«Macron veut aussi choisir le pape» : A quel point le conclave est-il hermétique aux pressions politiques?

International

Alors que les cardinaux s’apprêtent à élire le nouveau pape, Emmanuel Macron est accusé par la presse italienne de vouloir peser sur le choix. Entre rumeurs et longue histoire d’ingérence, la politique s’invite souvent jusque sous la voûte de la chapelle Sixtine.

Emmanuel Macron manœuvre-t-il en coulisses pour peser sur l’élection pontificale ? Alors que les cardinaux électeurs doivent entrer à partir de mercredi 7 mai dans la chapelle Sixtine pour choisir le nouveau pape, les accusations d’ingérence vont bon train ces derniers jours dans la presse italienne proche de la présidente du Conseil d’extrême droite, Giorgia Meloni : « Macron veut aussi choisir le pape », lançait ainsi le 29 avril le journal populiste de droite La Verità, assurant que le président français « a convoqué les cardinaux français pour les influencer dans une optique anti-[Robert] Sarah », le cardinal guinéen soutenu par les ultraconservateurs. Le quotidien italien de droite Libero fustigeant de son côté : « Macron s’invite aussi au conclave ».

 

Les soupçons d’intrigue se cristallisent autour de deux repas du chef de l’État français à Rome. L’un le 26 avril, à l’ambassade de France près le Saint-Siège, avec quatre cardinaux français, dont Jean-Marc Aveline, l’archevêque de Marseille qui fait partie de la liste informelle des papabili (les potentiels papes). L’autre, la veille, avec Andrea Riccardi, fondateur de l’influente communauté Sant’Egidio, engagée dans la lutte contre la pauvreté dans le monde et très impliqué dans la diplomatie vaticane… Alors qu’un membre de cette communauté, le cardinal Matteo Zuppi, président de la Conférence épiscopale italienne, fait lui aussi figure de papabile

Des rumeurs démenties fermement et en italien par l’Élysée sur X. 

« Que le président français ait dîné avec des cardinaux français à la villa Bonaparte, le soir des funérailles de François, c’est tout à fait normal dans les relations diplomatiques, ce n’est pas de l’ingérence », estime Cédric Burgun, vice-doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris. Ce qui est évident en revanche, précise-t-il, c’est que les médias italiens pro-Meloni n’ont sans doute pas intérêt à voir élu un profil comme celui de Jean-Marc Aveline étant donné ses positions sur la question des migrants. 

Une tradition d’influence

Même si aucun élément concret ne permet d’affirmer qu’Emmanuel Macron aurait tenté d’interférer dans l’élection papale, ces allégations prospère sur un terreau fertile : « Dans l’histoire de l’Église, il y a toujours eu la tentation pour le pouvoir politique de se mêler de cette élection. De tout temps, des gouvernements ont essayé de savoir, d’anticiper, peut-être même de s’opposer à tel ou tel cardinal », rappelle le professeur.

Plusieurs siècles durant, l’élection du pape a dû être en quelque sorte confirmée par le pouvoir. Un pouvoir limité progressivement, notamment avec la bulle In nomine Domini de 1059 qui réserve l’élection aux seuls cardinaux. Mais jusqu’au XXe siècle, certaines grandes puissances de tradition catholique, comme l’Autriche, la France ou l’Espagne, s’arrogent un droit de veto qui leur permet de s’opposer à certaines candidatures. C’est ce qui s’est passé lors du conclave de 1903 après la mort du pape Léon XIII. L’empereur d’Autriche, François-Joseph, a fait savoir qu’il ne souhaitait pas voir élu le cardinal Mariano Rampolla, grand favori, qu’il jugeait trop favorable à la France. Résultat : sa candidature a été rejetée. C’est Pie X, élu à sa place, qui a mis fin en 1904 à cette pratique en faisant interdire formellement le jus exclusivae (droit d’exclusive) par le décret Commissum Nobis.

