La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) est née le 28 mai 1975, suite la signature du Traité de Lagos. À l’époque, quinze pays se regroupent pour former un ensemble dont l’intégration économique est le premier moteur. Depuis, l’organisation a fait du chemin. Mais, 50 ans plus tard, la Cédéao fait face à de nombreux défis
Le principal acquis, 50 ans après la création de la Cédéao, c’est la libre circulation des biens et des personnes. Un seul document de voyage est aujourd’hui nécessaire pour traverser 12 pays. Cela a permis à des Béninois, des Ghanéens ou encore des Sénégalais de s’installer, par exemple à Lagos, en vertu de cette libre circulation des biens et des personnes.
Fini les expulsions massives des ressortissants ouest-africains qu’on a connu dans les années 1970. C’est un acquis qui a permis notamment d’accroître la cohésion économique entre les États membres, comme l’explique Nazif Abdullahi, le commissaire aux Affaires internes de la Cédéao.
Si vous allez au Niger aujourd’hui, [le groupe nigérian, NDLR] Dangote est implanté sur place. Si vous allez à Abidjan, vous verrez des commerçants ghanéens. Vous verrez des hommes d’affaires. Si vous allez au Sénégal, vous verrez des commerçants et des entreprises de Côte d’Ivoire qui font de la vente au détail et qui s’engagent également dans la manufacture sur place. La Cédéao fait des efforts supplémentaires pour s’assurer que le niveau d’intégration et de cohésion économique qui a été atteint se consolide. D’autant plus qu’une proportion significative de nos acteurs économiques opèrent encore dans le secteur informel. Ce n’est pas ce que nous souhaitons, mais nous sommes certainement bien mieux lotis qu’en 1975. Nous avons parcouru un long chemin en termes de facilitation du commerce et des échanges économiques entre nous.
Le Commissaire aux Affaires internes de la Cédéao, le Nigérian Nazif Abdullahi
Mais tout cela ne s’est pas fait sans difficulté, pointe notre envoyé spécial à Lagos, Serge Daniel. L’intégration économique fonctionne en dents de scie. Le commerce intrarégional stagne à moins de 15% du total des exportations. En matière d’infrastructures, le corridor Lagos-Abidjan est une réalité, mais de nombreux autres chantiers sont inachevés.
Le problème de la monnaie commune n’est toujours pas réglé. Il y a un véritable problème de leadership au sein de la Cédéao : sur quatre ressortissants de la sous-région, trois sont Nigérians. Il y a un poids démographique, économique du pays, mais le Nigéria d’aujourd’hui n’est plus celui des années 90. Et l’une autre faiblesse de la Cédéao, c’est que très peu d’États sont à jour de cotisation et l’organisation est financée notamment par des pays occidentaux.
Le système d’échange d’énergie électrique, une grande réussite
Parmi les réussites de la Cédéao, il y a notamment le système d’échange d’énergie électrique ouest-africain (WAPP) qui a permis de mutualiser la production et le transport d’électricité en Afrique de l’Ouest. Au total, 7 000 kilomètres de lignes électriques sont à ce jour interconnectées, soit 4 terawatts-heure par an, le double de ce qui est échangé entre les pays d’Afrique de l’Est, par exemple. L’objectif est d’atteindre 16 000 km de lignes interconnectées dans cinq ans.
L’expert international en énergie Serge Dioman en est ainsi convaincu, le marché ouest-africain de l’électricité est à mettre au crédit de la Cédéao. « Différents pays arrivent à mettre de façon communautaire leur production ensemble et il existe un marché qui est en train de se mettre en place sur la partie transports d’énergie. Des pays qui, aujourd’hui, sont moins nantis en termes de sources électrogènes de production peuvent acheter de l’énergie par le réseau des transports, notamment celui du WAPP qui est le West African Power Pool », souligne-t-il au micro de Claire Fages.
