mardi 3 juin. Il devient ainsi le 14e président du pays. Après une campagne de trois semaines, le leader de centre-gauche succède au président destitué Yoon Suk-yeol.

Ce fut un long chemin jusqu’à la présidence de la République de Corée. Lee Jae-myung, 61 ans, l’a emporté face à son adversaire du parti conservateur Pouvoir au peuple, Kim Moon-soo. Pour le chef du Parti démocrate dans l’opposition, ce résultat sonne comme une revanche, après sa défaite lors de la présidentielle 2022 face à Yoon Suk-yeol. Le nouveau président prendra ses fonctions mercredi 4 juin, après la cérémonie d’inauguration.

Politicien de longue date, Lee Jae-myung a gravi les échelons, non sans se faire d’ennemis. Né en 1963 au sein d’une famille de sept enfants qu’il qualifie de misérable, il quitte le collège pour travailler illégalement à l’usine, tandis que son père dilapide le revenu familial dans des paris. À 13 ans, sur son lieu de travail, son bras est pris dans une presse qui laisse son poignet et sa main blessés à vie.

À un cheveu de la présidence en 2022

En 1980, Lee Jae-myung parvient à entrer à l’université Chung Ang à Séoul pour y étudier le droit, et il devient avocat en droit du travail auprès de syndicats. Après 20 années passées à la barre, il acquiert une petite notoriété auprès des classes populaires pour certaines affaires, mais s’estime déçu quant à sa capacité à changer la société. Un constat qui le pousse à entrer en politique en 2005 en intégrant le parti de centre-gauche de l’époque, Uri, dans lequel il grimpe hiérarchiquement jusqu’à en devenir un des noms importants.

Après plusieurs tentatives infructueuses, il est élu en 2010 maire de Seongnam, une ville de près d’un million d’habitants en banlieue de Séoul. Lors de son mandat, il déploie une politique sociale importante en finançant le secteur médical et expérimente même un début de revenu universel pour jeune, une idée qu’il conservera pendant une partie de sa carrière. 

Fort de sa popularité, l’avocat est élu en 2018 gouverneur de la région du Gyeonggi, qui entoure la capitale Séoul. Le centre-gauche, renommé Parti démocrate, est alors au pouvoir avec le président Moon Jae-in, et Lee Jae-myung entend prendre sa succession au scrutin de 2022. Il revient avec un programme social ambitieux proposant d’instaurer un revenu universel. Si sa bonne gestion de l’épidémie de Covid-19 lui a fait gagner en popularité, la présidence lui échappe de peu : il est battu par  Yoon Suk-yeol  pour 0,7% des suffrages.

Vent debout face à président Yoon Suk-yeol jusqu’à la destitution

C’est dans ces années-là que sa carrière politique prend un tournant. L’exercice du pouvoir et ses ambitions politiques lui ont attiré des ennemis, aussi bien chez ses adversaires qu’au sein de son propre parti. De nombreux scandales émergent, l’accusant de corruption et de conflits d’intérêts dans des projets immobiliers. Des affaires qui continuent de le poursuivre aujourd’hui et qui auraient pu le disqualifier de l’élection présidentielle. Alors qu’il a été condamné puis relaxé en appel, la Cour suprême coréenne a demandé un nouveau procès, qui devrait se tenir lors de son mandat présidentiel. 

Dans le même temps, Lee Jae-myung renforce sa mainmise sur le Parti démocrate, qu’il fédère autour de lui en évinçant ses rivaux. Des manœuvres qui lui valent une réputation d’homme politique acerbe, voire autoritaire. Leader incontesté du Parti démocrate, il devient une figure clivante de la politique coréenne, aussi bien adulé par ses soutiens que détesté par ses adversaires. En 2024, lors de la visite d’un chantier d’aéroport, il est poignardé au cou par un homme venu lui demander un autographe. L’assaillant s’est expliqué en disant qu’il ne voulait pas que Lee Jae-myung devienne président. Après un passage aux urgences, le leader de centre-gauche survit à ses blessures.

Fort de sa majorité parlementaire, l’ex-gouverneur de la province de Gyeonggi s’impose comme l’alternative au président conservateur Yoon Suk-yeol dont il bloque chaque projet de loi à l’Assemblée nationale. Un verrou politique que le chef d’État tente de faire sauter en déclarant la loi martiale le 3 décembre 2024. Les ordres donnés par le président Yoon Suk-yeol aux services secrets sont de « se débarrasser » de son rival Lee Jae-myung. Un coup de force qui échoue face à la résistance des manifestants et des parlementaires qui votent la destitution du président

t.Cet épisode, dans lequel Lee Jae-myung s’est illustré en escaladant en pleine nuit les grilles de l’Assemblée pour aller voter contre la loi martiale, lui a donné un nouveau souffle de popularité. Si certaines des voix exprimées lors du scrutin présidentiel ne reflètent pas nécessairement une adhésion à ses valeurs, mais plutôt un rejet du parti de Yoon Suk-yeol, le nouveau président a tout de même réussi à réunir autour de lui un mouvement assez important.

Guerre commerciale, Corée du Nord… De nombreux dossiers tendus à gérer

Désormais à la tête de la Corée du Sud, Lee Jae-myung devra composer avec un pays fortement divisé, au sein duquel une part non négligeable de la population soutient encore l’ex-président Yoon Suk-yeol. Pour cela, il propose une réforme constitutionnelle pour raccourcir le mandat présidentiel d’un an, en échange de la possibilité de se représenter pour un second mandat. Une manière, selon lui, de rééquilibrer les pouvoirs et d’apaiser une société extrêmement polarisée.  

Autre dossier brûlant : les États-Unis. L’allié américain a ciblé la Corée du Sud avec la politique de droits de douane prônée par  Donald Trump. Washington a déjà fixé 25% de taxe sur les automobiles, l’acier et l’aluminium, des produits qu’exporte massivement Séoul. Sans gouvernement stable depuis six mois, la Corée du Sud n’a pas pu négocier avec Donald Trump, mais Lee Jae-myung ne souhaite pas pour autant se mettre à dos Pékin, autre partenaire commercial majeur du pays, en cédant aux demandes américaines.

Enfin, l’immanquable dossier Corée du Nord reste sur la table. Le court mandat de Yoon Suk-yeol a vu les relations entre le nord et le sud se détériorer gravement. Les deux pays ont rompu toute communication et la tension est montée à la frontière. Lee Jae-myung appelle à rétablir le dialogue avec le leader nord-coréen Kim Jong-un. Une envie partagée par Donald Trump, qui a déjà fait allusion à une rencontre similaire à celle organisée en 2018. Reste à voir si Kim Jong-un  décrochera le téléphone. De nombreux défis à relever pour le nouveau président dont les cinq prochaines années s’annoncent déjà tumultueuses.