« On sait maintenant, car cela a été largement documenté, qu’en 1958, le général de Gaulle a manigancé, ou du moins agi en faveur de celui qui est devenu Jean XXIII, en activant ses réseaux diplomatiques, en recevant les cardinaux avant le conclave pour leur dire qu’il souhaitait le voir élu, développe Olivier Mathonat, adjoint du directeur des études de l’Ircom qui travaille sur une thèse sur les conclaves. Même si personne ne peut dire si les cardinaux ont voté pour Angelo Giuseppe Roncali sous la pression du général de Gaulle, cela montre que ce type d’action a existé. »

Avec près d’1,4 milliard de fidèles, les velléités d’influer sur le profil du futur pape témoignent de l’importance géopolitique du Vatican, malgré son officielle neutralité. « Le chef de l’Église a un tel poids diplomatique qu’on comprend que certains États ont des intérêts à ce que l’élection soit orientée dans un sens ou dans un autre », souligne Cédric Burgun.

Ainsi Donald Trump, critiqué par François en raison de sa politique migratoire, ne cache pas sa préférence pour un pape à son image. Littéralement d’ailleurs, puisque après avoir indiqué en réponse à des journalistes qui l’interrogeaient sur ses préférences quant au successeur de François, qu’il se verrait bien pape, il a partagé sur son réseau Truth Social une image visiblement générée par intelligence artificielle le représentant en habits pontificaux. En dehors de cette énième provocation, le président américain a évoqué le nom du cardinal Timothy Dolan, l’archevêque de New York. En 2013, rappelle Olivier Mathonat, les États-Unis avaient fait savoir qui était leur candidat. Mais ce dernier n’avait pas pour autant été élu.  

Des règles strictes pour éviter les pressions

Si l’on ne peut s’étonner que Donald Trump aspire à un pape plus conservateur et que les gouvernements africains ne souhaitent pas un progressiste, y a-t-il un risque de voir des États dicter la décision du conclave ? « Aujourd’hui cela paraît très improbable qu’une telle influence ait un effet, à la fois pour des raisons institutionnelles, et aussi car les cardinaux sont des gens qui ont une envergure intellectuelle, qui sont des gens indépendants », assure Olivier Mathonat.   

Les règles strictes du conclave visent à garantir la liberté de choix des cardinaux et l’absence d’ingérence politique formelle. Le secret du conclave, tout au long duquel les cardinaux sont reclus, doit permettre de s’extraire des tentatives d’influence. « Dans la période avant le conclave, rien n’empêche les cardinaux d’aller et venir, et de discuter, explique Louis-Léon Christians, docteur en droit canonique à l’Université catholique de Louvain. Mais à partir du conclave, tout est verrouillé. L’isolement est total, la communication avec l’extérieur est interdite. Par ailleurs, les cardinaux n’ont théoriquement pas le droit de former des coalitions ou de faire des promesses de vote. » Sous peine de risquer l’excommunication, la sanction la plus grave dans l’Église catholique. Un dispositif de sécurité s’applique aussi autour de la chapelle Sixtine : surveillance, brouillage d’ondes… 

« Les normes qui régissent la procédure sont implacables et témoignent d’une conscience des risques », appuie le canoniste. Elles ont d’ailleurs été renforcées par Jean-Paul II en 1996. Pendant la Guerre froide, avant son élection en 1978, le Polonais avait lui-même fait les frais de la surveillance du KGB et de la Stasi (les services secrets soviétiques). 

Aujourd’hui, selon Olivier Mathonat, l’influence s’exerce davantage « par le biais de lobbies ou de courants qui essaient de faire pression », notamment par le biais de publications orientées. Des tendances lisibles – entre les lignes – sur les réseaux sociaux, mais pas seulement. Côté conservateur, le spécialiste des conclaves cite l’exemple de « Cardinals report », qui se présente comme un site destiné à évaluer les cardinaux en fonction de plusieurs critères. « Mais si l’on connaît un peu le sujet, on voit que le choix de ces critères est orienté avec une grille conservatrice [célibat des prêtres, bénédiction des couples de même sexe, ordonnance de femmes diacres, messe en latin, ndlr], analyse le spécialiste. D’un autre côté, il y a un courant qu’on pourrait dire proche du #MeToo dans l’Église qui cherche à montrer les éventuels manquements de certains cardinaux dans la gestion de certaines affaires pour dissuader de voter pour eux. La semaine dernière, s’est ainsi tenue à Rome une conférence de presse qui visait à démontrer que le cardinal Parolin et le cardinal Tagle, deux favoris du scrutin, avaient mal géré des affaires d’abus sexuels. »