Nous avons lancé début 2018 ce qu’on appelle le marché régional de l’électricité où, à Cotonou exactement, nous avons un centre régional de vente et d’achat d’énergie. Un pays, qui a un déficit, peut faire appel et on regarde dans la région où est ce qu’il y a un excédent pour lui vendre cette énergie. Une énergie consommée au Nigeria peut-être vient-elle de la Guinée-Bissau et vice versa ou elle vient du Libéria et vice versa. Notre objectif, c’est de baisser le tarif de l’électricité. C’est pour cela que nous avons mis en place depuis 2009 l’Autorité régionale de régulation, qui est une agence spécialisée de la Cédéao. Agence qui est à Accra, au Ghana. Le but, in fine, c’est que la demande soit couverte, au moins d’ici à 2030, à 70 ou 75% à l’échelle régionale. C’est cela notre objectif.
Le Commissaire aux infrastructures et aux énergies de la Cédéao, le Nigérien Sediko Douka
La Cédéao, cadre de réglementation, a aussi facilité le financement des infrastructures électriques, estime Sylvie Maheux, ex-chef des investissements du département énergie de la Banque africaine de développement (BAD) : « Comme la Cédéao avait quand même ses connexions avec les bailleurs de fonds, elle a pu aider à coordonner les investissements et à mobiliser plusieurs bailleurs pour appuyer le WAPP et pour le faire grandir. »
Selon cette spécialiste, le départ de la Cédéao des États de l’AES ne remettra pas en question les interconnections en cours d’achèvement mais il pourrait compliquer les futurs projets régionaux d’ouvrages électriques.
Une organisation pionnière, mais une crise de légitimité
Aux yeux de Carlos Lopes, économiste bissau-guinéen, professeur à la Nelson Mandela School of Public Governance de l’Université du Cap, la Cédéao « avait brillamment commencé son parcours, c’était le modèle le plus avancé d’intégration régionale en Afrique ». « La Cédéao a été pionnière en matière de libre circulation des personnes, de lever des barrières frontalières et surtout d’intervention collective dans des contextes de crise sécuritaire, comme au Liberia et en Sierra Léone. »
Mais aujourd’hui, elle traverse selon lui une grave crise de légitimité. « Au fil du temps, la Cédéao a perdu en cohérence sur les grands dossiers politiques et désormais aussi économiques. Le projet de monnaie unique, par exemple, l’ECO, en est venu à symboliser la lente désintégration du consensus, poursuit Carlos Lopes. C’est une perte de cap ! Et cette perte de cap a conduit à une érosion progressive de la légitimité de la Cédéao, amorcée dès le retrait de la Mauritanie [en 2000, NDLR], aujourd’hui aggravée par la défection ouverte de trois États : le Burkina Faso, le Niger et le Mali. C’est le moment vraiment pour que la Cédéao puisse se relever. Ou bien, elle cessera, pas vraiment d’exister, mais de compter. »
Embargo, sanctions… La gestion de ces dossiers a manqué de tact et de réalisme. Ce qui se dessine, c’est donc une cohabitation sans tension entre la Cédéao et l’Alliance des États du Sahel. Certains ici à Lagos, notamment des ONGs, exigent que soient respectées par tous les normes régionales de bonne gouvernance et le respect des constitutions. En clair, l’organisation, en 50 ans, n’a pas véritablement décollé sur le plan politique, sans oublier les problèmes de sécurité dans l’espace.
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Un cinquantième anniversaire célébré dans la sobriété
Les cérémonies ont été plutôt sobres ce début de journée à Lagos dans la capitale économique du Nigeria pour célébrer les 50 ans de l’organisation régionale. Tout a commencé par l’hymne de la Cédéao, rapporte notre envoyé spécial sur place. Les chefs d’États se sont quasiment isolés dans une salle de l’institut nigérian des Affaires internationales. Parmi la poignée de chef d’États présents, on a reconnu le togolais Faure Gnassingbé ou encore le bissau-guinéen Emballo.
Parmi les grands absents, il y a l’ivoirien Alassane Ouattara ou encore le béninois Patrice Talon. Geste symbolique, les chefs des pays membres de la Cédéao ou leurs représentants ont signé des documents officiels pour réaffirmer leur volonté d’aller vers l’intégration régionale, de réaliser l’intégration économique pour plus de 300 millions d’habitants dans l’espace. Sur la photo souvenir des chefs d’État un homme drapé dans un boubou blanc : Yacoubou Gowon, l’ancien président nigérian. Il est le seul des chefs d’états encore vivant de pays fondateur de la Cédéao le 28 mai 1975.